vendredi 11 avril 2008

Jean-Pierre Vernant

Presse du jeudi 11 janvier 2007, article de Laurent Douzou pour Le Monde, historien du mouvement Libération-Sud :

Un antimilitariste en Résistance

Sous les drapeaux depuis trois ans, le militant communiste Jean-Pierre Vernant écoute à Narbonne, au côté de son frère Jacques, l’allocution par laquelle Pétain annonce, le 17 juin 1940, qu’il faut cesser le combat et qu’il a demandé un armistice. Les deux frères pleurent de dépit et ne mordent pas un instant à l’hameçon. Dès qu’ils le peuvent, ils confectionnent des papillons qu’ils collent la nuit dans la ville audoise.

Jean-Pierre Vernant se remémorait, à la fois fier et amusé, deux slogans que son frère et lui, reçus l’un comme l’autre premiers à l’agrégation de philosophie en 1935 et 1937, avaient alors laborieusement conçus : “La France est dans l’eau sale. C’est la faute à Laval” et - dans le climat d’anglophobie consécutif à Mers el- Kébir - “Vive l’Angleterre pour que vive la France !”.

Démobilisé en août 1940, nommé professeur au lycée de Toulouse fin novembre, Jean-Pierre Vernant y retrouve son maître Ignace Meyerson, grâce auquel il côtoie la Résistance intellectuelle de la ville. Très vite, un groupe se forme autour de lui. Chaleureux, séduisant, ouvert, Vernant, qui ne reçoit aucune directive du PCF, sonde les potentialités toulousaines pour tisser ses réseaux.

Au début de 1942, via son frère et Jean Cavaillès, il entre avec ses amis dans le mouvement Libération de zone sud, dont il dirige les groupes paramilitaires à Toulouse. Quand est créée l’Armée secrète, cet antimilitariste patenté en devient le chef départemental pour la Haute-Garonne. Tout en exerçant son métier d’enseignant, il organise coups de main, sabotages et transports d’armes. Le colonel Berthier travaille à forger et à consolider un appareil militaire efficace. Au printemps 1944, il dirige les Forces françaises de l’intérieur au niveau départemental. Après le 6 juin, il prend le maquis et prépare, en liaison avec Serge Ravanel, la libération de Toulouse. Le 19 août, il y entre à la tête de ses hommes. Fin septembre, il est chef FFI de la région R4.

De sa Résistance, Jean-Pierre Vernant ne parlait d’ordinaire pas. Il ne l’évoquait pas si aisément non plus devant ceux qui l’interrogeaient à ce sujet. Non qu’il fût difficile d’accès. On entrait intimidé dans son bureau du Collège de France ; on en ressortait étonné que le tutoiement ait été d’emblée de mise et confondu par une simplicité qui n’était pas feinte. L’entretien décanté, il fallait pourtant se rendre à l’évidence : en dépit d’un abord avenant, il livrait peu de chose sur cette période cruciale. Peut-être parce qu’il redoutait de passer pour un ancien combattant
radoteur. Plus probablement parce qu’il tenait à cette expérience comme à la prunelle de ses yeux ; il avait partagé là une intimité hors pair avec des camarades choisis, et sans doute cet orateur incomparable craignait-il, en ne trouvant pas les mots justes, de la trahir. C’est seulement au soir de sa vie qu’il se résolut à écrire avec retenue et dans un registre réflexif sur cette histoire singulière. Cette modestie et cette réserve dissimulaient un parcours résistant éclatant qui lui avait valu de se voir décerner en janvier 1946 la croix de la Libération.


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