samedi 19 avril 2008

L'Ecole et la République : quels liens ?

Une armature conceptuelle très cohérente des liens entre l'Ecole et la République existe, qu'il faut remettre à jour pour mieux comprendre les enjeux d'aujourd'hui Pas pour prendre position mais pour savoir au moins d'où l'on part, ce qui facilitera les prises de position des uns et des autres. Même si vous verrez que la synthèse républicaine induit des choix, des pistes par rapport aux problèmes rencontrés actuellement. Mais les contextes sont également différents, il est vrai, par rapport à 1792 – 1793 !

Donc ce texte ne se veut pas la solution à tous les problèmes de l'Ecole et de la République, mais une « connaissance indispensable »,un bagage, (savoir d'où l'on vient) pour éclairer les soucis actuels.

C'est à cet effort méritoire que s'est engagé Charles Coutel dans son article «  La République et l'école : principes, problèmes, illusions ». C'est à cette merveilleuse défense d'une synthèse républicaine qu'il s'est attelé, à nous la rappeler. Et je le remercie de cet effort pour une si noble cause, de prime abord très lointaine pour nous tous ! Et puis je trouve qu'il l'a faite avec brio sinon je ne me serai pas amusé à réécrire son article !

La République et l'Ecole :

Trois courtes citations vont nous permettre d'engager une présentation :

« Il ne faut pas que l'instituteur soit dans la commune le représentant du gouvernement, il convient qu'il soit le représentant de l'humanité ». C.Péguy « De Jean Coste ».

« On enseigne dans les écoles primaires ce qui est nécessaire à chaque individu pour se conduire lui-même et jouir de la plénitude de ses droits » Condorcet « Rapport de 1792 »

« C'est dans le gouvernement républicain que l'on a besoin de toute les puissance de l'éducation » Montesquieu « Esprit des lois »

Une tradition unit ces trois citations : la Philosophie des Lumières (Montesquieu) lègue à la Révolution (Condorcet) puis à la Troisième République (Péguy) des principes et des valeurs. Des principes et valeurs dont l'importance explique l'attachement de la France à son Ecole publique. L'école ne saurait être une institution comme une autre : le sort de la République s'y joue.

a) une question préalable : comment assurer la liberté dans une démocratie ?

En 1789, avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la Révolution fit le formidable pari que le peuple pouvait être son propre maître. En 1792, la proclamation de la République fit un pas de plus : le peuple peut quand il le souhaite réviser la Constitution et les lois. Mais comment être sûr que ces révisions seront des améliorations et non des régressions : c'est alors que le problème de l'Ecole (on disait alors l'instruction publique) prit toute sa valeur. Le philososphe Condorcet dès 1790 rappela que la démocratie sans la raison pouvait perdre le peuple : « sous une Constitution libre, un peuple ignorant est esclave ». Il situa même cette question sur le plan éthique : « Epuisez toutes les combinaisons possibles pour assurer la liberté ; si elles n'embrassent pas un moyen d'éclairer la masse des citoyens, tous vos efforts seront vains ». L'Ecole est donc un organe de la République : les enfants, futurs citoyens, quand ils s'instruisent, travaillent à l'amélioration future des lois : « éclairer les hommes pour en faire des citoyens » (Condorcet). En 1872, le philosophe J.Barni parlera de « république enseignante, institutrice de peuple ».

Ces formules inspireront l'oeuvre de J.Ferry.

b) Les principes et les valeurs de l'Ecole publique française

Par deux fois, avec la Première et la Troisième République, l'Ecole devint une réalité institutionnelle conséquente, organisée autour de principes régulateurs que la puissance publique tenta vraiment d'appliquer en suivant des plans précis. De ces élaborations, l'Ecole profite encore largement dans son organisation quotidienne, mais aussi dans les finalités qu'elle s'assigne.

Examinons ces principes :

L'Ecole républicaine s'adresse à tous les enfants et si l'obligation scolaire ne date, sur le plan juridique que de la Troisième République, on la trouve comme affirmation philosophique chez les révolutionnaires de 1792 : c'est le principe d'égalité scolaire.

L'institution scolaire, inspirée par l'égalité, sera gratuite : on lit dans le Rapport sur l'Instruction publique de Condorcet : « la gratuité de l'instruction doit être considérée surtout ans son rapport avec l'égalité sociale ». C'est le principe de gratuité.

L'Ecole républicaine reçoit donc tous les enfants mais elle n'a pas à accueillir les opinions religieuses des parents ou les idéologies dominantes de la société civile ; elle se doit d'enseigner les savoirs élémentaires : c'est le principe de laïcité. Du principe précédent découlera évidemment le principe de mixité.

A l'abri des enthousiasmes politiques et religieux, l'instruction s'adresse à la raison de chacun et le maître doit rendre compte de ce qu'il enseigne ; quand la raison s'applique aux savoirs, elle suit le principe l'élémentarité ; quand la réflexion s'applique à l'art d'enseigner, elle suit le principe d'exigence didactique : chaque maître devant être capable d'expliquer ce qu'il fait faire à ses élèves ; ce qui pose la question de la compétence scientifique des professeurs.

Par l'instruction, la raison de chacun s'éduque elle-même et il peut se constituer une opinion publique éclairée capable d'animer une vie politique. L'Ecole républicaine forme des citoyens mais elle ne veut pas embrigader ; elle souhaite appliquer l'esprit critique aux institutions publiques elles-mêmes : c'est le principe de citoyenneté éclairée ; on pourrait en trouver une confirmation dans la remarque suivante de Condorcet dans le premier mémoire sur l'instruction publique de 1791 : « Le but de l'instruction n'est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l'apprécier et de la corriger ».

Ce principe s'élargit lui-même et devient amour – et nous croisons de nouveau Montesquieu – de l'Humanité toute entière : c'est le principe d'Humanité, vers lequel faisait signe Charles Péguy. Ce dernier principe explique pourquoi l'Ecole républicaine se tiendra à bonne distance des idéologies de la société civile : cette ouverture à l'universalité de l'Humanité implique une relation critique avec les conditionnements socio-culturels subis, le plus souvent par l'enfant.

Tous ces principes formes une unité théorique et l'oubli d'un principe déstabiliserait le tout : ainsi remettre tant soit peu en cause la gratuité contredirait la laïcité, l'oubli de l'élémentarité rendrait vaine l'affirmation de l'égalité de tous les enfants postulée par l'obligation scolaire. Ces principes sont essentiels pour assurer le progrès des sciences et des techniques, et préparer chacun à son futur métier ; mais ils permettent aussi la perpétuation raisonnée du régime républicain et l'extension des Droits de l'Homme.

Des principes aux problèmes sous-jacents

Les principes constitutifs et fondateurs d'une théorie et d'une institution peuvent connaître deux destins : soit ils deviennent des slogans qui les coupent de leur contexte historique, politique et éthique, soit ils sont sans cesse reliés aux problèmes inauguraux qui les justifient et les expliquent.

Le rappel des principes à la lumière des problèmes à résoudre nécessite un effort critique permanent qui est difficile car il invite à se souvenir et à ne pas renoncer à soi ; or cette volonté de refonder sans cesse la République et l'Ecole peut cycliquement manquer.

Il convient en effet d'opérer un double geste que les philosophes des Lumières avaient envisagé et que les Révolutionnaires de 1789, et notamment Condorcet, ont effectivement réalisé : fonder conjointement la République et l'Instruction publique tout en garantissant leur autonomie et leur action réciproque. Ainsi la République se laissera critiquer par elle-même (les élèves futurs citoyens verront nos défauts et nos carences institutionnelles) mais à son tour l'Ecole s'inscrira dans un espace public et laïc qui en fera un organe de la République : indépendantes l'une de l'autre, la République et l'Ecole s'articulent et se présupposent l'une l'autre.

La République et l'Ecole : des problèmes inauguraux à résoudre sans cesse

L'héritage philosophique des Lumières

La philosophie des Lumières donne en héritage à la Révolution de 1789 un certain nombre de principes ordonnés dans des théories philosophiques argumentées : une partie des révolutionnaires va y puiser le courage et la cohérence requise pour réfléchir et instituer la République et l'Ecole.

Cinq grands principes émanaient des penseurs de la philosophie des Lumières ; ces principes pourraient se résumer autour de quelques affirmations qui unifiées allaient proposer une nouvelle perspective.

Le premier grand principe philosophique émancipateur fut celui de la perfectibilité dont l'origine est rousseauiste : les hommes font leur destin et rien n'est inscrit d'avance ; la raison humaine se développe et, contre tous les fatalismes et les providentialismes, l'avenir est ouvert.

Le second principe est celui de collégialité, éclair affirmant que la recherche de la vérité n'est pas l'affaire de quelques-uns : ce principe s'incarne dans l'entreprise encyclopédique, les sociétés savantes et les académies.

La rationalité est le troisième principe : la raison en chaque homme doit s'exercer librement et le libre examen est une revendication légitime. Cett perspective est d'origine cartésienne.

L'exigence de rationalité, la diffusion des savoirs, le refus intellectuel de l'arbitraire expliquent le principe suivant de laïcité. La puissance publique ne devrait être la propriété d'aucun groupe de pression ni le jouet d'une opinion partisane. Le rôle d'Helvétius, d'Holbach ou de Diderot est ici évident.

De ces divers principes la philosophie des Lumières avait déduit le principe d'humanité dont l'application se retrouvera dans l'affirmation de la fraternité humaine. Le rôle de Voltaire dans l'affirmation de cet idéal est indéniable.

Ces principes vont être repris mais aussi appliqués et développés par la Révolution de 1789, notamment par Condorcet : grâce à ces principes, l'oeuvre condorcétienne est à la fois théoriquement cohérente et trouve une mise en oeuvre pratique. Les Révolutionnaires de 1789 – 1792 ont appliqué les principes de la philosophie des Lumières en précisant les problèmes qu'il s'agissait de résoudre : la République et l'Ecole, et l'oeuvre de Condorcet est le lieu privilégié de ce travail.

Condorcet en effet se saisit des principes émancipateurs du XVIIIème siècle et les applique à la définition du pouvoir politique (la République à créer) et à la définition de l'Instruction Publique, comme organe de la République.

Ce travail fut salué en 1794 par Lakanal, en 1870 par J.Ferry, en 1900 par Jaurès ou en 1947 par Alain. On trouve chez Condorcet une théorie de la République et une théorie de l'Ecole républicaine mais aussi une thérorie de leur action réciproque.

Un tableau de la synthèse condorcétienne

Principes des Lumières Théorie de la République Théorie de l'Instruction Publique

Perfectibilité Révisabilité des lois Exigence didactique

Collégialité éclairée Souveraineté du peuple Egalité

Rationalité Formation raison commune Elementarité

Principe de laïcité Laïcité de l'Etat Laïcité scolaire

Principe d'humanité Citoyenneté et humanité Universalité éclairée et humaniste

La lecture horizontale indique la cohérence des divers principes dans leur application à partir des principes généraux de la philosophie des Lumières, mais il ne faut pas oublier aussi l'action réciproque entre la République et l'Instruction publique : l'une est à chaque fois la condition de l'autre et inversement. A cette unité des principes correspond une solidarité des problèmes ! Quand l'Ecole est en crise sur la République ou inversement !

Les principes de la théorie de la République

Ils ne peuvent donc être vus sans aborder déjà en partie les principes valables pour l'Ecole :

Le principe de perfectibilité appliqué au bien public affirme la révisabilité des lois, des constitutions voires des déclarations des droits de l'Homme. Dans une République, les lois et constitutions doivent être révisées régulièrement en profitant du progrès général, notion chère aux Lumières. Mais pour cela il faut parvenir à rendre les citoyens compétents tout en respectant la liberté et la diversité des avis et des talents, ce qui présuppose un lien avec l'Ecole.

Le second principe est la souveraineté du peuple, application du principe général de collégialité. Certes le peuple s'il est instruit est en mesure d'exercer cette collégialité éclairée. Mais comment affirmer cette égalité politique entre les citoyens si la société est inégalitaire, particulièrement dans l'accès aux Lumières et aux connaissances. On voit rapidement le rôle éthique et politique de l'égalité scolaire au sein d'une démocratie.

Autre question : de quel savoir tout citoyen doit-il être armé pour être libre et intervenir dans le débat public ? Le troisième principe, application de l'exigence de rationalité, est le principe de formation d'une raison commune capable de fonder un choix majoritaire argumenté. Dans une démocratie, l'avis majoritaire est une figure provisoire du vrai. Mais comment former cette raison commune ? A oublier cette question, nous courons le risque de confondre l'accord des esprits fondé sur un débat argumenté et un consensus mou, accord sans arguments.

Anticipons un peu sur la théorie de l'Instruction publique en affirmant avec les républicains d'alors le principe suivant : je peux comprendre un savoir élémentaire en même temps que toi et demeurer libre sans être d'accord : nous nous comprenons car nous sommes instruits tous les deux :l'élémentarité devient un précurseur de la fraternité. Une crise de l'élémentarité dans l'Ecole fragilise la République toute entière : les citoyens se comprennent de moins en moins.

Le quatrième principe est celui de la laïcité de la République : il applique l'exigence de laïcité au pouvoir politique et à l'Etat. Mais cette conscience laïque soyons en bien conscients suppose d'apprendre aux citoyens à se méfier de l'opinion en tant que telle et à en saisir la genèse.

Enfin la référence aux Droits de l'Homme et à l'amour de l'Humanité suppose résolu le problème suivant : comment aider les futurs citoyens à ne pas oublier l'Humanité à travers l'amour de la patrie ou de la nation ? Développer l'implication dans la cité, la nation sans oublier les droits de l'Homme.

On voit qu'au delà de la simple proclamations des principes, il y a à chaque fois des défis.

Les principes de la théorie de l'Instruction Publique :

Le principe d'exigence didactique, écho du principe de perfectibilité, fait obligation au maître d'école de pouvoir justifier, à ses propres yeux, ce qu'il enseigne !

Comment faire comprendre les mêmes savoirs enseignés au même moment à des individus différents : le principe d'égalité s'attaque aux questions suivantes : comment réduire l'écart entre l'égalité politique proclamée des citoyens et l'inégalité persistante entre les conditions économiques des hommes ? Comment promouvoir aussi l'égalité sans nuire à la diversité des talents ? Comment mettre cette diversité elle-même au service de l'Egalité ? Plus de questions que de réponses pour ce principe d'égalité scolaire aujourd'hui !!

Le principe d'élémentarité applique au domaine scolaire le principe de rationalité : de nature didactique (ou comment enseigner), il a également des visées politiques : comment former une opinion publique éclairée dans une République ? Et en fait pour réaliser cela, la vraie question sous-jacente de l'élémentarité est la suivante : comment transposer les savoirs savants en savoirs enseignables à tous jusqu'à un certain point ?

La formation d'une raison commune suppose un peuple instruit réussissant à se comprendre, ce à quoi l'élémentarité doit répondre pour permettre cette raison commune à partir des raisons de chacun.

De plus l'élémentarité permet d'accéder à la complexité des savoirs savants : la différence est de degré et pas de nature : il doit y avoir une continuité entre le savoir élémentaire et le savoir savant. Notamment pour déterminer les savoirs élémentaires, la première République s'est tournée vers les plus savants que Condorcet en 1792 souhaitait regrouper au sein d'une Société Nationale des Sciences et des Arts, sorte d'Académie indépendante du pouvoir exécutif, chargée de réviser les programmes scolaires.

Le principe de laïcité scolaire applique à l'Ecole l'exigence générale de laïcité ce qui est particulièrement important au moment de la formation de l'esprit critique : c'est le moment où il est particullièrement nécessaire de neutraliser toutes les opinions partisanes au sein de l'instruction publique.

L'exigence d'universalité humaniste et éclairée vise à ce que l'instruction publique ne se replie pas sur elle-même, en oubliant ce devoir essentiel qui est le sien d'ouvrir sur le monde.

Les Conditons nécessaires à l'essor de l'Ecole républicaine

L'Instruction publique ainsi décrite dans ses principes n'est possible que si l'indépendance de l'Ecole républicaine face au gouvernement et au pouvoir politique est assurée (Cf. la citation inaugurale de Ch.Péguy).

L'instruction a une portée didactique (permettre le progrès en instruisant le plus grand nombre), une portée civique (construire une opinion démocratique éclairée) mais aussi éthique (rendre chacun autonome et tourné vers l'amour de l'humanité). Ces responsabilités de l'Ecole doivent échapper au pouvoir exécutif : les gouvernants devraient donc refuser de régenter l'organisation pédagogique et a fortiori de décider les contenus des savoirs à enseigner. Concorcet y revient plusieurs fois dans son oeuvre : on lit dans le rapport sur l'instruction Publique d'avril 1792 : « Aucun pouvoir public ne doit avoir l'autorité, ni même le crédit d'empêcher le développement des vérités nouvelles, l'enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés ». En janvier 1793, il confirme : « le gouvernement ne doit avoir aucune influence sur les choses qui sont enseignées ».

L'indépendance de l'Ecole sera même souhaitée par la République : l'Ecole à l'abri des pressions aura ainsi tout le loisir de développer la raison commune et aura ainsi une République d'avance. Ainsi en effet, l'Ecole républicaine assure la perpétuation raisonnée de la République en instruisant les enfants des connaissances élémentaires, de même la République laïque est la conditions de la perpétuation de l'Ecole Républicaine.

Cependant Condorcet lance un avertissement en signifiant d'autres conditions indispensables à l'essor de l'Ecole républicaine : « Que les institutions publiques s'unissent à l'instruction, aux lois pour former un système fortement lié [...]. Ce système suppose, à la vérité, la destruction des préjugés généraux et celle des inégalités sociales ».

L'analyse de Condorcet de la République et de l'Ecole suppose donc d'autres conditions de possibilité : le régime républicain repose bien sûr sur l'Ecole de la République, sur les Droits de l'Homme mais aussi sur une économie réellement soucieuse de solidarité et de justice, mais aussi sur un privilège de l'écrit.

En effet, une économie jsute rend l'Ecole plus crédible en solennisant l'égalité qui doit y régner.. Le privilège de l'imprimé de l'écrit rend l'Ecole plus indispensable dans sa mission d'instruction.

Qu'un déséquilibre apparaisse : la République se porte moins bien si l'Ecole instruit moins bien, l'Ecole est remise en cause dans ses principes d'esprit critique si la République n'en garantit plus l'indépendance et tolère l'intrusion de forces politiques ou cléricales en son sein. De même une économie fondée sur l'injustice et l'égoïsme désespèrerait les exclus qui seraient fondés à douter de la puissance émancipatrice de l'instruction voire des droits de l'homme. De même une marginalisation de l'écrit nuit à la formation indispensable d'une opinion publique éclairée et citoyenne. Enfin une crise durable de l'idée d'Humanité faute d'être enseignée remet en cause au sein de la société l'éminence des droits de l'homme et des devoirs correspondants face à d'autres valeurs, économiques notamment.

D'où la nécessaire vigilance et la nécessité de redécouvrir régulièrement cette synthèse de l'Ecole et de la République

Quels dangers est il possible de repérer au jourd'hui ?

Le modèle républicain repose sur un équilibre : pêle-mêle, ne pas décider la révision régulière de la Constitution, ne pas écouter les plaintes des citoyens ou ne plus privilégier le livre. De même ne plus assurer la gratuité scolaire a des effets sur l'égalité tout court. Ne plus écouter les conseils des plus savants pour organiser l'instruction publique aurait des effets sur la qualité des débats et des décisions politiques à long terme. Ces hypothèses sont autant de dangers pour la République.

Parallèlement, il ne faut pas confondre les principes avec leur application partielle quand on critique l'Ecole républicaine : l'absence d'institution comparable à la Société Nationale des Sciences et des Arts dans la pensée de Jules Ferry explique les défauts de l'école de la Troisième République. De même si l'opinion publique ne songe plus à s'éclairer, l'idée de raison commune est fragilisée.

Si on examine l'ensemble républicain combinant un régime politique (la République), une conception de l'école (l'instruction publique), des rapports économiques et sociaux fondés sur la liberté et une communication respectant l'écrit, on peut identifier plusieurs illusions où chaque instance se prend pour sa propre fin et oublie les autres composantes :

l'illusion économiste correspond à une survalorisation des rapports socio-économiques au sein de la société : l'instruction publique ou l'Etat ne se définissent plus que comme des conséquences des contraintes économiques et au service de la société marchande. Dès lors l'Etat n'est plus qu'une instance régulatrice dans les conflits socio-économiques et l'instruction publique ne « forme » plus qu'à une profession au lieu d'instruire et d'éclairer. L'économisme ignore profondément la construction républicaine, son humanisme éclairé et laique. L'économie sort de son cadre et impose sa logique à toute la société. L'économisme ouvre volontiers l'instruction publique aux intérêts à court terme de la société civile présente.

l'illusion étatiste correspond à une survalorisation de l'Etat qui devient sa propre fin et n'est plus une médiation vers les droits de l'homme et l'humanité. D'où l'importance pour Condorcet de l'indépendance de l'instruction publique en se tournant vers les plus savants : l'autorité des sciences éclaire et limite le pouvoir politique. La République n'est pas l'Etat et la citoyenneté n'est pas non plus réductible à la nation et s'ouvre sur l'humanité. Dès 1786, Condorcet place dans la « Vie de Turgot » les droits de l'homme au dessus de la République. D'où la critique d'un Etat qui décide des réformes scolaires en ne tenant pas compte de l'avis des plus savants.

l'illusion médiatique déclare que le moyen de communication dominant une société doit par là-même être hégémonique dans l'instruction publique.

l'illusion pédagogique : l'Ecole devrait assurer des tâches qui relèvent en fait de la puissance publique voire des parents, au détriment de l'instruction publique qui se trouve retardée ou entravée. D'où le concept d'Education nationale régulièrement préféré à celui de l'Instruction publique et l'éloignement à l'égard du principe d'élémentarité des savoirs. On préfère accompagner qu'instruire.

En conclusion, dès 1792/1793, les révolutionnaires nous avertissaient que cette institution l'Ecole devait s'intégrer dans une synthèse plus large où chaque républicain était appelé à se soucier de l'instruction des enfants mais aussi du respect des droits et des devoirs, de la justice économique et sociale, et de l'amour de l'humanité.

Et aussi, mieux connaître pour mieux perpétuer, peut-être cela est il utile !


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