jeudi 25 décembre 2008

Ma découverte ...



En train de compulser les palmarès de l'année 2008 pour les albums sur les meilleurs blogs et sur france inter, après avoir écouté fortuitement cette dernière radio en rentrant sur Laval en voiture, je me jette sur les écoutes deezer et jiwa et ai eu l'occasion de rattraper quelques beaux albums de l'année : rokia traoré qui a quelques chansons bouleversantes, victor démé surtout, santogold qui est du rock/soul très efficace, nneka à la très belle voix et ayo (quoique ...). Mais surtout au travers d'un groupe Jazz Liberatorz qui ne manque pas d'humour en débutant son album par une annonce les classant numéro 1 en Europe, je trouve un jazz moins empreint de lenteur. J'apprécie surtout une chanson qui est "featuring" avec une chanteuse américaine, Lizz Fields. Comme seule cette chanson me plaît finalement, je cours voir ce que jiwa peut me dire sur cette chanteuse et tout l'album pleasureville est du même acabit : chantant, plus rapide, portée par une voix optimiste et gaie, chaude et qui transporte de joie, je cours, je me mets à danser chez moi et pars à la recherche d'infos sur la miss :

"Lizz Fields is one of the most under-rated artists in the independent soul scene has just released her highly anticipated second album, Pleasureville." (source : souldiscoveries.wordpress.com





Et en plus elle est belle : aïe comment résister !!!

Depuis toutes ces chansons passent en boucle et me réjouissent la vie !!

Bon là il n'y aura que Michèle qui aura pu traduire, pour les autres : good luck !!

Et on me dit que le premier album serait pareil, même un peu plus triste, avec des références à Portishead ! Diable !! Que de promesses, même si j'en ai déjà assez !!

Voici les commentaires sur son premier album, qui ne manque pas d'admiration :

La scène Nu-Soul est encore une fois en ébullition. Peu avare en découverte ces derniers temps, on peut dire que ce courant musical, encore neuf, réussi à se renouveler de façon surprenante. Après des artistes tels que McKay, Floetry, Jazzyfatnastees, c’est au tour de Lizz Fields de faire une entrée fracassante dans cet univers comptant, parmi ses plus grandes figures, la toujours sublime Erykah Badu et la chavirante Jill Scott.

Et c’est d’ailleurs aux côtés de cette dernière qu’elle a fait ses premières armes, originaire elle aussi de Philadelphie, confirmant l’impressionnant vivier de cette scène si productive ces dix dernières années. Si on peut comparer les deux artistes quant à leur talent et leurs capacités vocales impressionnantes, au niveau musical leurs différences sont très nettes. Le travail de Damon Bennett, concepteur musical de cet album, y est certainement pour quelque chose. La mélancolie générale nous rappelle le travail de Portishead: une recherche mélodique approfondie, mêlant habilement les tempos groove et la subtilité d’influence jazz de certaines boucles. Pour parachever le tout, la voix envoûtante de Lizz Fields baigne le tout d’une atmosphère pleine d’émotion, collant comme une seconde peau aux mélodies. Des titres tels que «Star Gazer», «Hey», «Fire» ou «So Long Hello» risquent de vous convaincre du talent de cette jeune artiste et de l’alchimie évidente qui s’est opérée entre elle et son producteur.

Il faut croire que les femmes ont pris définitivement le pouvoir dans ce courant musical, tant, une fois de plus, on est terrassé par la qualité de cet album. Si, comme on peut l’espérer, le talent de Lizz Fields prend toute son ampleur sur scène, alors pas de doute, celle-ci s’inscrit désormais parmi les plus grandes artistes découvertes ces dernières années. Pouvant rassembler un large public, on la voit bien suivre les traces d’une Ursula Rucker. Quand c’est si bon, on ne peut dire que deux choses: merci et encore!

Oui je répète après une si bonne analyse (issue ...du forum rap 2K) : MERCI ET ENCORE ! MERCI ET ENCORE !

Une superbe animation sur la miss : ici !

Santogold transforme tout ce qu'elle touche ...


Extrait de Wikipédia : Santi White est fille d'avocat, elle est diplômée de l'Université wesleyenne en musique et études africaines et américaines. Santi White débute sa carrière en décrochant un poste de responsable artistique chez Epic Records. Elle démissionne rapidement pour se consacrer à la production et à l'écriture de chansons. Elle écrit et produit ainsi le premier album de la chanteuse R'n'B Res, intitulé How I Do. En 2003, elle passe à la chanson pour le groupe de post-punk Stiffed, à Philadelphie. C'est à ce moment que le patron du label Lizard King Record la repère et la fait signer en solo. C'est le début de Santogold. Son premier album sort en mai 2008 en France, précédé du single L.E.S Artistes. Sa musique est empreinte d'influences très diverses : la soul d'Aretha Franklin, la pop des Talking Heads et des Smiths. Son disque doit aussi beaucoup au dub et à la new wave ...

En tout cas à l'écoute tonalité rock magnifique ...



Elle était aux transmusicales en décembre 2007 !

Son Myspace

mardi 23 décembre 2008

Le Christ dans la peinture


Nicholas Ge : le Christ à Gethsemani


Bellini, le Christ bénissant

Le Christ a été un sujet qui d'une profonde piété emmenait l'être humain au plus profond de ses sentiments de son humanité. Pas étonnant qu'il ait dès lors donné lieu à des toiles magnifiques de bonté et de beauté, de la part même de certains qui tels nicolas gay ne sont pas forcément orthodoxes.

Ce périple nous emmenera aussi bien en Russie qu'en Italie en Allemagne et à des périodes vraiment différentes.

La qualité des images influencera beaucoup l'aspect des sentiments humains de la plus ou moins grande solitude ou luminosité accompagnant le christ.

Il nous parle tellement de nous que Dürer n'a pas hésité tel un miroir à en faire un autoportrait. Peindre le christ a emmené certains peintres au plus profond de leur talent dans un dialogue qui s'intaurait entre l'homme et le peintre. Ainsi Mantegna ne se séparera jamais de son oeuvre sur le christ mort :



Et au passage, un lien vers la superbe exposition sur Mantegna au Louvre (lien dont la durée de validité tient à l'hébergeur de cette magnifique retranscription de l'expo).

Le Christ peut également être désabusé comme tout être humain devant la difficulté de la tâche, recouvrant, pour un moment de défaitisme, d'improbables pensées sur sa destinée et celle de l'humanité, toujours par Mantegna :



Combien de Christ ont également suscité, servi des changements dans la peinture créatrice, ouvert de nouvelles voies et y voir un hasard me semblerait une erreur. Quand ils ont voulu révolutionner la peinture, par quelle autre voie mieux le faire sentir que par la présence du Christ, renouvellée sur la toile. Kramskoi et plus encore Nicolas Ge ont abouti à ces changements novateurs. Ils sont en ceci des successeurs à Mantegna qui avec son Christ mort avait déjà révolutionné l'art pictural en changeant la présentation habituelle du Christ.


Kramskoï, chef de file des Ambulants


Nicholas Ge : le Christ au Golgotha

Il est évident que j'en ai oubliés beaucoup. J'enrichirai peut-être au fur et à mesure mais il me tenait déjà par quelques exemples de montrer l'importance dans la peinture de l'exemple christique source morale et iconographique des peintres. Parce qu'il est un exemple et parce qu'il est à l'instar de tout être humain. A même de nous parler car nous renvoyant à notre conscience tout en représentant la miséricorde, la morale suprême, incarnée.

Sans compter la sainte face de Zurbaran, aussi appelée voile de Véronique du nom de celle qui a récupéré le linceul entourant le visage du christ au tombeau, lequel apparaît ensuite en transparence. A l'origine d'une foi mystique comme les reliques, le sujet a fait l'objet d'une représentation en peinture saisissante par le maître sévillan :



Otto dix montre le christ à la fois en autoportrait représentant la destinée humaine et confrontée à la première guerre mondiale qui aura profondément marqué l'artiste faisant peser le comment, le fond du message sur la beauté et la forme prises pour l'exprimer, quitte à faire moins beau. Il n'y a pas le choix du comment faire (comme dans ses peintures de guerre allant jusqu'au morbide insupportable des chairs putréfiées, des vers et de la gangrène. Les jambes d'un mort sont constellées de pustules ou de blessures purulentes) quand prime la souffrance à faire passer à travers le visage christique.

Sous le thème "d'une guerre à l'autre", une centaine de dessins du peintre allemand Otto Dix (1891-1969) ont été réunis jusqu'au 30 mars 2003 à Beaubourg. Les scènes décrites, les portraits, les nus dérangent toujours aujourd'hui tant le désespoir y est lancinant. La férocité ironique du trait et l'application à traiter en réalité monstrueuse la montée du nazisme a entraîné la destitution de DIX en 1933 de sa fonction de professeur à l'Académie des beaux-Arts de Dresde. Les nazis lui interdirent d'exposer, comme faisant partie des artistes «dégénérés». Les autoportraits où l'artiste s'identifie au Christ sont toujours hantés par la guerre et la souffrance des suppliciés. Faute d'avoir pu retrouvé ce tableau, je vus joins la vision du Christ qui l'a beaucoup marqué et qui est cité par beaucoup de peintres, celle du retable d'Issenheim :



avec le lien vers wikipedia

Un autre site sur les visages du christ dans la peinture :
parcours artistiques la sainte face

Les bêtises de Jérôme - Volume 1

Voilà une série d'articles qui devrait connaître une longue suite d'opus N'est ce pas frérot ?! Car il est bien connu qu'entre deux frères c'est toujours l'autre qui fait les bêtises En espérant que vous apprécierez cet humour !! Moi j'ai adoré !!


Et une nouvelle façon de ... allez je ne dévoile pas tout !!!

lundi 8 décembre 2008

Les adieux de Diotima à Hypérion


Hypérion est parti combattre pour la libération de la Grèce: cette attente de chacun va sceller la fin de leur histoire d'amour. Cette séparation forte est une retranscription des circonstances et de la souffrance de l'éloignement forcé dans lequel ont été tenus Hölderlin et Suzette Gontard et qui a concouru à leur fin. En ce sens l'oeuvre d'Hölderlin est doublement auto-biographique, l'histoire vécue de leur Amour :

Ô Diotima, ô Alabanda ! créatures nobles et de si calme grandeur ! comment dis-je accomplir ma tâche si je ne veux fuir devant mon bonheur, devant vous ?
Comme j'écrivais, bien-aimée, je reçois ta lettre.
Ne t'afflige pas, pleine de grâce ! Garde-toi à l'abri du chagrin pour les futures fêtes de la Patrie, réserve- toi, Diotima, pour la fête ardente de la Nature, pour les sereines offrandes aux dieux !
Ne vois-tu point, déjà, la Grèce ?
Ne vois-tu point les astres éternels, heureux de ce nouveau voisinage, sourire sur nos villes et nos forêts, la mer antique, à l'aspect de notre peuple flânant sur ses rivages, se rappeler la beauté d'Athènes et nous apporter encore sur ses vagues, comme jadis à ses préférés, le bonheur?
Vibrante jeune fille ! Toi déjà si belle, en quelle exquise gloire fleuriras-tu, quand tu auras trouvé ton vrai climat !

DIOTIMA à HYPERION

Depuis ton départ, cher Hypérion, j'étais restée presque constamment enfermée. Aujourd'hui seulement, je me suis risquée dehors.
Dans l'air favorable de février j'ai cueilli un peu de vie, et ce peu, je te l'apporte. Le léger réchauffement du ciel a pu encore m'aider. J'ai pu goûter encore à la volupté neuve du monde pur et constant des plantes, où toute chose s'afflige ou reprend joie au moment voulu.
Cher Hypérion ! pourquoi donc ne suivons-nous pas nous aussi ces tranquilles chemins ? Hiver et printemps, été et automne sont des noms sacrés, mais nous ne les connaissons point. N'est-ce pas un péché d'être triste au printemps ? Pourquoi le sommes-nous quand même ?
Pardonne ! les enfants de la terre ne vivent que du soleil, je ne vis que de toi, et si j'ai d'autres joies, est-ce merveille que j'aie d'autres peines ? Mais dois-je vraiment être triste ?
Téméraire ami ! faudrait-il que je me flétrisse quand tu resplendis, que je perde cœur quand toutes tes fibres tressaillent du désir de vaincre ? Eussé-je appris naguère qu'un Jeune Grec se dressait pour arracher son peuple à la honte, le rendre à la maternelle Beauté dont i1 est issu, comme ma stupeur eût dissipé la rêveuse brume de l'enfance, comme j'eusse désiré voir ce héros ! Et maintenant qu'il est là, maintenant qu'il est mien, je pleure ? La sotte Jeune fille ! N'est-ce donc pas vrai, n'est-il pas ce héros, et n'est-il pas à moi ? Ô ombres de ce temps radieux, ô vous, chers souvenirs !
Il me semble pourtant que c'était hier, ce soir magique où l'inconnu sacré s'approcha de moi pour la première fois, où, génie affligé, il vint éclairer les ombres de la forêt où rêvait une insoucieuse jeune fille... Il vint dans les souffles de mai, dans les souffles magiques d'Ionie qui me le firent paraître plus rayonnant, dénouèrent ses boucles, ouvrirent les fleurs de ses lèvres, changèrent en sourire sa tristesse... Ô célestes rayons ! comme vous m'illuminiez du fond de ces yeux, de ces sources où dans l'ombre protectrice des sourcils miroite une vie éternelle !
Dieux favorables ! Comme me regarder l'embellit ! Comme il parut grandir dans sa souple fibre ! Seuls ses bras restaient pendants, telles des choses vaines ... De ravissement, il leva les yeux, comme si j'avais été enlevée au ciel ; puis, avec quelle grâce il sourit et rougit de me retrouver devant lui, et quand son œil solaire brilla entre les larmes proches pour demander :
Est-ce toi, est-ce bien toi ? ...
Pourquoi vint-il à moi dans un tel esprit de ferveur, d'amoureuse superstition ? Pourquoi avait-il d'abord baissé la tête, pourquoi, si divin, était-il si avide et si triste ? Son génie était trop radieux pour rester seul, et le monde trop pauvre pour le contenir. C'était une image poignante, tissée de souffrance et de grandeur.
Mais tout est change maintenant, la souffrance est finie. Il a trouvé une tâche, il a guéri.
Mon bien-aimé, quand j'ai commencé cette lettre, je n'étais que soupirs. Je suis toute Joie maintenant. Parler de toi rend le bonheur. Puisse-t-il en être toujours ainsi. Adieu.

Hypérion et Diotima

HYPERION à BELLARMIN
Je fus heureux une fois, Bellarmin ! Ne le suis-je pas encore ? Ne le serais-je pas, même si le moment sacré où je la vis pour la première fois avait été le dernier ?
Je l'aurai vue une fois, l'unique chose que cherchait mon âme, et la perfection que nous situons au-delà des astres, que nous repoussons à la fin du temps, je l'ai sentie présente. Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, Il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu.
Ô vous qui recherchez le meilleur et le plus haut, dans la profondeur du savoir, dans le tumulte de l'action, dans l'obscurité du passé ou le labyrinthe de l'avenir, dans les tombeaux ou au-dessus des astres, savez-vous son nom ? Le nom de ce qui constitue 1'Un et le Tout?
Son nom est Beauté.

[...]

Les yeux de Diotima s'agrandirent, et comme un bouton s'ouvre, imperceptiblement, son visage s'épanouit aux souffles du ciel, ne fut plus qu'âme et parole ; comme si elle allait s'envoler dans les nuages, elle s'allongea doucement de tout le corps, majesté sans poids, touchant à peine de ses pieds la terre.
Ah ! j'eusse aimé l'emporter comme l'aigle fit Ganymède, et m'envoler avec elle au-dessus de la mer et des îles !
Elle fit encore un pas, et considéra la falaise abrupte. Elle prenait plaisir à en mesurer l'effrayante profondeur, à se perdre dans les ténèbres des forêts qui élevaient à ses pieds leurs cimes claires, hors du chaos des rocs et des orageux torrents.
Le parapet sur lequel elle s'appuyait n'était pas très haut Ainsi eus-je le droit de la retenir légèrement, la Ravissante, comme elle se penchait en avant. Un frisson de volupté brûlante me parcourut, tous mes sens se troublèrent, et les mains me brûlèrent comme charbons quand je la touchai !
Et le bonheur de cette proximité familière, le tendre et naïf souci qu'elle ne tombât, la joie de voir sa ferveur ! Tout ce que l'homme a fait ou pensé durant des siècles, qu'est-ce à côté d'un instant de l'amour ? Là est la réussite suprême, la plus haute beauté de la Nature, où tous les degrés de la vie convergent. C'est là notre origine et notre fin.

[...]

HYPERION à BELLARMIN
Je n'ai connu personne qui souffrit moins de manque et jouît d'une plénitude aussi divine.
Comme la houle de l'Océan le rivage des îles bienheureuses, mon cœur inquiet assiégeait le repos de la céleste créature.
Je n'avais rien à lui offrir qu'une âme pleine de contradictions exaspérées, de sanglants souvenirs, rien que mon amour sans limites, ses mille soucis, ses mille espérances tumultueuses ; mais elle m'opposait sa constante beauté, son aisance, sa perfection souriante, et toutes les aspirations, tous les rêves de la condition mortelle, ah! tout ce qu'un genre annonce du haut des zones supérieures aux heures dorées du matin, je le voyais accompli dans la sérénité de cette seule âme.
On prétend qu'au-dessus des étoiles le combat cesse, on nous promet que la fermentation de la vie, une fois notre lie déposée, se changera en vin de joie ; nul ne cherche plus nulle part ici-bas le repos des Bienheureux. Je détiens un autre savoir. J'ai pris un plus court chemin. Je me suis tenu devant elle : j'ai vu la paix divine, et surgir Uranie des gémissements du chaos.

Que de plaintes j'ai fait taire devant cette image ! Que de fois j'ai calmé l'exaltation de ma vie, les élans de mon esprit, rien qu'à regarder son coeur, absorbé dans une bienheureuse contemplation, comme on regarde la source frémir doucement des atteintes du ciel qui se répand sur elle en gouttes d'argent!

Cette âme était le Léthé où je buvais l'oubli de l'existence : auprès d'elle, je me sentais un Immortel, me désavouant avec joie, et souriant, comme au sortir d'un cauchemar, de toutes les chaînes qui m'avaient entravé.

Avec elle je serais devenu un homme heureux,accompli

Avec elle... mais cela ne fut point, et maintenant j'erre en moi-même et hors de moi-même, et encore au-delà, et je ne sais plus que faire de moi ni du monde.
Mon âme est pareille au poisson que l'on a jeté sur les sables du rivage : elle se débat hors de son élément, elle va se dessécher aux feux du jour.
Ah! que ne me reste-t-il un devoir en ce monde ! Que n'y a-t-il une tâche, une guerre qui me ranime !
On raconte que des enfants, jadis, arrachés au sein de leur mère et chassés au désert, auraient été allaités par une louve.
Mon cœur n'a pas eu cette chance.

HYPERION à BELLARMIN

D'elle, je ne puis dire qu'un mot de loin en loin. Si je veux parler d'elle, je dois la mutiler, ou feindre qu'elle ait vécu aux temps anciens et que l'on m'ait seulement parlé d'elle : sans quoi, sa vivante image me ferait périr de ravissement et de douleur, sans quoi je mourrais de joie au souvenir de sa perfection, de chagrin à la pensée de sa perte.

dimanche 7 décembre 2008

La séparation d'avec Alabanda et la tristesse des jours vides

J'étais descendu jusqu'aux lieux où Ephèse, jadis, s'était dressée dans le bonheur de la jeunesse, et Teos, et Milet ; là, j'étais monté jusqu'à Troie, la veuve sainte, avec Alabanda... Comme un dieu, j'avais régné sur lui; avec la tendresse confiante d'un enfant, j'avais obéi à son regard; j'avais goûté avec joie à la saveur de son être, toujours heureux quand je tenais la bride à son cheval ou qu'en de splendides décisions, de hardies pensées, dans le feu des paroles, soulevé au-dessus de moi-même, je croyais toucher son âme !
Maintenant tout était fini. Je n'étais plus rien, on m'avait dépouillé à jamais, j'étais devenu, sans même savoir comment, le plus pauvre des hommes.
“Ô erreur eternelle ! pensai-je, quand l'homme s'arrachera-l-il à tes chaînes ?”
Nous parlons de notre coeur, de nos desseins, comme s'ils nous appartenaient ; mais c'est une puissance inconnue qui nous mène, qui nous couche au tombeau à son gré, et nous ne savons ni d'où elle vient, ni où elle va.
Nous voulons grandir, nous voulons déployer nos frondaisons, mais le sol et le temps commandent, et si l'éclair tombe sur ta couronne et te fend jusqu'aux racines malheureux arbre, qu'y peux-tu ?
Ainsi pensais-je. T en désoles-tu, mon Bellarmin ? Tu en entendras d'autres.
Le plus triste, ami, c'est bien que notre esprit épouse si volontiers les égarements du coeur, retienne si volontiers le chagrin fuyant ; que la pensée qui devrait guérir les souffrances tombe malade à son tour, que le jardinier se déchire si souvent les doigts au rosier qu'il devait planter. C'est pourquoi tant d'hommes paraissent fous à ceux qu'ils eussent normalement gouvernés, comme Orphée ; c'est pourquoi tant de nobles natures sont devenues la risée d'hommes quelconques. L'écueil des préférés du Ciel, c'est que leur amour soit aussi intense et délicat que leur esprit, que les vagues de leur cœur soient plus fortes et plus promptes que le trident dont use le dieu des mers pour les modérer. Aussi bien, ami, faut-il éviter toute présomption.

HYPERION (se confie) à BELLARMIN

Si je te parle de ma longue épreuve, m'entendras-tu, me comprendras-tu ?
Prends-moi tel que je me donne, et songe qu'il vaut mieux mourir d'avoir vécu que vivre de ne vivre pas ! N'envie pas les hommes exempts de souffrances, ces idoles de bois à qui rien ne manque parce que leur âme est misérable, qui ne se préoccupent ni de la pluie ni du soleil parce qu'ils ne possèdent rien qui puisse requérir leurs soins.
Il est facile d'être heureux, d'être calme, avec un cœur sec, un esprit borné. On vous l'accorde : qui donc s'indignerait que la cible de planches, touchée par la flèche, ne gémisse pas, que la cruche vide rende un son si creux quand on la jette contre le mur ?
Vous devriez donc au moins vous résigner, braves gens, et vous étonner sans mot dire, si vous ne pouvez comprendre que d'autres ne soient pas aussi contents que vous ; vous devriez vous abstenir d'ériger votre sagesse en loi : si l'on vous écoutait, le monde finirait.
Je vivais maintenant très paisiblement, modestement, à Tina. Je laissais vraiment passer devant moi les apparences du monde comme brumes en automne ; parfois même, je riais, les yeux humides, de ce cœur qui prenait son vol pour les attraper, comme l'oiseau la grappe feinte ; et je restais doux et tranquille.
Je laissais volontiers à chacun ses opinions et ses défauts. J'étais converti, je ne voulais plus convertir personne; j'éprouvais seulement quelque tristesse à voir des hommes s'imaginer que, si j'admettais leurs bouffonneries, c'était pour les avoir appréciées autant qu'eux. Si je ne voulais pas aller jusqu'à me soumettre à leur niaiserie, j'essayais de l'épargner de mon mieux.
“Puisque c'est leur plaisir, me disais-je, puisque c'est leur vie...”
J'allais même parfois jusqu'à participer à leur comédie ; et, bien que ce fût avec une parfaite indifférence, sans le moindre entrain, personne ne le remarquait, personne ne sentait un manque ; si je les avais priés de me pardonner, ils m'auraient demandé, ébahis : “Mais, que nous as-tu fait ?” Les indulgents...
Souvent même, le matin, quand je voyais venir à moi, de ma fenêtre, le jour affairé, il m'arrivait de m'oublier un instant, de porter mes regards alentour comme si j'allais apercevoir quelque objet à quoi prendre joie, comme autrefois ; mais je me gourmandais, je me ressaisissais, tel celui à qui échappe un mot de sa langue maternelle dans un pays où elle n'est pas comprise : “Où t'égares-tu, mon cœur ?” me disais-je, raisonnable, et je m'obéissais.

Hypérion - Alabanda

La rencontre avec Alabanda, l'Ami d'Hypérion :

“Bonsoir !” dit ce radieux héros en me jetant un regard tendre et fougueux et en me serrant la main avec tant de force que j'en fus pénétré.
L'insignifiance de ma vie avait pris fin.
Alabanda, tel était le nom de l'étranger, m'expliqua que des brigands l'avaient assailli, lui et son serviteur, que c'était lui qui avait repoussé ceux qui m'avaient attaqué et que, ne retrouvant plus son chemin, il s'était vu contraint de rester où je le trouvais. “J'ai perdu un ami dans l'affaire”, ajouta-t-il en me montrant son cheval mort.
Je donnai le mien à son serviteur, et nous continuâmes à pied.
“C'est bien fait pour nous, commençai-je comme nous sortions ensemble de la forêt. Pourquoi avoir attendu pour nous rapprocher ce hasard ?
- Tu admettras pourtant, repartit Alabanda, que ce fut toi le plus froid, le plus coupable. Aujourd'hui, c'est pour te suivre que je suis sorti.
Prends garde, noble cœur ! m'écriai-je. En amour, tu ne l'emporteras jamais sur moi.”
D'instant en instant, notre joie et notre affection augmentaient.
Sur le chemin de la ville, nous arrivâmes devant un khan de belle apparence qui dormait dans le murmure des fontaines, le parfum des prairies et des vergers.
Nous résolûmes d'y passer la nuit. Nous nous attardâmes longtemps encore à la fenêtre ouverte. Une haute paix envahit notre esprit. La terre et la mer n'étaient plus qu'un radieux silence, comme les étoiles au-dessus de nous. C'était à peine si un souffle venait de la mer à notre chambre, jouant tendrement avec la flamme des bougies, ou si nous arrivaient de temps en temps les échos les plus sonores d'une musique lointaine, tandis qu'une nuée d'orage se balançait dans le lit de l'Ether et grondait parfois très loin dans le silence, comme un géant endormi qui halète en de terribles songes. Nos âmes devaient s'attirer d'autant plus fortement qu'elles avaient été toutes les deux contraintes à se fermer. Nous confluâmes comme deux torrents de montagne qui rejettent loin d'eux leur faix de terre, de pierres, de bois pourri, tout cet inerte chaos qui les freine, pour mieux se frayer une voie l'un vers l'autre, puis avancer jusqu'au lieu où, dans un saisissement égal, unis en un majestueux fleuve, ils commencent leur course vers la mer.
Lui, par le Destin et la barbarie humaine jeté hors de son foyer au milieu d'étrangers, dès sa première jeunesse gonflé d'amertume et de révolte, et pourtant, lui aussi, le cœur plein d'amour et du désir de briser sa rude écorce pour accéder à un monde plus clément ; moi, déjà si profondément disjoint de toutes choses, si totalement étranger et solitaire parmi les hommes, les plus secrètes mélodies de mon cœur si dérisoirement accompagnées par les grelots du monde ; moi, la cible de tous les aveugles et perclus, et pourtant trop aveugle et trop perclus encore à mes propres yeux, importun à moi-même par tout ce qui me liait ne fût-ce que de loin aux subtils et aux raisonneurs, aux barbares et aux ingénieux, et si gonflé d'espérance, si impatient d'une vie plus belle...
N'était-il pas fatal que notre rencontre eût lieu dans une tempête de joie ?

L'Amour d'Hypérion et d'Alabanda :

Dès ce jour, nous nous fûmes toujours plus chers et sacrés l'un à l'autre. Une gravité profonde, indicible, mais radieuse, régnait entre nous. Chacun ne faisait plus entendre que le son fondamental, éternel de sa nature, et nous procédions d'une grande harmonie à l'autre sans besoin d'ornements. Notre vie commune était d'une rigueur et d'une hardiesse admirables.
“Pourquoi es-tu devenu si taciturne ?” me demanda un jour Alabanda en souriant.
“Dans les zones torrides, repondis je, près du soleil, les oiseaux ne chantent pas.” Mais en ce monde, tout s'élève et retombe, et, quelle que soit sa force, l'homme n'y peut rien garder.
Un soir, j'ai vu un enfant tendre la main pour attraper
un rayon de lune : la lumière poursuivait indifféremment son chemin. Ainsi luttons-nous pour retenir le Destin dans sa course.
Oh ! pouvoir seulement l'envisager aussi paisiblement, pensivement que celle des astres ! Plus on est heureux, plus on risque l'échec. Les radieuses journées que nous vivions, Alabanda et moi, étaient comme ces cimes escarpées où il suffit que votre compagnon de route vous effleure pour être précipité par-dessus la tranchante arête dans l'abîme obscur.
Nous avions fait une splendide traversée vers Chios, plus heureux que jamais de notre entente.
Tels les souffles au-dessus de la surface des eaux régnaient sur nos têtes les exquises magies de la Nature. Nous nous regardions sans un mot, laissant aux yeux le soin de dire notre émerveillement à nous découvrir ainsi magnifiés par les pouvoirs de la terre et du ciel. Durant la traversée, nous n'avions pas manqué non plus de disputer, avec une sereine ardeur, de mainte question qui nous occupait. Comme d'habitude, j'avais pris joie à suivre cet esprit sur la route hardie où il s'aventurait avec un tel mépris des règles, une gaieté si libre et pourtant, presque toujours, une telle sûreté.
A peine débarqués, nous eûmes hâte de nous retrouver seuls.
“Tu ne peux convaincre personne, dis-je alors dans un élan d'amour. Tu séduis, tu conquiers avant d'avoir ouvert la bouche. Qui t'écoute ne peut douter ; or, qui ne doute point n'a plus à être convaincu.

- Fier flatteur ! s'écria-t-il en réponse, tu mens ! Mais il est juste de me mettre en garde. Tu ne m'as égaré que trop souvent. Je ne voudrais point, pour un empire, secouer ton joug; mais je m'effraie souvent de ne pouvoir me passer de toi, de t'être ainsi enchaîné... Et puisque je suis tout à toi, poursuit-il, il faut que tu saches tout de moi.” Parmi tant de splendeur et de joie, nous avions négligé de nous retourner vers le passé.
Il me raconta sa destinée : je crus voir un jeune Hercule aux prises avec Mégère.
“Me pardonneras-tu maintenant, dit-il en concluant le récit de ses malheurs, seras-tu plus patient pour qui se montre trop souvent rude, acrimonieux, intraitable ?
- Tais-toi, tais-toi ! m'écriai-je, ému. Mais songer que tu es là encore, que tu t'es gardé pour moi...
- Oui, pour toi, dit-il, et je suis heureux de ne point t'être un aliment insipide. Mais si j'ai parfois goût de pomme sauvage pour ton âme) pressure-moi jusqu'à ce que je devienne boisson.
- Laisse-moi, laisse-moi!” m'exclamai-le.
Je me cabrais en vain : cet homme faisait de moi un enfant. Je ne le lui cachai point ; il vit mes larmes, et malheur à lui s'il n'avait pu les voir! “Nous délirons, reprit Alabanda, et nous tuons dans cette ivresse le temps !
- Ce sont nos fiançailles, plaisantai-je, rien d'étonnant que nous nous croyions en Arcadie. Mais laisse-moi revenir à ce que nous disions.
[...]

samedi 6 décembre 2008

Dennis Bergkamp, une étoile venue du plat pays




Il était venu du Nord, sa démarche semblait raide mais dès ses débuts, ses talents facétieux allaient de nombreuses fois entrainer l'enthousiasme et l'assentiment général. Son talent et sa phobie de l'avion lui vaudront un surnom ironique à relier à son talent : the non-flying dutchman, ce qui était la contraction du fait que les supporters le considéraient comme un phénomène volant mais qui justement refusait de prendre l'avion !

Ci-dessous un extrait d'article que je trouve très complet et auquel vous pouvez accéder par ce lien : : Ice and Orange

Il paraît que Nikos Dabizas se réveille encore en pleine nuit, et se met à chercher un ballon autour de son lit. Puis dans l’obscurité se dessine le visage angélique de Dennis Bergkamp, et Dabizas comprend qu’il est de nouveau victime d’un vieux cauchemar. Le défenseur grec n’a pas oublié ce Newcastle-Arsenal du 2 mars 2002. Préposé au marquage de Dennis Bergkamp, il fut aux premières loges d’un but somptueux : le geste technique unique qui a rendu célèbre Dennis Bergkamp, une sorte de grand pont à l'envers avant de battre le gardien d'une frappe croisée.

Les images de ce but extraordinaire ont fait le tour du monde. Elles figurent désormais en bonne place dans la mythologie des fans d’Arsenal. Ce n’est pas la seule action que Dennis Bergkamp a signé de toute sa classe. On se rappelle entre autres de quelle manière il avait rendu fou les défenseurs de la Juventus en improvisant, en pleine Champion’s League, une merveilleuse série de contrôles aux pieds face aux adversaires aux abords de la surface avant de délivrer une subtile passe à Fredrik Ljungberg.

Et puis il y a ce but légendaire de Marseille, dans les dernières minutes d’un quart de finale de Coupe du Monde opposant les Pays Bas à l’Argentine : Avec seulement deux joueurs qui ont touché le ballon et une seule passe entre les deux, sur une longue ouverture de 40 mètres de Franck de Boer, il réalise un contrôle orienté qui déstabilise le défenseur argentin, et enchaîne d’un tir de l’extérieur à bout portant. Le plus beau but de la Coupe du Monde 1998. Quoiqu'on cite également souvent le but de Michael Owen comme étant le plus beau but de la Coupe du Monde 1998.Seul Angel Roa, le gardien argentin qui s’est pris les deux (et qui est entré aux ordres depuis !), pourrait peut-être les départager ...

Dennis Bergkamp est de ces joueurs qui donnait une dimension esthétique au football. Il avait le goût du geste juste qui éliminait l’adversaire. Son toucher de balle portait la marque de la simplicité, qui démontrait que l’élégance avait encore sa place dans ce football de brutes. A l’Ajax déjà, certains de ses gestes avaient le don extraordinaire de faire sourire son entraineur Louis Van Gaal.

A Arsenal, mi-meneur de jeu mi-attaquant, ce dernier inscrira 120 buts (pour 424 rencontres) et donnera au moins autant de ballons décisifs. Fini l’Arsenal ennuyeux, bonjour les trophées : Trois championnats, trois Cups, deux doublés, et surtout une équipe plaisante à voir jouer.

Si Arsenal avait eu la bonne idée de s’imposer en finale de la Coupe UEFA 2000 contre Galatasaray (ça s’est joué aux tirs au but), Dennis Bergkamp aurait réalisé un triplé de choix, puisqu’il avait déjà remporté le trophée avec l’Ajax 1992 et l’Inter 1994 (il a également remporté feu la Coupe des Coupes à l’âge de 18 ans avec l’Ajax). Mais Dennis Bergkamp n’aura jamais eu le palmarès international qu’il méritait et ne parvint enfin en finale de la Ligue des Champions qu'en 2006, alors que le Hollandais avait déjà 37 ans et n’était plus titulaire que par intermittence. La sélection orange, quand à elle, aurait pu lui apporter la consécration. Elle bénéficiait d’un potentiel inestimable (Seedorf, Davids, Kluivert, De Boer brothers, Overmars...), mais l’ambiance, semblait trop souvent délétère. Dommage ...

Dennis Bergkamp, c’est bien connu, avait la phobie des avions, ce qui l’empéchait parfois de se rendre avec son équipe en des destinations trop lointaines. Cela lui évita d’être affublé du surnom de "Hollandais Volant" et par humour dans les travées d’Highbury, on le surnomma le "non-Flying Dutchman". Il fêta toutefois son jubilé en inaugurant un stade portant le nom d’une compagnie aérienne, un pied-de-nez dont on apprécia l’autodérision, même si elle fut certainement involontaire.


Cette première vidéo est très complète en ce qu'elle n'aborde pas uniquement les buts mais aussi le talent de dribbles et de passes du Hollandais



Deux autres video sur le talent de l'intéressé :

A movie of Denis Bergkamp



Bergkamp Masterclass

dimanche 23 novembre 2008

Murat en Musique

Le lien défait live :



Te garder près de moi :



Terres de France :



Col de la Croix Morand :



A quoi tu rêves :

mardi 18 novembre 2008

Jean-Louis Murat

Le Train Bleu


Fort Alamo :




Sentiment nouveau



Perce-Neige



Regrets

lundi 17 novembre 2008

L'Ahmar Khaddou

Un siècle d'administration coloniale

Le quatrième fils du roi des Français Louis-philippe Premier s'empara le 15 mars 1844 d'un magnifique grenier de pierres sèches, appelé “guélaâ de Mchounèche” dans les guides.

L'année suivante – temps nécessaire laissé aux petits sénats locaux (qu'on appelle djemaâ) pour jauger la situation et se concerter -, la province aurésienne fit solennellement sa soumission au prince. Du coup, les vainqueurs, se trouvèrent bien obligés de l'administrer - aventure qui n'était encore jamais arrivée à ladite province. A cette date (nous sommes en 1845) l'armée royale française guerroyait depuis près de quinze ans dans les places et les montagnes du territoire sans frontières qui allait devenir l'Algérie, et les habitants de cette future Algérie étaient considérés à Paris comme intéressants vaillants et exotiques - et nullement comme des bougnouls C'est dire que les officiers les plus intelligents avaient déjà commencé à apprendre les langues du pays et qu'ils portaient le burnous tout en se mettant aux bonnes manières locales. Dans le début de ce chapitre, on a déjà noté qu'une des plus attractives et malicieuses de ces manières était le çoff. Va donc pour le çoff.
En imitation du çoff le massif aurésien fut alors divisé en deux caïdats. Le caïdat était un fief de nature féodale, copié sur l'administration du conquérant qui nous avait précédés c'est-à -dire celle du sultan de Constantinople. Conformément à la mécanique çoff furent établis dans ces deux postes ardus les représentants de deux dynasties traditionnelles ennemies depuis plusieurs générations : un membre de la famille Ben Abdallah et un membre de la famille Ben Chenouf. On a vu que la fonction du çoff était d'amener toute une région à s'entrebattre à la moindre occasion, collective ou privée - village par village, rue par rue, voire maison par maison -, et on imagine aisément que le résultat d'une organisation de ce type va décevoir assez vite un Etat sérieux. Aussi, dès 1850, l'administration militaire renonça à la couleur locale (et aux caïdats par çoffs) et elle divisa l'Aurès en trois régions géographiquement homogènes. Celle qui nous intéresse s'appela alors tribu de l'Akhmar Khaddou et elle engloba les neuf petites unités politiques que les gens du pays appellent 'arch et que l' administration nommait tribu. La << tribu de l Ahmar Khaddou >> fut ainsi un collectif de neuf tribus, très solidement brouillées entre elles. Ce paquet épineux fut d'abord confié à Si Ferhat ben Bou Abdallah, membre d'une des deux familles déjà en poste, puis en 1874 à un fidèle fonctionnaire d'origine turque Si Mostefa ben Bachtarzi.
Après l'assassinat de ce leader par ses administrés, le pouvoir français le remplaça par Si Ahmed - Bey ben Ferhat, de la maison Bou Akkaz. Entre-temps, la longue chaîne aride de l'Ahmar Khaddou - appelée tantôt région, tantôt caïdat, tantôt tribu – était activement parcourue par les Jeunes officiers qui en relevaient la carte ou y délimitaient les frontières de futures communes... Et commençaient ainsi à la connaître. En 1890 lorsque les délimitations intemes et externes de la tribu de l'Ahmar Khaddou furent achevées, les géomètres militaires plantèrent cinquante-cinq bornes le long des deux cent quarante kilomètres de la << frontière > ainsi définie. L'emplacement de ces bornes avait été longuement discuté avec les doyens de chaque àrch réunis pour la circonstance. Ensuite, sur des rochers connus de tous, les numéros des bornes avaient été marqués. De tout cela les Grand-Vieux de ce temps-là furent très contents, et leurs fils ou petits-fils me le dirent - car, comme tous les paysans du monde, ils tenaient avant tout à avoir des bonnes bornes bien marquées sur le sol et dans les écritures. Après la révolution de 1870, l'armée (toujours en retard d'un drapeau - donc suspecte) se vit évincée de l'administration algérienne, du moins dans la partie habitable du pays La région saharienne, incultivable resta confiée aux militaires.

Le Nord algérien, devenu civil, se vit divisé en trois départements gigantesques, puis en arrondissements immenses et en communes grandes comme des départements français. Le département fut alors pourvu de préfets de sous-préfets et d'administrateurs. Il y eut donc en Algérie deux espèces de communes une au Sahara chez les militaires une au Nord chez les civils. Les unes, dites de < plein exercice”, reproduisaient théonquement une commune française (et leur statut permettait aux colons français de conduire sans contrôle une politique d'accaparement des terres), les autres dites “commmles-mixtes >>, étaient gérées autocratiquement par un fonctionnaire, et elles ressemblaient à une commune française comme un lapin de garenne à une vache bretonne. L'Algéne entière en cette ultime fin de siècle, comptait 3 758 000 habitants dits indigènes, 350 000 habitants dits français auxquels on devait ajouter 160000 Espagnols, 36 000 Italiens et 13000 AngloMaltais représentant avec les précédents, 612 000 électeurs à prévoir (ou plutôt environ 300 000, car, au nord comme au sud de la Médlterranée, il n'était pas encore question de faire voter les femmes). A demi transformée en départements, l'Algérie n'en conservait pas moins sa surface habituelle qui était de 209 707 kilomètres carrés de terres habitables et de 1 981 762 kilomètres carrés de terres inhabitables soit en tout à peu près quatre fois la surface de la France.

La commune-mixte de l'Aurès n'avait donc rien d'une commune et rien de mixte, mais telle devint l'étiquette officielle du massif aurésien. Du coup, on ne pouvait plus appeler << communes”, ces treize partitions - que nos ancêtres plus lointains appelèrent << paroisses”. La langue française se révélant dès lors défaillante, notre administraion dut faire appel à l'arabe et elle lui emprunta le mot douar (qui chez les nomades désigne le cercle de tentes à l'intérieur duquel on parque la nuit le troupeau). Le douar administratif fut affublé d'une chefferie. dont le titulaire porta un burnous rouge et le titre de << caïd >>. On a vu que les mlhtmres français choisirent tout d'abord leurs caïds parmi les grandes familles de la région, mais, lorsque j'ai connu celles-ci (en 1934), leurs fils étaient devenus, après soixante ans d'administration civile, de très petits fonctionnaires, accablés de charges, et fort mal payés. En haut lieu, on considérait que la concussion devait suffire à les nourrir. Elle y arrivait quelquefois.
Le douar était divisé en << fractions >> (ferqa). Dans chaque fraction, un personnage appelé ouaqqaf avait la charge de transmettre les ordres du caïd et d' obtenir que la ferqa veuille bien en tenir compte. Ce personnage ne touchait aucun traitement et n'avait aucune autorité. Dans chaque fraction, il y avait toutefois des hommes qui se faisaient obéir mais, à l'époque où j'ai connu l'Aurès aucun d'entre eux n'a été ouaqqaf. Les choses marchaient à peu près parce que le ouaqqaf apparent était souvent un frère cadet ou un neveu de l'homme qu'on écoutait.
Quand, par obéissance à ses vrais chefs un 'arch bronchait sous le joug administratif (en tirant des coups de fusil sur un 'arch ennemi par exemple... ou en labourant un territoire non attribué afin de s'en emparer. . . ou encore en ne dénonçant pas un assassinat - pour ne parler que de cas que j'ai effectivement connus), le ouaqqaf se voyait convoqué à Arris pour une sévère admonestation. Cela ne gênait personne, même pas lui car il savait que c'était son écot à payer pour une très petite gratte qui lui revenait sur les falsifications de l'impôt. De part et d'autre on la tolérait, puisque c'était son unique salaire. Il s'écoula cent trente-deux années, à quelques heures près, entre le 5 Juillet 1830 jour où la ville turque d'Alger fit sa reddition à un roi de France par la Grâce de Dieu et le 1er Julllet 1962 date du référendum qui, pour la première fois dans l'histoire, donna vie à une toute nouvelle grande nation appelée Algérie. Au cours de ces cent trente-deux années de cohabitation franco-algérienne, une très longue suite de générations et d'événements se succédèrent. Politiquement, Paris-la-grande-ville, sans trop consulter ses provinces, renversa tout d'abord deux rois, deux empereurs, et une république la Deuxième. Ensuite, la Troisième République fut étranglée par Vichy, la Quatrième établie par de Gaulle tandis que la Cinqième se voyait mettre sur ses rails grâce aux tumultes d'Alger. Outre ces huit changements de régime, l'Hexagone (que l'on appelait métropole) subissait trois invasions - 1870, 1914, 1940 - non sans être chaque fois soutenu par sa fidèle province algérienne. Le duo avait toutefois commencé par une conquête. Donç des batailles. Parfois même des batailles bled par bled, donc méchantes. Pas toujours cependant, parce que chaque bled était fortement fâché avec ses deux voisins, et qu'avec les voisins les militaires français ont souvent négocié - car les ennemis de nos ennemis sont nos amis.

Vinrent ensuite des années comme les autres, c'est à dire les unes avec pluies et les autres sans pluie...
Puis, une fois par an, un médecin qui vaccinait, une percepteur qui venait chercher l'impôt, le caïd et le ouaqqaf qui relevaient les naissances et les morts ...
Les très mauvaises années, l'administration distribuait du riz.

dimanche 16 novembre 2008

La désobéissance, histoire du mouvement Libération Sud

Ci-dessous un nouvel extrait et hommage au talent de l'historien du mouvement Libération-Sud Laurent Douzou : j'ai tenu à retranscrire l'introduction de son ouvrage consacré à ce mouvement car il éclaire tout à la fois le cheminement de l'historien et des résistants, les faisant coexister dans une recherche difficile et à la recherche de traces ténues, "toutes proportions gardées bien entendu" comme le rappelle L.Douzou. Réflexion sur le travail d'historien pour aboutir à la meilleure histoire possible comme un artisan travaille ses objets avant de les soumettre au public.

Au seuil de cet ouvrage, il paraît utile d'indiquer au lecteur les principaux axes de sa problématique.
Une première constatation est que l'histoire du combat clandestin s'inscrit dans une chronologie courte : 1940-1944. Cette existence fulgurante, presque insignifiante à l'échelle historique, commande d'être extrêmement attentif à la datation des événements qu'on relate et qu'on commente. L'histoire de Libération-sud s'insère dans une phase à la fois si dense et si brève qu'il faut sans cesse prêter une attention particulière aux changements qui l'affectent. A période courte et foisonnante maturation accélérée. tel est en somme le postulat de base qu'il importe de retenir si l'on veut éviter d'abusives simplifications. Entre juillet 1941 date de la parution du premier numéro du journal Libération et juillet I 943,il ne s'écoule que deux années ; mais que de changements intervenus dans ce laps de temps ! Quelle mutation entre le petit groupe fondateur et le mouvement de juillet 1943 ! On a coutume dans les ouvrages didactiques, pour des raisons pédagogiques estimables et compréhensibles, de marquer chaque année de cette histoire de courte durée d'une phrase synthétique. Charles d'Aragon s'amusait de cette tendance en ces termes : « on lit généralement dans les manuels scolaires qu'en 1942 la Résistance s'organise ''. C'est faire trop bon marché des efforts antérieurs. La chronologie de l'action résistante est continuellement en marche, avec une intensité que les temps paisibles ignorent. Libération-Sud par exemple, découle en droite ligne de La Dernière colonne sans laquelle il n'aurait tout simplement pas vu le jour. Le même constat, avec des variantes naturellement, vaut autant pour Petites Ailes Liberté et Combat que pour France-Liberté et Franc-Tireur, les deux autres grands mouvements de zone sud.
A l'intérieur de cette chronologie courte, le devenir, la personnalité les hommes et des femmes engagés dans l'action, leurs opinions et leur comportement évoluent très rapidement. Et l'on ne saurait, là encore, sous peine de schématiser au point de tout tronquer, trop insister sur ce point. Un homme comme Serge Ravanel par exemple, surtout connu pour avoir été le chef FFI - fort jeune et irradiant une autorité peu ordinaire - de la région R4 en 1944, est toujours présenté comme un communiste issu des rangs de Libération-sud. Et sans doute était-il fort proche du parti communiste en 1944. Mais à son entrée dans le mouvement Libération, en septembre 1942, ce jeune polytechnicien était plutôt de droite et peu au fait, c'est le moins qu'on puisse dire, des subtilités de la politique. Serge Ravanel, qui la première fois s'était présenté à son “travail” ganté et engoncé dans son plus beau costume, a, en deux ans, comme tant d'autres, effectué un de ces parcours qu'on n'accomplit pas en une vie dans des circonstances ordinaires.
Mais les temps que vivaient les résistants n'étaient en rien ordinaires.
Pascal Copeau avait choisi d'intituler ses Mémoires, restés inachevés et inédits : Une vie en cinq ans. Ce n'était pas une formule. ou plutôt c'était bien là une de ces formules ramassées, puissamment suggestives, dont cet homme intuitif et fin avait le secret. Oui, en période de chronologie courte, quand l'action vous absorbait tout entier, vous intimant l'obligation d'aller au-delà de vous-même et de vos capacités ordinaires, quand il fallait agir et décider vite, prendre des décisions lourdes de conséquences sans toujours disposer de tous les éléments d'appréciation, cinq années valaient bien une vie. Jacques Bingen, dans une lettre-testament rédigée le 14 avril 1944, moins d'un mois avant son arrestation, le confirmait en évoquant sa “vision heureuse de cette paradisiaque période d'enfer”, : “11 n'y a pas un homme sur mille qui pendant huit jours de sa vie ait connu le bonheur inouï, le sentiment de plénitude que j'ai éprouvé en permanence depuis huit mois” . Pour chaque résistant, écrivait de son côté Jean Cassou, la Résistance a été une façon de vivre, un style de vie, la vie inventée.
Aussi demeure-l-elle dans son souvenir comme une période d'une nature unique, hétérogène à toute autre réalité, sans communication et incommunicable, presque un singe. Et ce qui est vrai des hommes ne l'est pas moins des organisations qu'ils suscitèrent, aménagèrent, renforcèrent et tentèrent de développer avec un soin jaloux. Plus encore que la longue durée, la chronologie courte doit décomposer les étapes qui conduisent à un résultat donné - le mouvement Libération-Sud tel qu'il apparaît en juillet 1943 par exemple. On pourrait lui appliquer cette analyse qu'on doit à la plume de Sartre : “Toute vérité, dit Hegel, est devenue. On l'oublie trop souvent, on voit l'aboutissement, non l'itinéraire, on prend l'idée comme un produit fini sans s'apercevoir qu'elle n'est rien d'autre que sa lente maturation, qu'une succession d'erreurs nécessaires qui se corrigent. de vues partielles qui se complètent et s'élargissent.”
Le concept de chronologie courte doit être au cœur de l'étude d'une organisation clandestine dans une époque de maturation accélérée.
Etablir une chronologie sûre des faits qui constituent la trame de l'histoire du mouvement est la condition sine qua non pour ne pas céder au travers contre lequel l'historien britannique Harry Kedward met très justement en garde, celui d' “anticiper sur l'avenir ,” en présentant les divers individus, groupes ou mouvements.

Cette idée d'un mouvement en devenir, dont les formes changent et s'adaptent à une situation évoluant vite, qui modifie au gré de la conjoncture les modalités de son action, naviguant à vue en somme, me conduit au second axe de ma problématique : une réflexion sur la nature d'un mouvement de résistance. Comment définir un mouvement ? A cette question, des réponses ont déjà été apportées. Mais il m'a paru nécessaire, à travers l'évocation de ce que fut l'histoire de Libération-sud, d'aller plus avant dans cette voie. Faute de consentir à cet effort, on présente trop souvent les relations entre les différents mouvements de zone Sud - et au-delà - comme essentiellement conflictuelles, les réduisant à des querelles de personnes avides de pouvoir. Loin de moi l'idée de gommer les tensions bien réelles, les rivalités exacerbées entre dirigeants. Mais ces discussions, si vives qu'elles aient été, ne peuvent se résumer à de médiocres et petites manœuvres. Réfléchir sur la nature des mouvements, c'est s'autoriser à comprendre ce que les conflits si souvent - si complaisamment parfois - relatés avaient, pour emprunter , encore une fois un mot à Pascal Copeau. de “profond”. D'ailleurs, s'il y eut des affrontements, je ne les dissimulerai pas. Non seulement ils ne ternissent d'aucune manière l'honneur des résistants, leur restituant même un peu de cette humanité qu'une canonisation prématurée effacerait, mais encore ils contribuent, eux aussi, à éclairer l'essence des mouvements. Les enjeux étaient assez importants pour qu' une discussion, des éclats et des ruptures se produisent. C'est là un fait admis de tous. On essaiera de montrer . que le caractère même des mouvements est un facteur d'explication qui ne doit pas non plus être sous-estimé.
Chaque mouvement avait une personnalité marquée, une originalité dont il prenait une conscience accrue au fil des mois et des années.
Hormis les écrits, source indiscutable, imprimés sous la responsabilité de chaque mouvement, on peut faire appel pour cerner leur personnalité à une analyse sociologique. Enrichissante pour les niveaux de responsabilité clairement définis, cette analyse ne peut être envisagée pour tout le mouvement, ne serait-ce que parce que beaucoup des militants et surtout des sympathisants de la base soutenaient les mouvements en diffusant indifféremment - ce qui ne veut bien entendu pas dire sans passion et sans conviction - tous les journaux. On n'était pas alors de Libération. de Franc-Tireur ou de Combat, mais de la Résistance. Instructive, éclairante, la sociologie d'un mouvement présente cependant des limites certaines. On s'est efforcé de tenir compte de ce constat en essayant d'ébaucher une anthropologie de la vie dans le mouvement ; “le mode d'être résistant, son habitus multiple, ses solidarités, ses contradictions ; le rôle du mythe ...”. Dans cette optique, et dans le souci de ne pas . étiqueter, selon la formule de Marc Bloch, “à tour de bras, des tiroirs vides”, j'ai été attentif à incarner cette histoire. En effet, au-delà des traits communs, dictés par les exigences de la vie clandestine et les conditions d'un combat difficile, on pourrait soutenir la thèse selon laquelle - dans ses strates supérieures au moins - chaque mouvement élaborait et vivait une forme de résistance qui lui était propre.
Mais tout mouvement se définit aussi dans le domaine idéologique et politique par les positions qu'il défend. L'attitude prise par Libération-sud vis-à-vis du régime de Vichy, de la France Libre et de son chef, de la nature de l'action à mener en France, des autres mouvements de résistance, de la question de l'unification, des conditions de la libération du territoire ct de la politique à mettre alors en œuvre, des forces politiques et syndicales traditionnelles, tout cela doit être passé au crible et bien d'autres questions encore.
Sur tous ces points, on peut consulter une sorte de juge de paix qui rend un verdict devant lequel on ne peut que s'incliner, entendez la littérature clandestine. C'est la source principale constituée de tout un cortège de papillons, de tracts, de circulaires internes - pour ce qu'il en reste - et avant tout de la collection des numéros du journal.

Comment convenait-il, un demi-siècle plus tard, de rendre compte d'une réalité complexe, changeante et aussi difficile à appréhender ? Mon choix a été d'accorder la primauté à la chronologie.
Dans une première partie, j'ai analysé l'émergence du mouvement, non sans avoir au préalable dressé un état des lieux et tenté de montrer combien les conditions objectives et psychologiques étaient défavorables à toute velléité de désobéissance et d'opposition. Phase capitale, puisque tout s'y noue, fort mal connue aussi, propre pour cette raison même à l'esquisse d'une hagiographie, riche en pièges de toutes sortes.
De l'automne 1940 au mois de mars 1941, tout se joue pour La Dernière Colonne qui n'est pas encore devenue Libération-sud. En dépit de sa brièveté et de ses maigres résultats, la gestation et la petite enfance de l'organisation clandestine exigeaient d'être analysées à part entière jusqu'à la césure majeure de mars 1941. Si la première partie de ce livre fait figure de parent pauvre à côté des deux suivantes, elle ne fait que refléter une gestation délicate et des premiers pas hésitants. L'historien, au fond, est ici logé, toutes proportions gardées bien entendu, à la même enseigne que son sujet de recherche ! Rien n'y fait pourtant : tout s'est joué là, répétons-le, dans cette phase embryonnaire, dont tous les mécanismes ne nous sont pas intelligibles, ni les péripéties connues. L'embryon qui a pris vit alors, jour après jour, vaille que vaille, était fragile sans doute, mais avant tout viable.
La deuxième partie. qui va du printemps 1941 au tout début de 1943, est sensiblement plus étoffée, à l'image du mouvement dont elle examine le développement. Après une période de transition (mars-juillet 1941), où la volonté du noyau rescapé de l'expérience de La Dernière Colonne est tout entière tendue vers l'objectif de la parution d'un journal, qui s'appellera Libération, un mouvement émerge en une année (juillet l94l-juillet 1942), essaimant enfin hors des quelques grands centres où le petit groupe comptait des amis depuis le début. De juillet à décembre 1942, dans ce semestre décisif qui précède la fusion, le mouvement engrange tous les dividendes d'un capital qui a crû dans des proportions inespérées. Le Centre dirigeant du mouvement bénéficie en premier de ce processus. Des éléments de valeur viennent s'y agréger dont j'ai dressé la liste et tracé l'itinéraire. Outre l'apport de ces recrues de l'été 1 942, j'ai tenté de comprendre le mode de fonctionnement du Centre d'autre part. Il ne suffit pas, en effet, d'énumérer les nouveaux arrivants de l'été 1942, il importe aussi de démonter, autant que faire se peut, les mécanismes qui régissent le mode de fonctionnement de la communauté qui les accueille.
Ce serait une erreur fondamentale, à la lumière de la progression dont je viens de présenter les temps forts, que de concevoir cette histoire comme celle d'un développement linéaire, harmonieux et euphorique. Derrière une sérialisation nécessaire, qui vise à décortiquer et à expliciter les étapes d'un processus subtil, qui rend compte également d'une montée en puissance impressionnante mais tout bien considéré tardive, il faut toujours percevoir ce que cette histoire eut de heurté, de conflictuel, d'imparfait.
Le rythme de croissance du mouvement atteste que la courbe en fut rien moins que régulière. Le lecteur en jugera par lui-même. Sans doute sera-t-il surpris de voir que la structuration des services centraux du mouvement ne s'est opérée qu'assez tard, dans le courant de 1942, la plupart du temps dans la deuxième moitié de l'année... alors que la fusion était prochaine. On se gardera d'en inférer que rien ne fut fait avant le deuxième semestre de l'année 1942. Il se passe, plus simplement, que toutes les initiatives antérieures se concrétisèrent, donnèrent leur plein effet, après une longue période de latence,soudainement.
Risquons tout de suite une hypothèse pour expliquer ce jeu d accordéon; le mouvement ne s'est pas construit, ex nihilo, indépendamment du terreau sur lequel il semait et entendait récolter. Ce que traduit l'accélération de l942, c'est le réveil graduel d'une opinion jusqu'alors anesthésiée dans sa grande masse. Après avoir prêché “en pays de mission” en 1941, bien que les premiers signes de décantation soient apparus dans le second semestre de cette même année, la résistance put de plus en plus faire fond sur une opinion, passée d'un attentisme d'opposition à Vichy à un attentisme de solidarité complice avec la Résistance. Les mouvements de résistance inventaient leur mode d'être et d'agir au fur et à mesure qu'ils croissaient et en fonction de l'accueil que leur réservait la population. Cette réalité est essentielle pour qui veut s'essayer à comprendre des modalités d'action complexes et diffuses.
Après ce long exposé introductif, le moment est maintenant venu d'entrer dans cette histoire singulière, difficile et - qu'on me permette de le dire - attachante.
Un dernier mot toutefois : Pascal Copeau a eu l'occasion de dire un jour. avec une pointe de regret amer et cette touche d'ironie dont il ne se départait que rarement, évoquant la difficile rencontre entre les acteurs de cette histoire et les historiens : “Que les historiens se rassurent, de toute manière, ce sont eux qui auront le dernier mot”.
Mon souhait, au seuil de cette histoire, sera de ne pas avoir le dernier mot au sens où il l'entendait.
Historien d'un mouvement auquel les philosophes Jean Cavaillès et Pierre Kaan donnèrent le meilleur d'eux-mêmes au nom d'une morale exigeante qui leur dicta le devoir de désobéissance dans un combat où la signification des valeurs les plus essentielles s'inversait, dans une période où. comme le proclamait hautement un tract de Libération : “La désobéissance est le plus sage des devoirs”, je rappellerai volontiers, pour clore ce préambule, cette parole déchirée de Vladimir Jankélévitch, qui n'avait rien de commémoratif au sens banal du terme et qui peut réunir historiens et acteurs de ce temps de la clandestinité : “Si nous cessions d'y penser, nous achèverions de les exterminer, et ils seraient anéantis définitivement. Les morts dépendent entièrement de notre fidélité”.

jeudi 13 novembre 2008

L'Icone une école du regard

Il fallait bien qu'un visage ...




La tradition romaine nous offre des représentations du Christ imberbe (fresques du cimetière de Calliste du début da IIIe siècle ou des catacombes Saints-Pierre-et-Marcellin à Rome de la fin du IIIème siècle)alors que les traditions orthodoxes conservent quelques-uns des traits historiques du Christ : la barbe et les cheveux longs, par exemple, signes de son inscription dans un lieu et une culture. Le Christ ressemble ici davantage à un jeune prophète sémite qu 'à Orphée descendant aux Enfers ou à un empereur romain.Une légende est à l'origine de cette icône dite Achéropoietes (c'est-à-dire non faite de main, d'homme) selon laquelle la première icône du Christ fut envoyée par le Christ lui-même au roi Abgar V Oukhama, prince d'Ossoeme, royaume dont la capitale s 'appelait Edesse. Le roi Abgar V, lépreux, souffrait tant qu il demanda à son archiviste, Hannan, de trouver le Christ pour lui demander de le guérir. Ce dernier ne pouvant se déplacer, Hannan décida de réaliser son portrait, mais s 'avéra incapable d'aboutir dans son projet : si grands que soient l'art et l'habileté d'Hannan, il ne pouvait saisir le visage du Christ.Jésus Lui-même prit alors un linge, l'appliqua sur Son visage, y imprimant ses traits. On appela ce linge mangdylion. Lorsque le roi regarda la précieuse icône, non faite de main d'homme, il guérit. Le petit-fils d'Abgar étant retourné au paganisme, l'évêque de la capitale royale fit murer ce que l'on nommait désormais la “Sainte Face”. Chosroès, roi des Perses, assiégea la ville en 544 mais, grâce aux prières adressées à l'empreinte du Christ, Edesse fut épargnée. Les Arabes s'emparèrent de la ville en 630, mais ne mirent pas fin à la vénération de la “Sainte Face”. De leur côté, les Pères du septième Concile œcuménique de 787 et saint Jean Damascène y firent référence. L'icône devint ensuite l'objet de marchandages : les empereurs de Byzance, Constantin Porphyrogénète et Romain Ier l'achetèrent en 944 au prix de deux cents prisonniers sarrasins et douze mille deniers d'argent. Le 16 août, on célébrait le transfert de l'icône à Constantinople. Mais en 1204, lors du sac de la ville par les croisés, la Sainte Face disparut. C'est à cette époque que, en Occident, naquirent les légendes concernant une sainte femme qui, en essuyant le visage du Christ sur le chemin du Golgotha aurait gardé sur son linge les traces de sa beauté et de sa souffrance : il s agit du fameux “voile de Véronique”, dont le nom en grec signifie simplement “vraie icône”(vera ikona). Le Christ de cette icône Achéiropoietes apparaît comme “flottant” dans un linge, sans cou ni épaules. Il illustre ainsi les légendes du roi Agbar et de “sainte Véronique”; il nous rappelle également que chacun de nous est un tissu, un linge plus ou moins pur sur lequel peut s'imprimer la présence du Christ, celui qui est venu donner un visage aux sans-visages.

samedi 8 novembre 2008

Et ... elle est Lavalloise !!!!

Ruta Pauskaskiene est championne d'Europe 2008 de tennis de table en simple dames, titre conquis à Saint-Pétersbourg.

Elle possède la tenue mauve en finale :



L'équipe de l'Us Saint-Berthevin - Saint Loup du Dorat possède la meilleure joueuse européenne de tennis de table !

Et en plus dans la vidéo on a la chance d'apercevoir son très beau visage !!

Et les petits malins feront attention à regarder l'évolution du score, qui explique le soulagement de Ruta quand elle gagne finalement.

vendredi 7 novembre 2008

Les filles de saint-berthevin en coupe d'europe !


la Lituanienne Ruta Paskauskienne, la Russe Oxana Fadeeva, la Chinoise Jianan Yuan entrainées par la Française Solène Legay

Le 8 novembre 17 h : 1/8ème de finale de coupe d'europe dames : plus de deux mille personnes attendues pour l'évènement





Près de deux mille spectateurs sont attendus dans la grande salle du Cosec de Saint-Berthevin ce samedi 8 novembre à 17 heures, pour la réception du club russe du SC “Luch” Vladimir en 1/8e de finale de la Coupe d’Europe. Ce sera le grand jour pour l'Entente Saint-Berthevin/Saint/Loup et aussi pour tout le tennis de table de la Mayenne. Ce serra un moment historique pour tous et pour la Mayenne qui se retrouvera que très rarement à ce niveau de la compétition. Et il y a fort à parier que l'on parlera longtemps dans les chaumières de cette rencontre. N'en est-il pas toujours ainsi des deux rendez-vous européens du Stade Lavallois de la belle époque.
L’équipe de Vladimir s’annonce très forte, avec An Zi , une joueuse chinoise invaincue lors des deux tours qualificatifs, et trois joueuses russes de bonne renommée : Irina Armakova, Anatasiya Kolstsova et Ekaterina Novikova. La lutte s’annonce donc serrée, mais l'équipe de l'Entente emmenée par la championne d’Europe Ruta Paskauskiene entourée d’Oxana Fadeeva et Jia Nan Yuan et capitainée par Solène Legay, ne voudra certainement pas s’en laisser conter...

jeudi 6 novembre 2008

Barack Obama et le rêve américain

Ce que j'ai trouvé de meilleur sur la campagne américaine, et qui me fait dire après beaucoup d'autres que cette campagne est exceptionnelle, car elle a opposé des archétypes moraux de Mc Cain à Obama et à Michelle Obama, des personnages typiques de positions et de valeurs américaines très fortes et qui représentent parmi ce que peut fournir de mieux le peuple américain en son sein.

Le documentaire qu'il faut voir sur la campagne électorale américaine, un magnifique documentaire qui met bien en évidence la force de ces deux personnages, leur grandeur qui a fait de cette campagne une si grande opposition. Avec la force de ces deux personnages, je dis bien les deux, notamment de savoir reconnaître leurs erreurs. Deux personnes qui n'ont dépendu que d'eux pour déterminer leur conduite, leurs actions quand bien même cela les a isolés parfois. Ce documentaire m'a rendu Obama très sympathique mais Mc Cain également et peut-être encore plus, notamment pour ses faiblesses avouées (sentimentales) et ses forces (son courage moral au Vietnam par exemple).

Quelques réactions sur ce documentaire pour prouver comment il est bien et comment qui commence à le regarder ne peut plus s'arrêter !!

D'ailleurs il n'est en français sur le site d'Arte que 7 jours après sa diffusion de mardi ; après je dispose du lien vers le documentaire uniquement en anglais : à bon entendeur !!! ou à qui veut améliorer son anglais ...

deux postulants à la présidentielle américaine

Le Duel 2008

Le meilleur article sur Obama et son lien avec la question raciale : un article brillant comme rarement qui apporte beaucoup à la compréhension de l'Amérique et du positionnement d'Obama conscient et inconscient, à l'origine de son succès.

Barack, l'écrivain : un article qui rappelle les écrits d'Obama sur sa vie, avant qu'il ne pense à postuler à la présidence des USA.

Michelle ... Obama, prête pour le job et devenue plus sage, moins sarcastique pendant la campagne : elle sera grande alors qu'on lui demande pour l'instant de rester sage et limite introvertie !! Une femme trop critiquée par rapport à son talent ! Attention, grande talent et grande valeur en perspective !!

Le discours du 18 mars sur la race.

Obama, le militantisme et les nouvelles technologies.

"Jusqu'à mon dernier jour je n'oublierai jamais que mon histoire n'aurait été possible dans aucun autre pays au monde"

Clin d'oeil !


samedi 1 novembre 2008

La Cimade

La Cimade, organisation protestante et oecuménique



L'Histoire de la Cimade



Le rôle au quotidien de la Cimade, ici, à Nantes



L'opposition au nouveau décret instituant un appel d'offres pour l'assistance juridique dans les centres de rétention



La décision rendue par le tribunal administratif de Paris le 30 octobre 2008:



L'analyse de la Cimade sur la position du gouvernement



Le nouvel appel d'offres (décision du ministère de l'immigration du 31 octobre)



Un autre projet du ministère de l'immigration mis en cause suite à l'intervention de la Cimade :




L'immigration et l'ecole



Où signer la pétition contre l'appel d'offres qui modifie les conditions d’intervention dans les centres de rétention administrative (CRA) quant à l’aide à l'exercice des droits des étrangers


Le Gisti

Le site du Gisti : Groupe d'information et de soutien des immigrés


Une présentation du Gisti :

- sur wikipedia

- sur le site du Gisti

Le RSA discriminatoire contre les étrangers et les enfants : une récente position de la Halde suite à une intervention du Gisti


Le délit de solidarité

La loi Sarkozy qui revisitait une énième fois les ordonnances de novembre 1945 sur le droit des étrangers (à tel point qu'on peut dire à la suite du constitutionnaliste G.Carcassonne que la chasse à l'étranger est devenu un sport national en France) a si fortement aggravé les sanctions envers les personnes aidant les étrangers qu'elle constitue une menace pesant sur toutes les initiatives individuelles ou associatives d'aide et de soutien aux étrangers.

Institué initialement pour lutter contre les réseaux qui aident les étrangers à entrer ou se maintenir illégalement sur le territoire, le délit « d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour d'un étranger en situation irrégulière » a aujourd'hui un champ tellement large que les immunités protégeant les proches parents, et sous certaines conditions les associations, apparaissent bien illusoires.

Face à l'aggravation, dans la réforme voulue par le ministre de l'intérieur de l'époque, en 2003, des sanctions punissant ce délit, des associations ont cherché à interpeller l'opinion sur l'incrimination de l'aide et du soutien aux étrangers, en inventant l'expression « délit de solidarité ».

La loi du 26 novembre 2003 s'inspire de trois textes internationaux dont elle transpose certaines dispositions : le protocole contre le trafic illicite de migrants, additionnel à la Convention des Nations unies du 12 décembre 2000 contre la criminalité transnationale organisée, la directive CE n° 2002/90 du 28 novembre 2002 et la décision-cadre complémentaire à cette directive.

Tout d'abord le champ d'application géographique de l'article 21 est étendu. Les personnes se trouvant en France ou hors de France pourront être poursuivies si elles aident des étrangers à entrer, circuler et séjourner sur le territoire des États parties au protocole contre le trafic illicite de migrants.

Les peines complémentaires sont aggravées. L'interdiction de séjour et la suspension du permis de conduire sont encourues pour cinq ans (au lieu de trois). La confiscation de tout ou partie des biens des personnes condamnées est désormais possible. Ce sont enfin les sanctions qui sont fortement aggravées (dix ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende) dans un certain nombre de circonstances : commission de l'infraction « en bande organisée », ou « dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente », commission « au moyen d'une habilitation ou d'un titre de circulation en zone réservée d'un aérodrome ou d'un port », commission ayant « comme effet, pour des mineurs étrangers, de les éloigner de leur milieu familial ou de leur environnement traditionnel ».

En revanche, plusieurs dispositions importantes de la directive du 28 novembre 2002 ne sont pas introduites. En cas de séjour irrégulier, le texte européen exige que l'infraction soit commise dans un but lucratif. Bien plus, il laisse aux États la possibilité de ne pas sanctionner l'infraction lorsqu'elle a « pour but d'apporter une aide humanitaire à la personne concernée ». Or, ni la condition de « but lucratif », ni la clause humanitaire ne sont reprises dans le texte français. Selon le rapporteur du projet à l'Assemblée nationale, « le gouvernement estime souhaitable, en effet, que le principe de la sanction de l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers ne souffre aucune exception qui risquerait d'en atténuer la portée ou d'en restreindre l'efficacité ». L'objectif est clairement affiché.

Avant même que la loi ne soit votée, d'ailleurs, on a vu se multiplier les poursuites dans des cas témoignant d'une interprétation très large de l'article 21. À la mi-février 2003, par exemple, le responsable d'une communauté Emmaüs a passé une journée en garde à vue parce qu'il avait refusé de « livrer » un Algérien débouté de l'asile territorial hébergé par la communauté. Il l'avait même aidé à échapper aux policiers venus, au petit matin, l'arrêter sur la base d'un arrêté de reconduite à la frontière. L'association Emmaüs s'est vivement émue de l'incident.

Sans qu'il y ait eu aide à la fuite d'un étranger poursuivi par la police, mais simplement pour avoir hébergé des personnes sans titre de séjour, un directeur de foyer Sonacotra en Corse, une gérante de foyer dans le Vaucluse, d'autres encore, dans les mois suivants, seront également placés en garde à vue. Excès de zèle de policiers locaux ? Ou tentatives d'intimidation, destinées à faire craindre à toutes les structures dont la vocation est de fournir un hébergement à ceux qui sont à la rue des poursuites si elles ne distinguent pas entre sans-papiers et résidents réguliers ?

La répression frappe non seulement des responsables d'institutions du secteur social, mais aussi des particuliers, émus par le sort de migrants en détresse. On s'éloigne de plus en plus de l'esprit de la directive européenne, et des propos rassurants du ministre. À Calais, après la fermeture du camp de Sangatte, le collectif d'associations C'SUR qui soutient depuis des années les « réfugiés », comme ils les nomment, distribue soupes populaires, vêtements et couvertures, et produits de première nécessité. Il n'est pas inquiété pour ces actions, qui ont lieu au grand jour.

Mais certains des membres du collectif en viennent à d'autres gestes : certains accueillent chez eux des exilés ou encaissent pour le compte d'exilés l'argent que leur famille leur envoie, parce que ces derniers ne parviennent pas à ouvrir des comptes à leur nom. Le 22 avril 2003, la police débarque au petit matin chez l'un d'eux, Charles Frammezelle, dit Moustache. Placé en garde à vue, il est mis en examen au titre de l'article 21. L'abbé Boutoille, doyen de Calais, déclare : « À travers "Moustache", c'est l'action du collectif qui est visée pour cacher le silence et l'indifférence des hommes politiques et l'échec de l'après Sangatte. Ceux qui devraient passer en justice sont ceux qui ne portent pas secours à des hommes en danger ».

Après le dénommé Moustache, un autre habitant de Calais, Jean-Claude Lenoir est à son tour poursuivi pour les mêmes motifs, son domicile est perquisitionné, et il est envoyé en comparution immédiate au tribunal de Boulogne-sur-mer. De même, deux Afghans sont emprisonnés pour avoir perçu des mandats Western Union pour le compte de tiers : la police estime que cet argent devant probablement servir à payer les services de passeurs, les intéressés se sont rendus complices des passeurs. Ceux que le pouvoir veut faire condamner sont ceux qui révèlent l'échec et l'inhumanité de la politique menée à Sangatte. Et le procureur de Boulogne, Gérald Lesigne, déclare que dans ces affaires « on dépasse le cadre de l'humanitaire. »

Nicolas Sarkozy, ayant pris connaissance du Manifeste des délinquants de la solidarité, a demandé au Gisti de faire suivre aux signataires du manifeste (!) un courrier dans lequel il dément vouloir, par son projet de loi, poursuivre les associations qui œuvrent dans un but humanitaire. Il invoque la « bienveillance » dont ses services ont toujours fait preuve à l'égard de ceux qui ont des objectifs non condamnables. Mais l'incrimination peut continuer à susciter les inquiétudes des milieux associatifs, qu'il s'agisse d'associations qui s'occupent d'aide aux personnes démunies, ou de défense des droits des étrangers. Elle peut également inquiéter toute personne qui par solidarité apporte une aide, de quelque forme que ce soit, à une personne étrangère en situation irrégulière.

Accueillir chez soi, nourrir, prêter ou donner de l'argent, renseigner… Où s'arrête le délit d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers ? Bien sûr, si le juge pénal est saisi, il jugera in concreto, et c'est lui qui appréciera les critères de la loi. Mais si le ministre, puis le législateur ont voulu donner à ce texte une forme sujette à une aussi large interprétation, est-ce pour ne pas s'en servir ? Le ton est donné et la menace plane : les ennemis de la politique de la nation, répressive à l'égard des étrangers, sont clairement désignés comme des ennemis de la nation.

Extrait de la publication du GISTI, Plein Droit n° 59-60, mars 2004,
« Acharnements législatifs », Délit de solidarité, Violaine Carrère et Véronique Baudet (ethnologue ; juriste).


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