dimanche 31 août 2008

John Woo - Chow Yun Fat

J'ai eu l'occasion de regarder un nouveau film de John Woo hier : à toute épreuve.

Encore un film génial dans la même veine que the killer par le honk-kongais, qui navigue habilement entre film d'actions et parodie de films d'actions, en réussissant simultanément les deux paris, qui semblent contradictoires !

Des scènes que seul le cinéma asiatique ose : comme dans the killer, une scène d'action se déroule dans un hôpital et même au sein d'une maternité, avec toujours le propos, même au milieu des échanges de balles, de préverser non seulement la vie mais aussi la sérénité des bébés. C'est ainsi qu'on voit Chow Yun Fat le héros des deux films se livrer ici à une comptine improvisée pour endormir le bébé qu'il porte dans les bras, pendant qu'il se livre à un duel acharné, arme au poing.

Pour autant, le film est très sérieux sur le souhait de vaincre à tout prix son ennemi et à conserver intact un code d'honneur. C'est bizarre comme un autre film récent que je viens de voir, il s'agit d'une histoire d'infiltration !!!

Les scènes de combat asiatiques sont toujours aussi sanguinaires et volontairement filmées ainsi avec des corps qui explosent à bout portant sous la pression des revolvers. Et des arrêts sur images qui posent certains moments clés pour prendre le recul sur la grandeur morale ou la lacheté du combat des uns et des autres.

Mais Chow Yun Fat n'a pas tout à fait le profil d'un gunfighter et son style inimitable (on va voir en Asie du « Chow Yun Fat » tellement l'acteur se définit par son genre) résulte d'une cool attitude, fort bien résumée sur Cinémasie
La dérision sur soi-même en même temps qu'on est très sérieux et qu'on livre un combat moral « mort ou vif », avec un code d'honneur intransigeant, est la marque de fabrique de la réalisation de John Woo : comme quand l'acteur principal commence à prendre feu, suite à un incendie et que le bébé éteint son pantalon en faisant pipi au bon moment !!!

Loin des stéréotypes du petit chinois bondissant adepte de karaté, Chow Yun-Fat est le parfait héros romantique. C’est John Woo qui a fait de lui une authentique star, avec tout d’abord les Syndicats du Crime, mais surtout avec The Killer.

Chow Yun-Fat possède une présence et une classe rare. Il n'a pas vraiment la physionomie classique pour un acteur asiatique, ni les capacités martiales. Il a appris en contre partie à utiliser son physique assez imposant qui fait de lui une gravure de mode (voir le début du Killer). Les quelques polars qu'il a tournés avec John Woo à la fin des 80's lui ont permis de créer un véritable style Chow Yun-Fat. Basé aussi bien sur la décontraction (voir Le Syndicat du Crime) que sur la gravité romantique (The Killer), la patte Chow Yun-Fat est indissociable de tous ses rôles depuis 10 ans. Ce qui fait que Yun-Fat n'a pas un répertoire aussi vaste qu'un Tony Leung ou un Leslie Cheung, qui peuvent jouer des rôles de composition très divers. Mais les fans se déplacent le plus souvent autant plus pour voir du Chow Yun-Fat (décontraction, berettas...) qu'un rôle vraiment nouveau. Ce qui ne l'empêche pas de parfois s'essayer à autre chose.

le style CYF (marque déposée), est défini par un terme: la coolitude. CYF est le mec le plus cool de la planète, tout le monde sait ça. Il suffit de le voir dans un Syndicat du Crime ou Tiger on the Beat pour comprendre pourquoi on le surnomme The Coolest Man in the World. Du coup je rapprocherai bien Chow Yun Fat pour ses allers-retours entre dérision humoristique et gravité romantique, des ocean eleven et suivants, sur un ton moins léger, avec un code d'honneur autour de l'amitié plus marqué cependant.

A voir ce lien très juste sur les "ustensiles" préférés de l'acteur de John Woo :

les accessoires de Chow Yun Fat

Quelques photos de l'acteur :










samedi 30 août 2008

L'Arche de Noé - Marie-Madeleine Fourcade

Je suis heureux que mon centième message honore modestement cette héroïne de la Résistance qu'est Marie-Madeleine Fourcade, en citant le quatrième de couverture de l'Arche de Noé, si évocateur de cette aventure hors du commun :

Pour brouiller leurs traces, les membres du réseau Alliance ne se connaissaient que sous des noms d'animaux, Aigle, Hermine, Rossignol, Tigre. Les Allemands les appelaient "L'Arche de Noé".
Trois mille soldats de l'ombre, cent postes émetteurs, une liaison aérienne tous les mois avec Londres, "L'Arche de Noé" a été selon le général de Gaulle "l'un des premiers et plus importants services de renseignement sous l'Occupation".
Fonctionnant sans interruption en France de 1940 à 1945, l'Arche a fourni aux Alliés des renseignements aussi précieux que l'existence des armes secrètes, l'emplacement de leurs rampes de lancement, le mouvement des escadrilles fascistes et des ravitailleurs allemands pendant la bataille du désert, celui de U-Boot dans l'Atlantique, la carte complète des plages du débarquement du 6 juin. Le roi George VI a pu dire que c'était "notre plus grande organisation indépendante de renseignement opérant en France".
Marie-Madeleine Fourcade avait trente ans quand elle participa, dès 1940, à la création de l'organisation de résistance qui allait devenir l'Alliance. Elle restera à la tête du réseau jusqu'à la fin des hostilités et a le rare privilège d'être le seul témoin vivant tout au long du "combat des animaux" contre le III ème Reich.
La qualité unique des archives utilisées explique pourquoi "l'Arche de Noé" donne, malgré le nombre de livres sur la Résistance, une impression de jamais lu.
Construite de main de maître avec le riche matériau de faits réels vécus par l'auteur, vouée à l'évocation d'êtres auxquels des évènements exceptionnels ont forgé un destin hors série, "L'Arche de Noé" est une bouleversante aventure qui se compare aux plus grands romans de la littérature contemporaine.


Les héros de la Résistance ont toujours été mes héros et nul besoin de romans quand leurs vie à eux, réelles, sont si pleines d'émotions, de courage et d'audace.

Mes Héros sont des personnes réelles, et je leur voue une admiration sans égale. Ils ont associé le courage physique au courage moral et leur parole me semble toujours actuelle, en se demandant comment eux auraient agi dans la société actuelle.

Si nous ne saurons jamais ce que nous aurions été à l'époque, nous pouvons entendre leur audace et leur courage moral (autant la crainte d'être torturé(e) et de parler, de trahir que celle d'un affrontement physique)pour nous interroger et vouloir être aussi bons qu'eux quand nous rencontrons des situations difficiles, lorsque nous nous interrogeons sur des questions sociales, morales ou autres dans notre vie quotidienne ou l'actualité. Ce qui n'est pas facile, ni garanti de succès et toujours remis sur l'ouvrage. La morale est sans provision !

Ils constituent un tel exemple auquel nous fier. Leur courage a été autant moral, d'intelligence (ne pas renoncer...en 1940, "en conscience émerger" comme dirait Aubrac quand tout pousse à accepter la défaite évidente, qui se matérialise par la vue de l'uniforme allemand dans toutes les villes françaises)que physique.

Marie-Madeleine Fourcade est l'une des plus grandes héroïnes de la Résistance, de par l'envergure de ce qu'elle a construit, grâce à son "intelligence - intuition" et son sens de l'organisation éprouvé déjà avant-guerre.

Une femme de 30 ans à la tête du plus grand réseau de renseignements opérant en France, avec également la Confrérie Notre Dame du colonel Rémy , à 30 ans, en 1940 !! Destin d'une femme extraordinaire !

J'aurai l'occasion d'évoquer d'autres biographies de Résistants illustres, autres Héros de ma galaxie, mais j'ai la sensation d'avoir commencé par l'une des plus brillantes héroïnes de la Résistance française.

Vous l'aurez compris, ces grands Résistants sont pour moi une référence morale en même temps que la plus grande source d'admiration jaillit en moi à leur évocation.

Hérisson, une Héroïne et Dirigeante de la Résistance



La photo de Marie-Madeleine Fourcade jeune héroïne et dirigeante de la Résistance française

Je vous invite d'abord et très fortement à lire sa biographie posthume, publiée dans le journal Le Monde lors de son décès, qui synthétise et décrit bien l'activité de cette femme hors du commun : femme dont l'histoire est romanesque mais qui a su garder la tête froide et le sens de l'organisation, femme héroïque qui a su s'imposer dans des circonstances particulières à des hommes et s'est retrouvée à la tête du principal réseau de renseignement des services secrets britanniques en France, lesquels ne surent pas tout de suite que ce chef était ... une femme !

Article biographique posthume du journal Le Monde


- L'article biographique le plus détaillé et précis disponible a été rédigé par l'historienne Michèle Cointet (faisant notamment ressortir les sentiments de l'intéressée aux divers moments de son histoire : très intéressant et bien écrit) :

Conférence du Professeur Michèle Cointet sur Marie- Madeleine Fourcade, Chef du réseau Alliance

Je ne peux m'empêcher cependant d'en citer un long extrait relatif à son courage et aussi à son 6ème sens, qualité développée dans la clandestinité comme chez d'autres résistants. Cette intuition est indéniable, tellement furent peu nombreux les chefs résistants de 1940 à rester actifs jusqu'à la fin du conflit, face à la dureté et l'accroissement de la répression :

*Le réseau Alliance après l’Occupation de la zone libre :

L’année 1943 est une année terrible pour la Résistance, les Allemands occupent entièrement la France. Leurs services de sécurité – la Gestapo avec la complicité de la police de Vichy – sont particulièrement efficaces en achetant et manipulant des agents doubles qui désorganisent bien des mouvements de Résistance et des réseaux de renseignement. A cette époque, les Anglais estiment qu’un chef de réseau ne peut pas durer plus de huit mois : Marie-Madeleine Fourcade tiendra 31 mois grâce à l’excellence de la préparation du travail clandestin, de la complicité de plus en plus active de la population française, « des planques », de sa mobilité dans toute la France avec une équipe réduite à deux personnes – sa secrétaire « Hermine » et son radio « Pie » - et peut- être grâce aussi à une grande intuition. En dépit de cette répression et de toutes les difficultés rencontrées, la recherche du renseignement continue comme au printemps 1943 où un membre du sous réseau des Druides , dirigé par Georges Lamarque, apprend de Jeanie Rousseau par une source familiale que des armes secrètes sont essayées en Allemagne. L’agent d’Alliance en Allemagne est averti, confirme l’existence de ces essais par un rapport qui est envoyé en juin 1943 aux Anglais. Plus tard, au printemps 1944, ce sont encore des membres du réseau Alliance qui communiqueront aux Britanniques les emplacements des bases de lancement des fusées V1 et les V2 qui bombarderont Londres.

Après plus de 31 mois de tension extrême, Marie-Madeleine Fourcade accepte enfin de partir pour l’Angleterre afin d’y rencontrer les responsables de l’Intelligence Service en juillet 1943. Triste séjour pour le chef d’Alliance :en août elle apprend qu’à son retour d’Angleterre l’un de ses premiers et fidèles compagnons le Commandant Léon Faye a été arrêté, à la suite à la trahison de Jean-Paul Lien. 150 membres du réseau tombent à l’automne 1943. Une partie d’entre eux sera jugée par le Tribunal de guerre du Reich, au cours d’un procès spectaculaire à Fribourg-en-Brisgau le 28 juin 1944. Les condamnés à mort sont fusillés le 21 août ou, comme Léon Faye, assassinés. La répression fait des ravages dans les rangs du réseau et chaque mois apporte son lot d’agents de femmes et d’hommes arrêtés. Eloignée, elle assiste ainsi impuissante à la destruction d’Alliance, au début de 1944 il ne reste plus que quatre-vingt agents actifs. Les Britanniques le retiennent à Londres, pour sa sécurité et celle du réseau. Sa biographe se demande si le ralliement final de Marie-Madeleine Fourcade au B.C.R.A du colonel Passy, par ailleurs inévitable après la création du C.F.L.N. désormais maître des services spéciaux et le bailleur de fonds, n’a pas été favorisé par l’impression qu’il lui laisserait une plus grande liberté que les anglais et favoriser son retour en mission en France. C’est chose faite en juillet 1944 en Provence. Arrêtée par les Allemands elle réalise une extraordinaire évasion nocturne, se glissant grâce à sa minceur et avec beaucoup d’efforts à travers les barreaux d’une salle du rez-de-chaussée de la caserne Miollis d’Aix-en-Provence ce qui lui permet d’éviter à ses compagnons de tomber dans une souricière.


- Je vous propose sinon une biographie plus sommaire quoiqu'assez complète, par Charles-Louis FOULON (Encyclopaedia Universalis) Source: Mémoire et espoirs de la Résistance :

Née le 8 novembre 1909 à Marseille, Marie-Madeleine BRIDOU est élevée dans des institutions religieuses. En 1937, elle est secrétaire générale d’un groupe de publications dirigées par le commandant Georges LOUSTAUNAU-LACAU. C’est de ce saint-cyrien qu’elle recueille la charge du réseau Alliance dont elle fait, au service de l’Intelligence Service britannique, l’Arche de Noé, forte de trois mille agents dont quatre cent trente-huit mourront pour la France.

Issue de la grande bourgeoisie, l’ancienne responsable du périodique L’Ordre national s’aperçut vite que trop de ses anciennes relations rêvaient de "tâches de rénovation en commun" avec les occupants nazis. À Vichy, elle fut envahie par "une douleur pétrie d’humiliation et de rage impuissante".

Chef d’état-major clandestin de LOUSTANAU-LACAU qu’elle remplace après son arrestation, elle ne remet jamais en cause le principe d’une affiliation directe "aux Anglais qui seuls conduisaient la guerre", et ce n’est qu’en avril 1944 que le S. R. Alliance est intégré aux services spéciaux de la France combattante. Les femmes et les hommes d’Alliance veulent livrer un "combat sans idole", complémentaire de l’action nationale du général de GAULLE, mais ils sont plus dans la ligne du général GIRAUD qu’ils aident à quitter la France. Les questions de souveraineté nationale ne sont pas du ressort de ces techniciens du renseignement. Après la guerre, elle deviendra d'ailleurs gaulliste à part entière.

Le S.R. (Service de Renseignement) Alliance organise le quadrillage en secteurs de la zone non occupée pour recueillir des informations, faire tourner des courriers, organiser le passage d’hommes et de renseignements tant à travers la ligne de démarcation qu’à travers la frontière espagnole. Le cœur du réseau est la centrale de renseignements où s’analysent les données recueillies et se préparent les missions en fonction des demandes britanniques. Opérationnelle à Pau au début de 1941, elle fonctionne ensuite à Marseille puis à Toulouse avec un P.C., un point de chute, des points d’hébergement et de filtrage. Les six personnes du noyau de base de juin 1940 se retrouvent plus de cinquante dès la Noël de 1940. "Unis dans l’allégresse d’une confiance inébranlable", ils sont les recruteurs de près de trois mille agents. La conception des noyaux – une source, une boîte aux lettres, un transmetteur, un radio pour les urgences - donne des résultats très positifs, même si les insuffisances du cloisonnement facilitent la répression.

Dès l’automne de 1941, pour le réseau de M.-M. FOURCADE, ce sont six émetteurs radio qui transmettent à Londres et s’esquisse d’une aérospatiale clandestine par avions lysanders.

Ce sont les agents de liaison qui sont chargés des services les plus ingrats : "des milliers de kilomètres par voie ferrée, des attentes interminables aux rendez-vous, des transports à vélo incessants de plis et de matériel compromettants".

Dévouement et sens de l’organisation donnent des résultats. Les renseignements s’ordonnent par secteurs : air, mer, terre-industries-résultats de bombardements-transports en cours d’opération-psychologique-politique.

Les indications sur les U-Boot présents en Méditerranée, sur ceux des bases de Lorient et de Saint-Nazaire servent à la guerre anti-sous-marine conduite par les Alliés pour protéger les convois de l’Atlantique. D’autres renseignements facilitent l’interception des renforts italiens envoyés à Rommel, permettent la connaissance précise des travaux de l’organisation Todt pour le mur de l’Atlantique et la mise au point d’une carte renseignée détaillée pour la zone du débarquement en Normandie (elle faisait 17 mètres de longueur !). Tous les auteurs de cette carte tombent ensuite aux mains de la police allemande, Gibet dans le langage codé du réseau. Ils sont massacrés à la prison de Caen, le 7 juin 1944.

Le premier des quatre cent trente-huit martyrs du réseau est Henri SCHAERRER, fusillé le 13 novembre 1941 pour avoir livré de précieux renseignements sur les sous-marins allemands.

L’Abwehr, la Gestapo et la police française provoquent des hécatombes à l’automne 1943 : plus de trois cents arrestations paralysant cinq centres émetteurs. Le réseau paye un lourd tribut d’arrestations, de déportations, de morts.

Malgré la peur et le chagrin, l’Alliance – aussi dénommée par les Allemands Arche de Noé car tous les membres portaient des noms d’animaux – se resserre autour de Marie-Madeleine FOURCADE, alias Hérisson.

Des opérations en lysanders et en sous-marins, des émissions de radio manifestent que le réseau continue. Après trente-deux mois de clandestinité, Hérisson rejoint Londres, où elle s’irrite des "antagonismes criminellement puérils des services secrets" et perçoit que ses camarades ne sont que "la chair à canon du Renseignement". C’est une des raisons qui la fait revenir sur le terrain, en Provence, avant le débarquement d’août 1944 et qui l’incite à poursuivre des missions dans l’Est après la libération de Paris.

En juin 1944, soixante-quinze agents principaux, huit cents secondaires, dix-sept postes travaillent.

La victoire de 1945 permet de découvrir des charniers d’agents, et Hérisson plonge dans un "abîme de douleur" pour établir le sacrifice de quatre cent trente-huit des siens, du benjamin Robert BABAZ (20 ans) à la doyenne Marguerite JOB (70 ans) et au doyen quasi octogénaire, Albert LEGRIS, ou à des familles entières, tels le père et les trois fils CHANLIAU, agriculteurs.

Pour Marie-Madeleine FOURCADE, les survivants sont la priorité absolue. Elle contribue à arracher un statut pour les veuves et les orphelins ; en 1948, on en compte dix-huit mille dépendant du comité des œuvres sociales de la Résistance.

Elle fait homologuer les trois mille membres de son réseau et les actions de ses héros qui ont lutté dans l’ombre, librement disciplinés, "l’imperméable pour uniforme".

Elle continue à travailler pour l’Intelligence Service qu’elle avertit de menées communistes en 1946-1947. Elle se lance surtout dans l’aventure gaulliste dès 1947 et a été l’une des représentantes R.P.R. à l’Assemblée des Communautés européennes en 1981-1982.

Présidente du Comité d’Action de la Résistance à partir de 1963, Marie-Madeleine FOURCADE fédère dans ce comité une cinquantaine d’associations ou d’amicales d’anciens résistants. Elle contribue à éclairer la réalité du nazisme et du génocide juif. C’est dans cette perspective qu’elle est, en 1987, témoin à charge au procès BARBIE. Elle y fait preuve de la même vigueur que dans ses luttes passées et dans le récit des activités de son réseau paru chez Fayard, en 1968, sous le titre "L’Arche de Noé".

Marie-Madeleine FOURCADE a lutté jusqu’au bout, en militante, notamment pour une solution pacifique de la crise libanaise. Elle est morte le 20 juillet 1989. Première femme dont les obsèques ont eu lieu en l’église Saint-Louis-des-Invalides, à Paris, où son corps, porté par des soldats du contingent, fut salué par les tambours de la garde républicaine, Marie-Madeleine FOURCADE a ainsi reçu un hommage exceptionnel. Au-delà de l’affliction personnelle exprimée par le Président de la République, la présence aux Invalides de toutes les tendances de la Résistance a marqué qu’elle restait un emblème unificateur de l’Armée des ombres, fidèle au message du commandant Faye, son bras droit dit Aigle, compagnon supplicié : « chassez les bourreaux, servez la France pour y faire revenir la paix, le bonheur, les chansons, les fleurs et les auberges fleuries ».

Pour compléter ce dossier consacré à Marie-Madeleine Fourcade, vous pouvez également

- écouter un entretien d'une heure trente minutes avec Michèle Cointet, historienne, auteur de la biographie sur Marie-Madeleine Fourcade

- Un document historique sur le réseau Alliance, avec la dernière lettre de Aigle et le récit de sa fin (pp. 5-7)

- La revue de presse à la sortie de l'Arche de Noé, avec notamment l'article de F.George dans Le Monde.

- Son Who's who : Épouse du général et Compagnon de la Libération Edouard MERICjusqu'en juin 1947, remariée avec Hubert FOURCADE, officier de la 13ème demi-brigade de la Légion étrangère, le 20 novembre 1947 à Montargis, mère de cinq enfants (Christian, Béatrice, Florence, Jacques et Pénélope), "Hérisson" était commandeur de la Légion d’Honneur, décorée de la médaille de la Résistance avec rosette, croix de guerre française et belge avec palmes, Order of British Empire  (OBE), officier de l'ordre de Léopold (Belgique) et de l'ordre Dzenia Polski (Pologne), commander of veterans of Roreign Wars (USA).


L'enclos paroissial de Kizhi : photos
























Pré-compte-rendu du voyage en Russie !!!

Pour suivre mon périple en Russie :

- la météo à Arkhangelsk : Brrrh !!

- un bref aperçu des excursions à effectuer en Carélie


L'enclos paroissial de Kizhi :

- Un diaporama sur Kizhi :

- Des présentations sur Kizhi :
l'internaute.com
tsar voyages
le site officiel de kizhi
le site de nordic travel


- Des photos sur Kizhi :


Une photo de l'hôtel ou je vais faire dodo à Petrozavodsk :



et le site internet de l'hôtel :



Le monastère de Valaam :

Une photo de Valaam :



Les présentations sur les Solovki :

le site de nordic travel

tsarvoyages

site de la région d'Arkhangelsk

Des photos sur les Solovki :

1ère série de photos

2ème série de photos

site russe sur les solovki

le musée des Solovki(avec deux webcams !)


mardi 26 août 2008

Le chant des partisans



wiki !!!!!

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme.
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes.

Montez de la mine, descendez des collines, camarades !
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades.
Ohé, les tueurs à la balle et au couteau, tuez vite !
Ohé, saboteur, attention à ton fardeau : dynamite...

C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères.
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère.
Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves.
Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève...

Ici chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe.
Ami, si tu tombes un ami sort de l'ombre à ta place.
Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute...

Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu'on enchaîne ?
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh...


L'affiche rouge - hommage au groupe de Missak Manouchian



2000 ans d'histoire - l'affiche rouge - audio

article de wikipédia

ou comment une propagande eut le résultat inverse de celui attendu : grâce à l'affiche rouge, ceux-ci ont quitté leur anonymat et sont entrés dans l'histoire et nous parlent encore aujourd'hui

la résistance des juifs au sein de la FTP-MOI

Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant

Un réseau très recherchéLe réseau des FTP-MOI a été fondé en mars 1942 par Boris Holban (34 ans), de son vrai nom Bruhman. Issu d'une famille juive qui a fui la Russie pour la Bessarabie puis la France, Boris Holban s'engage en 1939 dans un régiment de volontaires étrangers. Fait prisonnier, il réussit à s'évader grâce au réseau d'une religieuse de Metz, Soeur Hélène (François Mitterrand bénéficiera du même réseau).

En mars 1942, Boris Holban met sur pied les FTP-MOI parisiens avec des équipes de Roumains, de juifs polonais et d'Italiens sans compter un détachement spécialisé dans les déraillements et des services de renseignement, de liaison et de soins médicaux. Au total 30 combattants et une quarantaine de militants.

De juin 1942 à leur démantèlement en novembre 1943 par les Allemands de la Brigade Spéciale des Renseignements généraux (BS2), les FTP-MOI commettent à Paris 229 actions contre les Allemands. La plus retentissante est l'assassinat, le 28 septembre 1943, du général SS Julius Ritter, qui supervise le Service du Travail Obligatoire (STO), responsable de l'envoi en Allemagne de centaines de milliers de jeunes travailleurs français.

En août 1942, la direction nationale des FTP enlève la direction des FTP-MOI à Boris Holban car celui-ci refuse d'intensifier le rythme de ses actions. Il juge non sans raison que le réseau est au bord de la rupture. Il est remplacé à la tête du groupe par Missak Manouchian. Suite à une trahison, celui-ci est arrêté par la police française avec plusieurs de ses amis le 16 novembre 1943, à Évry Petit-Bourg, sur les berges de la Seine. C'en est fini des FTP-MOI.

Rappelé par les FTP en décembre 1943, Holban retrouve et exécute le traître. Après la Libération, il s'en retourne en Roumanie où il devient colonel puis général. Mais le dictateur Ceaucescu le déchoit de son grade et l'envoie travailler dans une usine jusqu'à sa retraite. Revenu en France, il sera décoré de la Légion d'Honneur le 8 mai 1994 sous l'Arc de Triomphe de l'Étoile par le président Francois Mitterrand


La dernière lettre de Manouchian.

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.

Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.

Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.

Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.

Manouchian Michel.

P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.


lundi 25 août 2008

La Résistance aux Glières




mardi 19 août 2008

Une Algérie des années trente (1)

Puisque l'ethnologie a plus de succès que l'ésotérisme, Ha Ha Ha !!!, continuons le récit de notre jeune « Aurésienne » !

L'ethnologue qui aborde un territoire inconnu doit toujours se présenter aux autorités politiques du lieu en observant un ordre décroissant : le soleil d'abord (en l'occurrence le gouverneur général), ensuite les planètes (un bon nombre de hauts fonctionnaires et le préfet) puis les satellites des dites planètes.

De ces diverses visites j'ai gardé le souvenir de réceptions où la bienveillance ironique n'était pas marchandée aux visiteurs – un peu plus bienveillante et un peu plus ironique lorsque c'étaient des visiteuses.

D'abord plusieurs hauts fonctionnaires vous accordaient successivement vingt minutes dans des bureaux à trois fenêtres. Pourquoi trois fenêtres dans tous ces bureaux directoriaux ? Le nombre de fenêtres de chaque bureau correspondait à une hiérarchie civile aussi sourcilleusement observée dans la haute administration algérienne que le nombre de galons dans les casernes. Aujourd'hui dans l'Algérie indépendante gageons que les fenêtres éclairent toujours par trois car les empires passent et les gouvernements et les hommes mais les fenêtres restent et avec elles les hiérarchies ...

Après Alger on se présentait au préfet de Constantine puis au sous-préfet de Batna et enfin au vice-roi de la commune-mixte de l'Aurès c'est à dire d'une immense province. A partir de Constantine, visiteurs et visiteuses étaient invités à dîner.

Batna était une des plus consternantes fabrications urbaines françaises : un hôtel et trois ou quatre petits commerces que tenaient des pieds-noirs, expression non entendue à cette époque pas plus d'ailleurs que celles de bougnoul ou bicot, ce qui ne prouve rien sinon que ces appellations n'étaient en tout cas pas usuelles.

Les propriétaires de ces magasins, Français nés en Algérie, hommes âgés ravitaillaient depuis de longues années les chefs des grandes familles « indigènes » de la région, ils en parlaient donc avec grande considération et les servaient avec empressement. Leurs fils en revanche et les nouveaux venus alignaient des jugements peu amènes tandis que chez leurs petit-fils du moins dans les premiers mois de la guerre d'Algérie j'ai souvent constaté une répartition inverse des sentiments : des jeunes Français nés en Algérie qui fraternisaient avec leurs copains musulmans tandis que dans la génération des pères on s'ignorait avec affectation.

A Alger puis Constantine puis à Batna on nous avait recommandé de ne pas nous écarter du centre administratif d'Arris ou à la rigueur et pour un bref séjour du grand bordj de pierre de Menaâ.

Tous les autres territoires aurésiens sans gendarme sans colon sans route étaient considérés par eux comme impropres à la vie, aptes à nourrir microbes et accessoirement une population accordée de façon native à cet étonnant compagnonnage. Population elle même peu recommandable d'après les on-dit mais aussi les statistiques de morts violentes.

Entre Batna et Arris une route pittoresque et bien entretenue permettait chaque jour à un autocar (stationné à Arris et connu sous le nom d' « autocar de Bébert » de faire l'aller retour Arris-Batna dans la journée).

En 1954, cet autocar joua un rôle dans le déclenchement de la guerre d'Algérie car la famille Benboulaïd ayant tenté de créer une ligne concurrente en fut empêchée par l'administration et jura vengeance ...)

Arris était la capitale de l'Aurès et l'Aurès était une province qui nourrissait en 1931 57623 habitants soit environ 14 000 familles dites indigènes et une trentaine de familles dites françaises.

Sous Napoléon 3, le territoire aurésien avait été découpé en treize circonscriptions destinées à devenir des communes et calibrées de telle sorte qu'elles devaient pouvoir s'administrer elles-mêmes.

Plus tard la République imagina très malencontreusement installer des colons venus d'Europe dan les meilleures vallées très peuplées de l'Aurès. L'entreprise échoua mais non sans quelques assassinats préalables. A la suite de ces mécomptes, l'étiquette étrange de commune-mixte fut donnée à l'immense province aurésienne. Quant aux treize futures communes indigènes, jamais nées, jamais indépendantes, jamais libres, elles devinrent des douars et furent autocratiquement gérés par des caïds.

A l'intérieur de ces douars existaient antérieurement d'autres unités que les Français appelaient tribus mais que les personnes indigènes nommaient 'arch, terme arabe qui signifie le peuple.

Ce arch se divisait en fractions dites ferqa n arable. Chaque 'arch et certaines fractions dissidentes adhéraient à des sortes de ligues que les gens de langue française, de langue arabe et de langue berbère appelaient çoff.

Dans l'Aurès et même bien au-delà, deux ligues étaient en place et quand je fis leur connaissance elles se répartissaient à travers le pays à peu près comme en France notre Droite et notre Gauche c'est à dire de façon à se neutraliser.

Les trente familles françaises se répartissaient en quatre fois plus de fonctionnaires que de colons. Malheureusement les fonctionnaires presque exclusivement recrutés parmi les colons partageaient trop souvent leur parti pris et cela joua un rôle en 1945 dans les sinistres massacres de Sétif, donc dans la naissance neuf ans plus tard de la guerre d'Algérie.

En 1934, les six familles de colons vivaient très pauvrement à Foum-Toub ; les autres, celles des fonctionnaires se cantonnaient principalement à Arris qui avec ses 13 foyers coloniaux détenait le gros de la minorité dominante.

A Arris on voyait d'abord l'administrateur principal et sa famille car en ces temps là un administrateur principal avait les pouvoirs d'un duc du XIV ème siècle, tempérés seulement par trois ans d'éducation administrative. Régnant sans parlement, avec un supérieur hiérarchique qui était à la fois assez lointain et un ancien collègue, en l'occurence le sous-préfet de Batna, tout dépendait de sa bonne ou moins bonne nature.

Dans le corps préfectoral on considérait que le temps du sous-préfet était le temps des circulaires et des soucis tandis que celui d'administrateur adjoint celui de toutes les corvées. Entre ces deux mues de la profession s'intercalait une phase royale, celle d'administrateur principal. Les bons sujets rêvaient du bien qu'ils feraient alors (et qu'ils firent) mais les paresseux et les autoritaires ne rêvaient pas moins et agirent aussi.

Cet heureux fonctionnaire habitait un petit palais qu'on appelait le Bordj au coeur d'une région belle où tout sauf la pluie dépendait de son bon vouloir, du moins à l'époque dont il est ici pour l'instant question.

Immédiatement sous ses ordres deux adjoints puis le secrétaire de la commune mixte. Ensuite en vrac: un instituteur, un architecte, deux institutrices, un médecin, une infirmière, une postière, six gendarmes (dont quatre Européens).

En 1934 tout ce monde était marié mais comme une des institutrices était la femme de l'architecte, il restait quatre épouses désoeuvrées à part celles des gendarmes que je n'ai jamais vues. Les maisons occupées par ces neuf familles étaient comme la poste ou la gendarmerie construites en belles pierres blanches taillées et appartenaient à la commune-mixte qui les louait à la nomenklatura française.

Outre le bordj, les huit villas les sept batiments publics et le car de Bébert on pouvait admirer à Arris trois autos : celles de l'administrateur principal, du médecin et de l'architecte.

Et 57 623 chaouiäs qui en 1927 avaient célébré 1 454 naissances et on en dénombra neuf ans plus tard en 1936 2 691. C'est dire que leur natalité avait presque doublé en moins de 10 ans.

Trois fonctionnaires seulement résidaient hors d'Arris : à Menaâ, un ménage d'instituteurs et à Tkout un garde forestier corse et célibataire. J'ai connu ce dernier l'année de sa retraite et son poste resta vacant ensuite jusqu'en 1939 non sans raison.

Il convient en effet de savoir que les natifs de Tkout ne pouvaient pas vivre sans leurs chêvres et que les chêvers n'avaient rien à brouter en dehors d'une forêt interdite par la sagesse française et par le garde en question dont c'était d'ailleurs l'unique raison d'être.

Les Grands-Vieux de Tkout (le mot berbère qui signifie Vieux a également le sens de Grand, important, puissant) hommes pondérés admettaient que le garde leur fasse un nombre « raisonnable » de procès, puisqu'il n'était là que pour cela. Mais il ne devait pas outrepasser un chiffre idéal, non précisé. Sous peine de mort.

Il ne l'outrepassa point, et ainsi se tira vivant de ses délicates fonctions mais dans le reste de l'Algérie tous ses collègues n'eurent pas sa chance. Ou sa sagesse. Ou son expérience insulaire. Car dans l'île de Corse comme dans l'Aurès on paie en sang les mauvaises manières et de ce fait on y apprend tout petit à bien regarder où l'on met les pieds).

Les quelques personnes qui vivaient dans la province aurésienne sans appartenir à la catégorie indigène, colon ou fonctionnaire se comptaient sur les doigts d'une seule main.

Tout d'abord l'indispensable Bébert, poumon du village-capitale ou du moins de son élément féminin désoeuvré – rappelons à leur sujet que le minuscule village européen d'Arris ne comprenait ni épicier, ni boulanger, ni boucher ni aucun commerce et qu'en ces temps lointains la télévision n'existait pas.

[...]

A Arris, le petit clan français maintenait ses hiérarchies avec une rigueur de brahmanes : les fonctionnaires ignoraient les colons et ne se fréquentaient que dans leur catégorie – les trois administrateurs entre eux, les instituteurs entre eux, les gendarmes entre eux ... Seuls le médecin et l'infirmière-visiteuse connaissaient toutes les salles à manger où l'on parlait notre langue.

Six gendarmes pour une province

En 1934 l'Aurès immense massif montagneux sans route comptait nous l'avons vu 57 623 natifs lesquels considéraient unanimement que la virilité commençait avec la possession d'une arme à feu. On comprendra en lisant la suite de cette étude que l'exigence n'était aucunement platonique.

Pour assurer l'ordre dans la région en question l'Etat français disposait d'une brigade de gendarmerie autrement dit de six gendarmes tous logés en famille à Arris. L'ordre était maintenu car s'il en était besoin, les gendarmes pouvaient se déplacer deux par deux et à cheval. Ainsi en six ans je les ai rencontrés une fois à Médina mais jamais dans l'Ahmar Khaddou.

Il est vrai que malgré les méchants commérages repris en choeur par les gens informés, l'Aurès comptait très peu de voleurs et, lorsqu'une plainte pour vol parvenait jusqu'à la brigade, il y avait de fortes chances pourqu'il s'agisse d'un vol suspect, je veux dire « suspect de ne pas être un vol ». Le vol réel était rare et les Grands-Vieux n'avaient alors besoin de personne pour le sanctionner. Un vol déclaré à la gendarmerie avait donc la chance d'être un simulacre de vol, et la plainte pour vol un simulacre de plainte, l'une et l'autre dissimulant des avertissements réciproques que s'adressaient deux familles en situation de « guerre froide » (c'est à dire entretenant entre elles une hostilité dont on ne souhaitait pas donner le motif).

La fausse plainte pour faux vol parvenait alors à la gendarmerie tandis que s'amorçaient des négociations de longue haleine par tiers neutres interposés. Si les négociations longues et secrètes finissaient toutefois par aboutir, la famille lésée déplaçait un représentant pour aller retirer sa plainte à la gendarmerie d'Arris. Dans le cas contraire, le vol était suivi d'une escalade d'offenses qui aboutissaient normalement à un ou plusieurs meurtres.

Car des meurtres il y en avait. Et beaucoup. Mais donner aucun travail aux représentants de l'ordre parce que, dès leur crime commis, les assassins protégés par leurs cousins se précipitaient à la gendarmerie pour avouer leur forfait et exiger une arrestation immédiate. Ensuite, les aveux ayant été dument enregistrés et signés, le prévenu se mettait à biner et à arroser les légumes du jardin communal en attendant son procès, tandis que notre système judiciaire se mettait en route.

Sur une autre voie, un autre système s'ébranlait aussi. A l'intersection des deux systèmes, les six gendarmes remplissaient une fonction que tout le pays chaouïa appréciait : protéger la vie des assassins en attendant que le système occulte ait négocié la paix – la paix, objet des voeux de toutes les sociétés humaines (avec éventuellement la guerre comme moyen indirect d'y parvenir).

Le système parallèle aurait pu prendre pour devise « les ennemis de nos ennemis sont nos amis » car suivant scrupuleusement ce précepte, les habitants des montagnes maghrébines avaient mis au point un mécanisme qui permettait à chaque petit 'arch autonome de placer ses deux ou trois voisins immédiats entre deux agresseurs menaçants. L'ensemble s'ajustait à peu près comme les cases noires et blanches du jeu de dames : tous les carrés noirs solidaires entre eux et adversaires fondamentaux des carrés blancs.

Cette mécanique appelée çoff avait une raison d'être et nous la retrouvons sous différentes formes sur tout le pourtour méditerranéen, en particulier en Corse, en Grèce, en Sicile (où je la crois à l'origine de la mafia).

Il y a soixante ans elle fonctionnait encore suffisamment dans l'Aurès et en Kabylie pour donner des soucis (petits) aux membres locaux du corps préfectoral. En revanche, elle pouvait encore apparaître comme un véritable os à moelle pour l'ethnologue en mal de thèse.


dimanche 17 août 2008

Pourquoi pas des femmes dirent les professeurs

Je vais m'essayer à résumer en plusieurs épisodes (une manie en ce moment) l'ouvrage auto-biographique de Germaine Tillion résistante mais aussi très grande ethnologue qui présente l'avantage de présenter de manière synthétique mais suffisamment complexe la thèse argumentée de son oeuvre : "il était une fois l'éthnographie" réussit brillamment à balancer entre récit individuel passionnant et thèse d'ethnologie ambitieuse et compréhensible à la fois.

J'ai essayé de respecter le goût humoristique de l'intéressée et je crois que cela devrait contribuer à l'intérêt de la lecture ...


En 1933, différents messieurs réunis à Londres et chargés d'années et de titres universitaires devaient répartir des crédits scientifiques internationaux. Une tranche de ces crédits devait revenir à la France et il fallut en conséquence choisir dans notre immense empire un lieu jugé à la fois mal connu et digne de l'être. Ce fut l'Aurès qui sortit de la Corbeille, perdu dans le sud de la somnolente Algérie ...

Pourquoi ne pas y envoyer des femmes ? Dirent les professeurs. (Les professeurs ont toujours plusieurs longueurs d'avance sur les ministres).

Il va de soi que le sens pratique et le génie créateur des eskimos, papous, mélanésiens, australiens natifs et amérindiens était une vérité révélée pour moi alors qu'une partie même vaste et sans route d'un département français cela me semblait petit et proche et pas à la mesure de mon immense curiosité du monde.

Il convient toutefois aux débutants, et plus encore aux débutantes de borner leurs ambitions. Je pris donc contact sans retard avec l'Ecole nationale des langues orientales vivantes afin de me documenter sur l'Aurès, le berbère et les Chaouïas.

Première question de débutante : quelle est l'origine linguistique de ce mot « chaoïa » ? Réponse : ce mot est arabe et sert à à la fois à nommer un métier, une ethnie et une langue étrangère. Le métier peu rentable est celui de gardien de petit bétail; l'ethnie vit retranchée sur un massif abrupt ; la langue qui lui appartient fait partie de la grande famille berbère.

Alors pourquoi avoir donné un nom arabe pour servir d'identité à des gens qui de tout temps ont parlé le berbère ? Et pourquoi les Arabes ont ils choisi un nom de métier si peu estimé ?

Réponse : tout d'abord, les intéressés, c'est à dire les Chaouïas, n'ont pas été consultés. Ensuite les noms réservés aux voisins sont rarement flatteurs (bougnats est une expression réservée par les Parisiens aux Auvergnats, qui signifiait également marchand de vin et de charbon !!)

Les messieurs en question avaient prévu deux missions féminines pour l'Aurès. L'autre bénéficiaire, Thérèse Rivière travaillait à plein temps depuis de nombreuses années dans le musée de l'Homme. Mais parisienne de naissance, elle ne connaissait directement que la place du Trocadéro et la rue montmartre où elle habitait.

Un peu plus avancée qu'elle, j'avais interviewé quelques indigènes du Cantal, de la Bretagne et de l'Ile-de-France. En outre, campant la nuit, j'étais capable d'allumer un feu de bois.

Le caractère de Thérèse était facile et gai et nous nous entendîmes sans difficulté. Ambitionnant de faire l'une et l'autre le plus de travail possible, nous avions mitonné un programme assez écrasant pour décourager plusieurs équipes de chercheurs et nous emportions évidemment tout le matériel correspondant : une trousse de naturaliste, d'un anthropologue, un attirail d'arpenteur-géomètre, un appareil de prises de vues avec une mention spéciale à l'appareil d'enregistrement du son, si volumineux et fragile qu'il fallut une caisse bardée d'amortisseurs en caoutchouc. Avec sa caisse d'une soixantaine de kilos, il s'avéra que les mulets fermement décidés à ne pas porter plus d'un quintal avaient su imposer cette limite à leurs propriétaires.

Or l'infernale mécanique devait être contrebalancée sur le bât contraire avec une charge d'un poids correspondant. Comme le tout dépassait alors le quintal fatidique, le mulet refusait d'avancer, le propriétaire du mulet prenait le parti de sa bête et les autres propriétaires de mulets intervenaient à leur tour dans le débat avec éloquence cela va sans dire. Bonne occasion pour tous les autres mulets de jeter leurs charges à terre et de se donner un peu de bon temps – jusqu'à ce que après des heures de palabres après avoir défait et refait dix fois toutes les charges, on ait enfin découvert dans le village l'unique mulet non syndiqué susceptible de consentir à porter la maudite caisse.

Le tout nécessitait une douzaine de bêtes. Or il faut se dire que le propriétaire du mulet ne l'entretenait pas pour l'unique équipe d'ethnologues qui songerait à parcourir la région mais pour labourer, moissonner, transporter le grain. L'animal se trouvait donc à la moisson, au marché, au labour ou encore en transhumance sur une montagne inaccessible à moins que ce ne fût en pèlerinage ou en visite matrimoniale quelque part au delà de l'horizon. A partir de février, le simple passage d'une douzaine de bêtes et les nécessités de leur ravitaillement suffisaient pour présenter des difficultés quasi insurmontables dans une région sans commerce, sans route, où l'endettement chronique des pays pauvres contraignait chacun à vendre, dès la récolte, toute l'orge qui ne lui était pas strictement nécessaire pour survivre. Parfois même un peu plus.

Thérèse détestait écrire et souhaita d'emblée se réserver l'étude des techniques. Il fut donc convenu entre nous que je m'occuperais « du reste »... Ma collègue tomba assez vite très malade et dut aller se faire soigner à l'hopital d'Arris. A l'improviste, je fis donc dès mes débuts l'expérience de la solitude et du dépaysement.

Quand elle fut rétablie, Thérèse reprit ses enquêtes sur les techniques mais dut convenir que son travail était déjà décrit dans la thèse de Mathéa Gaudry sur la Femme Chaouïa de l'Aurès. Impossible de faire une thèse sur le sujet. Elle eut alors l'idée de constituer pour le Musée de l'Homme une collection de beaux objets de la vie quotidienne et il lui fallut donc se déplacer beaucoup et elle s'organisa en achetant les chevaux et ânes nécessaires. De mon côté, je commençais à constituer les généalogies d'une population très isolée, cela sur la profondeur de la mémorisation orale (donc environ deux siècles) et en y joignant tous les évènements retenus par la mémoire. Soit un travail qui me sédentarisa sur un rocher abrupt.

Quand un collaborateur bénévole vint aider Thérèse, nous dûmes par nécessité séparer nos équipes. Mais j'avais souvent des nouvelles de mes collègues, grâce à ces inconnus qui circulaient sans cesse et sans raison apparente dans les pays privés de route. De temps en temps Thérèse et Faublée passaient aussi à proximité de mon rocher et c'était alors une bonne occasion d'améliorer notre ordinaire.


Il était une fois l'ethnographie...

Auparavant tous ne croquaient
Que graines sauvages et gibier,
Et – n'ayant pas de Frigidaire -
Ce qu'ils attrapaient,
Ils le partageaient
Avec leurs beaux-frères
En proclamant que « les amis
Valent mieux que l'économie »...

Ainsi firent les Chinois anciens,
Les vieux Indo-Européens,
Ainsi que les Mélanésiens
Et – chez nos contemporains -
Les rois qui protègent leurs frontières
Tout comme des Berbères Sahariens
Ou d'authentiques Américains ...

Quand survint la modernité
Et – celle d'il y a six mille années -
Les hommes voulurent tout garder,
A la fois leurs femmes – et leur blé ...

Très chers amis citadins,
Nous descendons de ces humains
D'abord généreux, puis radins ...


Germaine Tillion, dédicace à ses lecteurs


Cali et Miossec sur "Je m'en vais"

Ah une de ces vidéos qui me fait frissonner :



Un vrai bonheur que de retrouver ces deux potes réunis ensemble. Complicité évidente ... Deux styles pour une même émotion !


Un fou a conquis la Sibérie !

"J’entends déjà la musique du voyage m’enivrer de sa mélodie enchanteresse et je sais déjà que j’en pleurerais de joie"

J'ai fini la lecture d'un livre sur la traversée en canoé de la Sibérie qui m'a amené à connaître mieux l'homme qui l'a accomplie : Philippe Sauve

Pour retrouver tout son voyage :

l'internaute voyageur

Deux extraits très symboliques de sa quête :

- la bande annonce de son film : (ce teasing ne vous livrera pas tous les secrets mais il récèle beaucoup de clins d'oeil pour qui a lu le livre : le chien blanc et une petite peluche orange à l'avant du canoé ... j'en ai trop dit !!)



- une interview révélatrice de sa démarche :



Il livre aussi au travers de son ouvrage ses doutes et ses réflexions profondes n'hésitant à montrer ou sa faiblesse ou ses craintes ou ses pensées "moins optimistes" pour ne vexer personne : bref, il se livre comme le montre cette bonne interview qui parle aussi de mort :

interview1

C'est aussi un personnage beaucoup plus solide et complexe qu'un aventurier : la dimension humaine de sa trajectoire doit obligatoirement être prise en compte ainsi que son goût pour l'écriture :

biographie sommaire


vendredi 15 août 2008

L'Imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi (1)


COPYRIGHT de l'image : mimitess !!!


Je voudrais vous faire partager une vision spirituelle qui m'a été apportée par un livre L'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi

Loin de vouloir en montrer plein la vue, c'est plutôt avec la peur de ne pas retranscrire ce que j'ai ressenti à l'époque de la première lecture, de ne plus arriver à retrouver une deuxième fois le chemin de l'oeuvre que je vais m'essayer dans un temps qui n'est pas imparti à résumer cet ouvrage d'Henry Corbin. Voire pire : de dire le contraire de ce que le message signifie, et le risque n'est pas mince au regard de la subtilité des réflexions des deux maîtres (Ibn Arabi penseur soufi et H.Corbin)

J'étais rentré dans ce livre en ressentant au début un formalisme alors que cela aurait du ressembler à un ésotérisme mais peu à peu je m'étais laissé gagner et avais acquis un nouveau mode de perception qui ouvre un chemin spirituel. Sera ce le cas des années plus tard ?

Il me faudra sans doute quelques mois et des abandons avant d'arriver à clôturer ce challenge mais je me dis que toute vision, même incomplète ou tronquée, pourra servir à pénétrer ce monde. Alors petit à petit je vais m'essayer à effectuer un résumé de l'oeuvre.

PS : j'essaie de réduire au maximum les présupposés philosophiques ou théologiques mais il en subsistera malgré tout de nombreux, pour moi comme pour vous : je ne suis pas sûr que cela empêche véritablement la compréhension des idées d'Ibn Arabi.

Ce monde de la réalité des Images que Corbin sacralise par le terme d'Imaginal est au coeur de la théorie de la connaissance avec le livre fondateur L'Imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi.

C'est que pour la tradition orientale, il existe une « connaissance par le coeur ». C'était déjà l'intuition des poètes, de cet Hölderlin que commentait Heidegger : « ce qui demeure, les poètes le fondent »

Ce n'est pas de l'imagination au sens courant du mot qu'il sera traité ici : il s'agira ici d'une fonction absolument fondamentale dont l'Imagination est en propre l'organe de perception.

Comprendre que sans réduire la qualité objective à la perception sensible, ni limiter le champ de la connaissance à la Raison mais annoncer que l'Imagination (ou l'amour ou la sympathie ou un sentiment en général) fait connaître.

Il existe pour les soufis objectivement et réellement un triple monde : entre la perception intellectuelle et les sens, il existe un monde intermédiaire, celle des Idées-Images, de la « matière immatérielle ». Monde aussi réel que l'univers intelligible et l'univers sensible, univers intermédiaire « où le spirituel prend corps et où le corps devient spirituel », constitué d'une étendue et d'une matière réelles, quoiqu'immatériel par rapport à la matière sensible.

C'est cet univers dont l'Imagination active est l'organe : il est le lieu des visions théophaniques, la scène où arrivent dans leur vraie réalité les évènements visionnaires et les histoires symboliques.Il ne faut pas utiliser le mot imaginaire qui est un monde irréel, sans lien avec la réalité.

Ce qu'a voulu Henry Corbin c'est vivre un moment avec Ibn Arabi sa propre spiritualité, telle qu'Henry Corbin l'a éprouvée.

Il y a peut-être quelque chose d'insolite dans le fait que cette spiritualité s'accompagne d'une recherche sur l'Imagination. On s'efforcera de montrer en quel sens cette Imagination est créatrice : parce qu'elle est essentiellement Imagination active, et que cette activité la qualifie aussi, nous le verrons, comme Imagination théophanique. L'Imagination assume une fonction hors de pair, si imprévue par rapport à ce que nous attachons d'inoffensif au mot imagination qu'un autre terme aurait été préférable.

Prévenons un doute : la spiritualité, l'expérience mystique ne tendent elles pas à un dépouillement des Images, au renoncement des formes et des figures ? Or c'est une valorisation extraordinaire de l'Image et de l'Imagination pour l'expérience spirituelle, à pressentir dans l'affirmation d'un monde intermédiaire consistant.

Préalablement pour saisir le soufisme et sa conjonction unique entre religion prophétique et religion mystique, il faut évoquer brièvement le contexte des penseurs et des problèmes où se situent Ibn Arabi et son école.

Contrairement à l'Islam occidental, L'Iran fit coexister la doctrine d'Ibn Arabi, la théorie de la Lumière de Sohravardi, ainsi qu'avec la doctrine D'Avicenne, cette dernière qui en Occident céda la place à Averroës.

Le système avicennien comprend une figure qui domine l'ensemble, l'Intelligence active, l'Ange de l'humanité comme l'appellera Sohravardi qui tient une fonction déterminante pour la conception même de l'individu humain. L'avicennisme l'identifie avec l'Esprit Saint, c'est à dire avec l'Ange Gabriel.

Cette Intelligence est la dixième dans la cosmologie avicennienne, des pures Intelligences séparées, hiérarchie doublée d'une hiérarchie des Anges qui sont des Ames motrices des Sphères célestes. Ces Anges-Ames nouent entre elles autant de couples et communiquent aux cieux le mouvement de leur désir, les révolutions astronomiques ont alors le caractère d'une aspiration d'amour toujours renouvelée et toujours inassouvie. Ces Ames célestes ou Anges-Ames sont exemptes des perceptions sensibles, possèdent l'Imagination : elles sont même l'Imagination à l'état pur, dépourvues de perception sensible. Elles sont par excellence les Anges de ce monde intermédiaire où ont lieu les inspirations prophétiques et les visions théophaniques. Ce monde, Ibn Arabi le pénètre avec aisance dès les années de sa jeunesse. Au contraire les très graves conséquences résulteront de leur élimination dans la cosmologie d'Averroës. Quant à l'Intelligence ou Esprit-Saint, c'est d'elle qu'émanent nos âmes : elle en est à la fois l'existentiatrice et l'illuminatrice. Toute connaissance et toute réminiscence sont une illumination projetée par elle sur l'âme. Par elle, l'individu est rattaché directement au Céleste, sans avoir besoin de la médiation d'une Eglise. D'Où la peur de l'Ange qui anima les anti-avicenniens. Cette peur aboutit à obscurcir les récits d'initiation d'Avicenne ou de Sohravardi ou tous les romans mystiques persans. Par peur de l'Ange on préfère n'y voir que des allégories, des « façons de dire » inoffensives.

Dans son ensemble donc, l'angélologie avicennienne assure la fondation du monde intermédiaire de l'Imagination pure : elle rend possible une compréhension spirituelle des Révélations (et pas seulement un entendement rationnel), ce tawil aussi fondamental pour le soufisme que pour le shiisme. Elle assure l'autonomie radicale de l'individu non pas sur une philosophie (rationnelle) de l'esprit mais propose une théosophie de l'Esprit Saint.

Averroës admet certes une intelligence humaine mais cette intelligence ce n'est pas l'Individu car tout l'individuel s'identifie avec le périssable : ce qu'il y a d'éternisable dans l'individu appartient totalement à l'Intelligence agente séparée et unique. Nous sommes loin du sentiment de l'individualité impérissable du Spirituel avicennien, acquis du fait même de sa conjonction avec l'Intelligence agente. Egalement en supprimant la notion d'Ames célestes, Averroës supprime ce monde médiateur où se résout le conflit qui a tant déchiré l'Occident, celui entre la théologie et la philosophie, entre la loi et le savoir, entre le symbole et l'histoire. Ce conflit qui va croître avec l'évolution de l'averroïsme et son ambiguité qui perdure encore.

Car il est un point essentiel de sa doctrine qui reste omis et un point aveugle au regard de la suppression des Ames célestes. Averroës a été inspiré par l'idée du discernement des esprits : il y a les gens auxquels s'adresse l'apparence de la lettre, le zahir, et il y a ceux qui sont aptes à comprendre le sens caché, le batin. On déchainerait les psychoses et les catastrophes sociales en livrant aux premiers ce que seuls les seconds peuvent comprendre. Ce qui se rapproche du Tawil.

Or le tawil est « essentiellement compréhension symbolique, transmutation de tout le visible en symboles, intuition d'une essence ou d'une personne dans une Image qui n'est ni l'universel logique, ni l'espèce sensible, et qui est irremplaçable pour signifier ce qui est à signifier ». Or comment sans ce monde des Ames célestes, percevoir des symboles.

Il nous faut revenir à la distinction fondamentale entre allégorie et symbole : la première est une opération rationnelle, n'impliquant de passage ni à un nouveau plan de l'être, ni à une nouvelle profondeur de conscience : c'est la figuration à un même niveau de conscience de ce qui peut être déjà fort bien connu d'une autre manière. Le symbole annonce un autre plan de conscience que l'évidence rationnelle : il est le « chiffre » d'un mystère, le seul moyen de dire ce qui ne peut être appréhendé autrement ; il n'est jamais expliqué une fois pour toutes, mais toujours à déchiffrer de nouveau, de même qu'une partition musicale n'est jamais déchiffrée une fois pour toutes mais appelle une exécution toujours nouvelle. La différence entre le shiisme et l'averroïsme est ici béante.


samedi 9 août 2008

Vroubel, un artiste à part









Au salon d'automne à Paris de 1906, trente salles étaient consacrées à l'art russe. Une salle avait été réservée au peintre Mikhaïl Vroubel : cette salle était généralement déserte. Cependant, un curieux témoignage d'un autre peintre russe, Sergueï Soudeïkine, nous est resté qui relate que Pablo Picasso passait des heures entières devant les tableaux de Vroubel.

Il serait bien sûr très naïf que de vouloir tirer des rapprochements entre deux oeuvres dissemblables, mais il est vrai que seuls quelques contemporains ont perçu en Vroubel un talent exceptionnel. De son vivant, il fut mal compris et peu apprécié, n'étant pas fidèle à un courant ou une théorie mais plutôt en proie à une perpétuelle remise en question, à un sentiment d'insatisfaction.

Vroubel a laissé relativement peu de travaux achevés : l'élaboration de l'oeuvre le passionnait plus que son aboutissement. C'est ainsi que beaucoup de choses sont restées inexprimées.

Certaines pages de l'enfance de Vroubel sont importantes à connaître : la mort de sa mère quand il a trois ans, les déménagements continuels de la famille, la touchante amitié qui le lie à sa soeur aînée, Assia, à qui nous devons des souvenirs sur le peintre et qui surtout sauva plus d'une fois Vroubel par son dévouement dans les moments difficiles.

A dix-huit ans ses goûts n'étaient pas définitifs même si l'art l'attire : son père accueillit avec intérêt l'inclination de son garçon, lui qui vouait une tendre affection à son fils et souffrit de le voir ensuite de le voir « différent des autres ». Son approche de l'art fut assez banale : il ne faut pas réécrire l'histoire par la suite de ses oeuvres. D'ailleurs pas de goût pour la méditation profonde mais plutôt des lettres ironiques et gaies. Probablement n'aime t il pas faire part de ses réflexions et ne veut il pas imposer aux autres ses pensées propres.

La base de la culture russe lors de sa jeunesse (même si on ne sait quel fut le positionnement de Vroubel à l'égard de cette vie culturelle) était politique et les notions de conscience, de morale, de responsabilité morale constituaient son nerf principal.

On pouvait ne pas aimer, ne pas accepter ni même lire Dostoïevski ou Tolstoï mais après l'Idiot, l'Adolescent, Anna Karénine et les Frères Karamazov, un mur s'effrondrait et révélait aux gens les profondeurs de leur propre conscience et de leurs pensées.

De nouveaux critères venaient modifier les points de vue de ceux qui écrivaient des livres, de ceux qui les lisaient et même de ceux qui en parlaient sans les avoir lus.

Durant sa dernière année universitaire, Vroubel ne dessinait plus simplement : il avait de l'originalité. A l'automne 1880, âgé de 24 ans déjà, il entra à l'académie des beaux-arts et le sort voulut qu'il y rencontra les gens les plus renommés : il fit la connaissance de Serov alors âgé de 15 ans et travailla l'aquarelle avec Repine considéré alors comme le premier peintre de Russie. Ceux ci devinèrent immédiatement chez le peintre un talent original et exceptionnel, tandis que lui comprenait leur importance sans vouloir faire de leurs opinions et travaux des absolus.

Vroubel encore jeune vit s'accentuer la disproportion entre l'impétuosité du développement des moyens d'expression littéraires et la relative lenteur de ce même processus dans la peinture. Kramskoï à la tête de la société des Ambulants résume la situation : « Après les frères Karamazov (et durant sa lecture), je regardais autour de moi avec effroi et m'étonnais de voir que tout allait comme par le passé, et que la terre ne s'était pas retournée sur son axe... Bref cela avait quelque chose de si prophétique, ardent et apocalyptique qu'il semblait impossible de garder la même place que la veille, d'éprouver les mêmes sentiments, de penser à autre chose qu'au jour du jugement dernier ».

Pour autant les qualificatifs de prophétique et d'ardent s'appliqueront plutôt aux travaux de Vroubel qu'à ceux des Ambulants quand bien même ceux-ci insérèrent dans le champ de la peinture les personnages du drame social russe.

Il est curieux par ailleurs que Tolstoï et Dostoïevski qui avaient créé un nouveau système d'approche du monde par la littérature aient préféré considérer la peinture comme un art consistant à reproduire la réalité de manière objective et dont l'exigence première était la vraisemblance. Or les élèves ambulants cessaient d'être des copistes zélés et au sein d'eux se détache comme un « compagnon de route » Vroubel. Un pédagogue de premier ordre animait alors l'académie des beaux arts : Tchistiakov qui savait infailliblement déceler les particularités de chaque talent. Il possédait la rare et précieuse qualité de savoir enseigner ce qui dépassait son modeste talent, mais qui était accessible à un élève doué. « Il sait dessiner, il comprend, mais ne peut atteindre et réaliser ce qu'il comprend » rappelait Vroubel à son propos. Avec non moins de clairvoyance, Tchistiakov parlait de son élève : « celui-là, l'analyse des choses le démangeait tellement, qu'il en perdait facilement les rênes ... il fallait le retenir pour qu'il ne passe pas à travers le sujet ... »

Vroubel comme Tchistiakov dans des styles différents cherchent à obtenir l'harmonie de la nature et Vroubel était effectivement prêt à « traverser le sujet »pour comprendre la magie de son harmonie et montrer le processus même de sa propre pénétration dans la nature. Un simple dessin d'écorché se transformait chez lui en quelque sacrement : en cherchant à comprendre la nature, il essayait de saisir le rapport qui l'unissait à elle.

« Tu copies mais tu ne dessines pas » : ce reproche que Vroubel adressait à Korovine explique beaucoup de ses recherches ainsi que cette autre phrase : « Essaie de remplir cette feuille, comme çà de manière intéressante, juste pour la beauté des formes ». Ne pas copier mais dessiner de manière à produire quelque chose d'intéressant sur la feuille, soit un refus de la tradition académique stricte qu'il enrichissait des découvertes sans compromis de sa vision personnelle et de son expression individuelle.

Déjà, dans les premiers temps, il se conduit à l'isolement. Il ne pouvait rien accepter et sans preuves. Sans complaisance pour lui-même, il en venait à ne rien pardonner, même à ceux qu'il admirait le plus et ne cacha pas à Répine que son oeuvre ne le séduisait pas.

Mais Tretiakov le célèbre collectionneur doit reconnaître cependant, en examinant l'une des esquisses de Vroubel qui ne lui avait pas semblé intéressante auparavant : « En effet, je n'avais pas compris avant. Il semble que c'est bien autre chose que ce que l'on voit ordinairement ».

Cette « autre chose », elle était présente dans l'art de Vroubel depuis le début. Le peintre avait passé la période où on se contente d'imiter et il n'avait subi d'influence décisive. Vroubel traversait cette période où les erreurs du néophyte coexistent avec les révélations du génie. Il travaillait à la limite des possibilités humaines : « je me suis accroché à mon travail, si l'on peut s'exprimer ainsi ». Dans cette même lettre, il écrit : « Entre l'élaboration d'une esquisse de tableau et une masse de petits travaux préparatoires, il ne faut pas oublier la fréquentation assidue de l'académie et les longues séances de dessin anatomique, et voilà l'emploi du temps ... ».

Bientôt un événement se produisit qui ressemblait fort à un hasard : le peintre fut invité à Kiev pour travailler sur la peinture de l'iconostase de l'église Saint-Cyrille. Le professeur Prakhov projetait de créer une nouvelle iconostase dans le style byzantin à partir du résultat de fouilles. A Kiev, le peintre découvre l'art de la Russie ancienne et de Byzance : il passe des soirées entières avec Prakhov à examiner les reproductions de vieilles mosaïques et des fresques de la Russie ancienne. Il est paradoxal qu'un artiste prédestiné à devenir le porte parole des nouvelles recherches soit infiniment loin des problèmes de l'art contemporain. Il passe également à l'époque de longues heures dans les palais et cathédrales de Venise et les églises de Ravenne.

Menant une vie austère, presque celle d'un ermite, il cultive inconsciemment dans son âme des pensées et des images qui devancent le développement des idées artistiques en Russie. Détaché des expositions russes et étrangères mais revenant aux sources anciennes, il cherche avec frénésie les motifs où la beauté sublime du passé s'unirait à une expression propre, pleine et libérée.

Si l'on étudie à fond l'art de Byzance et de la Renaissance, il semble évident que Vroubel est loin en fait de ce que Prakhov appelait style byzantin. Dans l'image de la Vierge à l'enfant, seules l'apparence précise de la composition et l'uniformité rayonnante du fond rappellent les mosaïques de Ravenne.

Tout en poursuivant son travail assidu, Vroubel se fie de plus en plus à sa fantaisie et à sa mémoire ; il oublie ce qu'il apprend et spécialement lorsqu'il peint les grandes compositions pour l'église saint-Cyrille. Vroubel travaillait sans aucun modèle et entamait une peinture par un petit bout en mettant au point pour ne plus jamais y revenir chaque partie de la toile ou du papier jusqu'à son exécution définitive.

L'originalité exceptionnelle de tout ce qu'effleurait la main de Vroubel se révélait aussi dans le genre du portrait. On a souvent eu envie et avec raison de parler de l'imperfection de nombreux tableaux de Vroubel, entre autres de ses portraits. Il ne faut pas cependant exclure l'imperfection consciente d'elle-même, quand le peintre, certain que le maximum d'expressivité avait été atteint a arrêté son travail en cours de route. Cet inachevé significatif est perceptible dans beaucoup d'autoportraits.

Après Kiev, il part pour Odessa où il commence à travailler sur le Démon thème que l'on peut considérer sans exagération comme fondamental dans sa création. Dans le calme de cette petite ville provinciale oubliée, Vroubel est solitaire dans ses recherches si proches de celles de ses contemporains, inconnus de lui et qui le méconnaissent. Cependant, cette solitude comporte un mérite, celui de laisser le peintre indépendant ; sans savoir bien entendu que son oeuvre créée dans la solitude incarnerait avec le temps les recherches de l'époque dont il voulait tant se démarquer.

L'automne 1885, le peintre est de nouveau à Kiev et ses affaires vont mal. Il donne des cours et manque d'argent, le travail sur le Démon lui prend beaucoup de temps et de force morale. Soit dit en passant, Vroubel n'est alors pas un ascète et au cours de ce surmenage spirituel, de la soif inassouvie de perfection, la première et pénible approche, à cause de son échec, du thème du Démon, l'indigence et son mode de vie l'amènent à une fêlure morale dont témoignent les premiers signes d'une maladie qui évoluera par la suite de façon tragique.

Mais c'est justement à cette époque que de nouvelles facettes de son talent apparaissent (Le conte oriental, la Petite fille sur le fond d'un tapis persan), mais si aujourd'hui dans l'optique du recul historique, nous voyons dans le Vroubel de 1886 un grand maître qui se forme, ses contemporains étaient enclins à le considérer comme un raté.

Par exemple, les esquisses de Vroubel pour les peintures murale de la cathédrale Saint-Vladimir ne furent pas réalisées, condamnées depuis le début. Prakhov dit lui-même que pour les peintures murales de Vroubel, il aurait fallu une cathédrale d'une style tout à fait particulier. Autrement dit il n'y avait de place pour elles ni dans le passé ni dans le présent mais seulement dans le futur. De plus l'art contemporain de Vroubel s'était déjà détaché de la peinture religieuse et de ce fait, cette fois encore, le peintre restait seul et mésestimé.

A 33 ans, l'époque kiévienne de Vroubel touche à sa fin : il ne s'est toujours pas révélé et le peu qu'il avait pu créer n'avait été véritablement été apprécié par personne. Vroubel est presque miséreux. Mauvais pédagogue, il donne des leçons privées et accepté de colorer des photographies, mais il accueille sa mauvaise fortune avec sérénité. Le travail intérieur et la reprise des travaux sur le Démon expliqueraient cet entrain surprenant.

A partir de 1889, il gagne Moscou : les portes de la maison Mamontov s'ouvrent devant lui. Il tombe dans la vie artistique russe moscovite et retrouve Serov notamment. A Moscou il reçoit aussitôt des commandes. Surtout les éditions Kouchnerov lui commandent une série d'illustrations pour la publication commémorative des oeuvres de Lermontov. La possibilité apparut de se consacrer totalement au Démon thème auquel Vroubel rêvait depuis longtemps. Cette chance coïncida avec l'achèvement dans la demeure moscovite de Mamontov du premier grand tableau consacré au Démon. « Depuis un mois déjà, je peins mon Démon, écrit il à sa soeur. C'est à dire non pas ce démon immense que je peindrai avec le temps mais quelque chose de « démoniaque » : c'est une silhouette à demi-nue, une figure ailée, jeune, sur un fond de soleil couchant, et regarde une clairière aux arbres fleuris dont les branches, pliant sous les fleurs, se tendent vers elle ». Il s'agit du Démon assis, l'une des plus célèbres toiles du peintre. Aussi splendides que fussent les Démons de Vroubel, il ne faut pas oublier que les spectateurs de l'époque n'en connaissaient que des fragments entrevus et sans doute pas les meilleurs de l'ensemble. Vroubel parvenait à de remarquables résultats mais qu'insatisfait il repeignait à nouveau.

Le Démon assis est une image différente par son aspect que le prototype sculpté : il y manque également ce désespoir refermé en lui-même, sombre fier et convulsif qu'on retrouvera dans d'autres expressions du Démon ultérieures. Le héros du tableau est jeune et beau, il y a dans sa perfection, dans son torse magnifique et puissant quelque chose de Michel-Ange. Sa silhouette gigantesque pour le cadre du tableau est empreinte d'une tristesse qui n'a rien de terrestre, ses muscles vigoureux ont la force vaine et comme accablante du Démon, lassé d'être doué d'une puissance inutile. Une puissance inutile, voilà qui ressemble au Vroubel de l'époque. Ce n'est pas la peine de chercher des correspondances trop autobiographiques dans l'image du Démon, mais la filiation de l'auteur avec le sujet du tableau ne fait pas de doute. Comme son héros il est enfermé dans le cercle de ses pensées féériques, comme le Démon, il reste solitaire dans le monde créé par son imagination et qu'il n'a pas la force de révéler aux hommes. Maturité technique et signification émotionnelle se conjoignent particulièrement dans cette oeuvre.

Cet article sur l'avènement Vroubélien est issu de l'ouvrage de Mikhaïl Guerman, Vroubel, daté de 1986.


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