vendredi 14 mars 2008

Les plus belles photos de Portishead

MAGIC DOORS : nouvelle chanson de l'album Third de Portishead(qui ont eu la bonne idée de le surnommer Third en raison du temps qu'on a eu à l'attendre le troisième album, de Portishead). C'est presque un hommage en forme d'humour à leurs fans et à l'attente inconsidérée dans laquelle ils nous ont mis !!

Et les plus belles photos du groupe figurent sur ce clip, les plus belles photos de Beth et Geoff :



A défaut d'avoir retrouvé le lien original et les belles photos, un autre lien vers magic doors :

http://fr.youtube.com/watch?v=dMW679qlwrc

Portishead is a good as ever!! Thank God they are back!


lundi 10 mars 2008

Hölderlin : un astre

Hölderlin lorsque parut en 1797 le premier volume de son roman grec Hypérion est presque totalement inconnu.

Né en 1770, mille essais poétiques l'avaient occupé dès l'enfance.

Hypérion est le seul livre de Hölderlin qui ait paru avant 1806, c'est à dire avant que le poète ne sombre dans la folie.

Après qu'il ait du quitter la maison de Francfort où précepteur il avait connu avec celle qu'il nomma Diotima dans Hypérion quelques mois de bonheur, Hölderlin se retrouva plus seul que jamais, soutenu par sa mère et de très rares amis, et dans une obscurité croissante.

Et en 1806, à trente six ans, Hölderlin entra dans la seconde moitié de sa vie : il ne fut plus dès lors, dans la maison du menuisier Zimmer, qu'un fantôme d'abord violent, puis de plus en plus absent, jusqu'à sa mort survenue en 1843.

Hors quelques esprits clairvoyants et passionnés, personne en Allemagne ne mesura de son vivant la vraie dimension de Hölderlin.

Une voix isolée s'élève alors en plein XIXème siècle pour louer une oeuvre que nul ne lit : celle de Nietzsche, à 17 ans : « Tu ne connais pas non plus Hypérion, qui par le mouvement harmonieux de sa prose, la noblesse et la beauté de ses héros, me fait une impression analogue à celle de la houle. Cette prose est en effet musique, sonorités tendres coupées de dissonances douloureuses... »

A Francfort, en janvier 1796, il avait vu pour la première fois Suzette Gontard, la jeune mère des enfants dont il allait être deux ans le précepteur. Il aima cette femme et il fut aimé d'Elle. Hölderlin fut contraint de quitter la maison Gontard fin septembre 1798 ; il devait continuer à voir Diotima, rarement et secrètement, jusqu'en mai 1800.

Que la séparation ait été vécue comme cruelle, il suffit, pour s'en assurer, de relire la lettre que Hölderlin écrivit à Suzette Gontard, en novembre 1799, en lui envoyant Hypérion :

« Voici notre Hypérion, très chère ! Ce fruit de nos bienheureux jours t'apportera malgré tout un peu de joie. Pardonne moi d'y faire mourir Diotima. Tu te souviens qu'autrefois nous n'étions pas tout à fait d'accord sur ce point. Mais j'ai pensé que la disposition générale du livre l'exigeait. Bien-aimée ! Tout ce qui est dit ici et là d'elle et de nous, la vie de notre vie, accepte le en guise de remerciement, d'autant plus sincère qu'il s'exprime parfois avec maladresse. Si j'avais pu à tes pieds en toute tranquillité et liberté faire de moi peu à peu un artiste – oui je crois que j'aurais atteint rapidement ce vers quoi j'aspire en rêve dans la détresse de mon coeur et qui souvent le remplit en plein jour d'un muet désespoir. Être privé de la joie que nous pouvons nous donner – cela justifie bien toutes les larmes que nous avons versées depuis des années, mais ce qui est révoltant, c'est l'idée que nous allons peut-être périr en pleine force parce que l'un manque à l'autre ... »

Suzette Gontard perdue, c'était aussi Diotima perdue, toute chance de bonheur humain et donc la plus haute lumière perdue.

Aussi faut il comprendre Hypérion, dans son épaisseur, comme une plainte sur toute séparation et une tentative pour la surmonter, comme l'oeuvre de quelqu'un qui est déchiré et qui cherche en même temps une solution, une harmonie profonde.

En décembre 1801, il écrit : «  A présent, je crains de subir à la fin le sort de Tantale qui reçut des dieux plus qu'il n'en put digérer. »

En juillet 1802, après avoir erré, il arriva chez sa mère méconnaissable, « frappé par Apollon » comme il l'écrira lui-même ; et pour apprendre par une lettre de Sinclair, son plus grand ami, la mort toute récente de Suzette Gontard. Après une phase d'extrême violence, sa folie se calma. En septembre, Sinclair l'emmena en voyage.

Il entre en clinique en août 1806 ne pouvant plus être gardé comme bibliothécaire et est confié en 1807 au menuisier Zimmer.

Hölderlin a voulu raconter au moment où il l'a vécu l'histoire d'amour qu'il vivait : cela rejoint une phrase de Duras selon laquelle toute histoire d'amour se terminera par un livre : elle a elle-même écrit « L'Amant » des années après l'avoir vécue.


dimanche 9 mars 2008

Les nouvelles chansons : concert de Portishead

En attendant la sortie de l'album fin avril 2008, voici 4 nouvelles chansons du troisième album, "performées" lors du concert de décembre 2007 :











Adorno : Minima Moralia

Par son éclatement même en 153 notes, sorte de journal rédigé sur trois ans (1944-1947), non pas récit des travaux et des jours, mais exercice théorique, Minima Moralia premier volume d'Adorno à paraître en Allemagne après guerre en 1951, est l'expression la plus représentative de sa pensée et de la virtuosité de son écriture.

L'ouvrage n'a pas la cohérence conceptuelle : pourtant Adorno s'y reflète, image d'un homme assiégé, combatif, se précipitant dans l'écrit selon une forme marquée par Walter Benjamin, au moment où l'euphorie de la victoire sur le nazisme s'avère impuissante à dissiper le sentiment d'une impasse. Le sous-titre de l'ouvrage, « Réflexions sur la vie mutilée » dit cette blessure quasi inguérissable de l'histoire récente. Et nul n'en est exempté.

Le social d'abord : le propos est provocateur mais en même temps qu'une dénonciation de tout idéalisme, il affirme précisément ce qui soutient une éthique minimale mais exigeante, à savoir la nécessité de (re)venir à la reconnaissance de l'altérité (l'autre selon ses propres critères de jugement et non les nôtres), la restitution des singularités, en autrui comme en tout objet, non solubles. Ethique par des mots étrangers, « ces juifs dans le langage », « moralia » et « minima ». La critique d'Adorno n'est pas que dénonciation féroce ; comme chez Nietzsche, si honoré en ces pages, de minuscules réserves d'espoir sont là, décisives pourtant.

Quant au politique, en tant qu'organisation du pouvoir, il se résorbe et s'explique par le destin de la raison occidentale. Son histoire n'est pas détachable, différente de celle de la Raison, c'est à dire de la logique implacable selon laquelle il s'est avéré que la raison logique depuis Descartes, émancipatrice, est aussi dominatrice et qu'elle est demeurée aveugle sur cet obscur revers à multiples noms : la maîtrise, l'instrumentalisation mais qui recouvrent tous la même réalité, l'asservissement mais non la libération, la perte de soi et des autres. L'ambiguité de la politique est indissociable de l'ambiguité de la Raison. L'irrationnel est un échappatoire facile et on y a largement recouru au vingtième siècle, mais le rationnel même ne s'en est pas délivré : il loge en lui comme un serpent sous la forme du dessein inavoué de domination.

C'est pourquoi le jugement sur Hegel est à double tranchant. La dialectique hégélienne instaure la généralisation de la médiation, donc pour Adorno la nécessité de tout replacer dans le cadre des relations sociales. Aucune idée immédiate ne peut prétendre à une vérité initiale, originelle. Mais d'un autre côté, chez Hegel la dialectique implique une funeste universalité de la pensée.

La version politique de cette universalité est une totalisation sous sa figure la plus vulgaire qui quelque soit le poids des circonstances historiques (imbroglio de Weimar, nationalisme ambiant ...) explique au mieux l'imposition si aisée du nazisme. Le nazisme est une opération de racket, de brigandage dans une Allemagne triste. Sans produire la moindre culture, il a radicalisé des phénomènes en cours : la massification, la fascination de la productivité rationalisée(Cf la construction des camps d'extermination), le renoncement de l'individu à lui-même, la séduction de la technique comme art de produire et de commander, bref la mise au rebut de la raison critique (quasi inverse de la raison logique) et de toute singularité inassimilable. Ls formes mobilisatrices de cette Totalisation : vocation allemande, idolatrie du social et du collectif, haine de l'autre, appel au chef. Une totalisation qui fait que la Shoah n'est pas un accident ; elle dérive en droite ligne de cette machinerie psycho-sociale d'éradication. Si paradoxal que cela semble, Auschwitz s'interprète à la lumière de l'histoire de la Raison se dégradant en outil de progrès jusqu'à la manipulation qui finit par « l'indifférence à sa propre mort » de l'humanité. Mais Auschwitz, véritable trou noir dans la pensée d'Adorno, ouvre une vision de l'histoire presque inverse de la vision d'Hegel : l'histoire est une « machine infernale », sanctionnée par le nazisme et ses ruines.

Adorno qui tenait encore Marx en estime modifia son attitude intellectuelle après la catastrophe.

Les conflits de classe qui n'ont pas disparu reculent en quelque sorte à ses yeux derrière des antagonismes plus durs et plus nets, tous sourdement animés par l'attrait vertigineux pour la domination sur autrui et la nature. Telle serait la brutalité de notre modernité.

L'économique donne raison à Marx : Adorno prophétise déjà : « le principe économique triomphe partout ». La force de travail n'est que forme marchande ; et la « marchandisation » est un processus de contamination généralisée, gagnant la culture et les relations sociales. Le capitalisme l'emporte à l'ouest, à l'est aussi. Il en résulte un matérialisme des plus vulgaires, étranger au matérialisme toujours visé par Adorno. Il en résulte aussi cette formidable mutilation des individus qui, en dépit des protestations bruyantes, tel certain existentialisme, ont « perdu jusqu'à la conscience d'eux-mêmes ». « De nos jours la plupart des gens hurlent avec les loups ». Quelle tâche, quelle place alors pour l'intellectuel qui ne veut pas abdiquer ? La critique des idéologies et de la culture, expression et moteur de l'enlisement des hommes dans l'économie et de leur soumission. Tâche délicate, la puissance dévorante de la culture étant telle qu'elle fait aussi marché de la critique. S'il est impossible d'être irrécupérable, il faut au moins, par un tour particulier d'écriture, par l'appui sur trois assises fortes, la mémoire, l'expérience, la réflexion, manifester la vérité de ne pas collaborer (Ohne mitmachen). Le reproche de mandarinat hautain souvent élevé contre Adorno exprime la jalousie irritée de cette contestation têtue.

« La culture de masse est une psychanalyse à l'envers ». La maladie, c'est la normalité. Tous semblables.

Ces notations ne sont pas à mettre au compte d'un moralisme masochiste. Elles témoignent plutôt chez Adorno d'une passion du social. Mais autant que le contenu, c'est leur forme de présentation qui frappe : l'approche fragmentée à l'opposé de toute théorie. L'approche non synthétique signifie précisément le déni de la synthèse particulier/universel, l'interdit de toute projection de la réconciliation, même si celle-ci reste l'utopie. Une certaine nostalgie du sujet bourgeois s'y laisse entendre figuré par des hommes comme Balzac, Beethovent, Goethe, cette « civilisation de la Beauté éclairée par la raison », nostalgie à vrai dire assez indécise, liée à une sorte d'anticapitalisme romantique. L'histoire moderne est celle d'une chute. S'aveugler est la pire menace. La critique est éveil, non moralisme, elle est résistance, « la dernière relation négative à la vérité ».

Il y a deux lieux où s'exerce au moins et sous conditions cette stratégie de résistance, l'art et la philosophie.

L'art est intelligence très secrète de l'histoire. Il re-présente remarquablement le monde social, ses distorsions, ses ouvertures : la « bouteille à la mer » ramenant au rythme des vagues et des marées, « le souvenir du particulier ». « L'universel de la Beauté ne peut se communiquer au sujet que dans l'obsession du particulier ».

Tel est aussi l'impératif pour la philosophie, sous la forme de la réitération incessante du travail du négatif, appelé aujourd'hui déconstruction. Dès sa jeunesse, Adorno avait appris de Kracauer, à considérer les textes philosophiques comme des documents de la vérité historique et sociale, non comme l'exposition de la vérité.

Dès 1931, Adorno reconnaissait que la pensée doit renoncer à l'illusion de pouvoir saisir la totalité du réel ou de se croire adéquate et conforme à l'Etre.

Ecrits plus qu'empruntés car très peu modifiés à l'article sur Adorno du Dictionnaire philosphique des idées politiques.


samedi 8 mars 2008

Saint-Just

Le manuscrit « De la nature, de l'état civil, de la cité ou les régles de l'indépendance du gouvernement » est un texte fondamental : il s'agit de la première expression inachevée des principes de philosophie politique de Saint-Just. Cet écrit relance l'énigme de Saint-Just qui transparaît au-delà du mythe. La volonté de fonder en vérité l'action révolutionnaire exige de prendre en charge une dimension de Saint-Just souvent tenue dans l'ombre, celle de théoricien.

Peut-on désormais maintenir l'interprétation classique de Saint-Just comme l'incarnation de la contradiction entre la théorie et l'action révolutionnaire ? Notre tâche ne serait elle pas plutôt de penser la continuité entre la théorie et l'action de Saint-Just ? Jusqu'à quel point l'échec jacobin, avoué par Saint-Just dans la formule : « La Révolution est glacée ... » peut il être interprété en regard des insuffisances de sa théorie, de ses points aveugles ?

Saint-Just entend l'état de nature au sens courant de la théorie politique de son siècle, l'état dans lequel se trouvent les hommes avant l'institution du gouvernement civil. Or il décrit cet état comme immédiatement social car la société, donnée naturelle, phénomène fondamental et historiquement premier, a précédé l'individu, et non le contraire. L'individu n'est apparu qu'au cours d'un processus de désintégration du corps social. L'homme naît pour une société permanente.

En outre, d'homme à homme, tout est identité. L'identité, support affectif et psychologique de la vie sociale, tient une place fondamentale dans la pensée politique de Saint-Just.

Saint-Just décrit l'état social comme l'alliance harmonieuse de la vie en société et de l'indépendance. Saint-Just écrit : « Tout ce qui respire est indépendant de son espèce, et vit en société dans son espèce ». L'identité d'origine et son corollaire l'égalité permettent d'éliminer de la vie sociale tout phénomène de domination ayant sa cause dans une différence de puissance. Il faut veiller soigneusement à les maintenir afin de préserver l'harmonie de l'état social. Car toute inégalité, de quelque nature qu'elle soit ruinerait l'identité originelle et introduirait dans la société une hétérogénéité qui serait un facteur certain de dissolution et scinderait la société en autant de groupes distincts et ennemis. Avec comme conséquence, à l'opposé de l'état social originel harmonieux la naissance de l'état sauvage ou état politique. En effet l'état social disparaît car l'apparition de la différence engendre les rivalités ainsi que la volonté de domination.

Découle une idée fondamentale : la force, nous dirions la contrainte est à proscrire car elle est destructrice de l'unité sociale. Dès que l'on substitue à un rapport d'identité et d'égalité un rapport de contrainte ou de domination, on laisse apparaître un couple maître-esclave. L'état politique sert à désigner tout rapport fondé sur la force, l'inégalité et la contrainte. Et Saint-Just assimile sans aucune réserve la vie dite civilisée à une vie sauvage.

Saint-Just comme le mouvement révolutionnaire jacobin est donc animé d'un souffle pour un retour vers un état naturel pré-politique.

Alors que le législateur jacobin cherche à former des institutions républicaines, l'orientation vers la nature rend ces mêmes jacobins pourtant suspicieux à l'égard de toute institution : « obéir aux lois, cela n'est pas clair » écrit Saint-Just.

La contradiction, le paradoxe qui se dessine, c'est qu'alors que Saint-Just part d'un projet de restauration de la cité sur des assises naturelles, il ne peut faire l'économie d'un acte de fondation, fondation d'un nouveau régime, la République pour mettre fin à la Royauté.

Et c'est là qu'intervient la notion d'héroïsme, indissociable de l'histoire de la Révolution française. L'héroïsme est une dimension constitutive de la Révolution, la qualité qui va permettre de faire ce qui n'avait pas été fait jusqu'ici. Et Saint-Just occupe une place prééminente au titre de l'héroïsme.

L'héroïsme est le champ magnétique dela Révolution. Faute de reconnaître l'existence de ce « soleil central », on s'expose à ne pouvoir ni comprendre ni penser l'évènement révolutionnaire tel qu'il a été vécu par les contemporains. Michelet possédait l'intelligence politique de la Révolution et à ce titre considérait l'héroïsme qui permettait de faire advenir ce nouveau régime.

Mieux que personne il sut découvrir au sein de la Révolution une logique de l'héroïsme à l'oeuvre, comme force active et autonome.

Dans un rôle de Brutus moderne, régicide auréolé de sa jeunesse et de son nom, Saint-Just est soudain apparu, s'est révélé sur la scène publique, a, dans le procès du roi, connu l'expérience héroïque par excellence.

C'est pourquoi Michelet comprenant cela insiste sur l'ébranlement sans retour que provoqua lors du jugement du roi l'intervention de Saint-Just. « Ce discours eut sur le procès un effet énorme... Jeune ou non, exagéré ou non, il avait eu cette puissance de donner le ton pour tout le procès. Il détermina le diapason ; on continua de chanter au ton de Saint-Just ». « Qui allait porter le glaive ... Il fallait un homme tout neuf, qu'aucun précédent de philantropie ne pût entraver... »

La fondation du nouveau régime ne peut passer que par la mort du Roi : « Les mêmes hommes qui vont juger Louis ont une république à fonder : ceux qui attachent quelque importance au juste châtiment d'un roi ne fonderont jamais une république ... Pour moi, je ne vois point de milieu : cet homme doit régner ou mourir ...l'esprit avec lequel on jugera le roi sera le même que celui avec lequel on établira la République. ». Ou encore « la révolution commence quand le tyran finit ».

Mais ce commencement de la République qui se veut un retour originel est simultanément une fondation donc un appel à l'inconnu, à l'imprévisible désormais. Saint-Just lui-même n'a pas manqué de comparer l'évènement révolutionnaire à celui de la naissance : « Nous avons opposé le glaive au glaive, et la liberté est fondée ; elle est sortie du sein des orages ; cette origine lui est commune avec le monde sorti du chaos et avec l'homme qui pleure en naissant... Tout commence donc sous le ciel ».

La Révolution ne quitterait elle pas les rivages rassurants d'un retour à un ordre antérieur, naturel pour aborder les tempêtes de la liberté, pour s'engager dans l'inconnu d'une nouvelle expérience de la liberté, comme liberté de faire le bien et le mal. Bref le passage d'une Révolution restauration à une Révolution abîme. Saint-Just s'en rend bien compte car en même temps qu'il cherche le point où la Révolution doit s'arrêter « à la perfection du bonheur et de la liberté publique par les lois » dit son inquiétude devant l'identité désormais problématique de la Révolution, devant le mouvement vertigineux de la liberté : « On parle de la hauteur de la Révolution, qui la fixera cette hauteur ? Elle est mobile ».

Il prend conscience qu'il ne peut plus être fait comme avant, car face à cette béance ouverte par le régicide, l'héroïsme introduit un espace sans modèles, traditions : Saint-Just doit faire face à la disparition de toute règle et de tout modèle, avec la fin du roi et de la tradition. Il va falloir faire du neuf et l'héroïsme prend une seconde dimension batisseuse d'un nouveau régime après avoir été négative. L'héroïsme prend une autre dimension pour répondre au vide :

Saint-Just annonce le 25 avril 1794 : « N'en doutez pas, tout ce qui existe autour de nous doit changer et finir, parce que tout ce qui existe autour de nous est injuste ; la victoire et la liberté couviront le monde. Ne méprisez rien mais n'imitez rien de ce qui est passé avant nous ; l'héroïsme n'a point de modèles. C'est ainsi je le répète que vous fonderez un puissant empire, avec l'audace du génie et la puissance de la justice et de la vérité ».

Au tranchant de la parole régicide, succède un autre héroïsme : celui de l'exemplarité révolutionnaire. Lorsque le sol de la nature se dérobe, exposé au vide, le héros se transforme en impossible modèle. Privé de la nature, comment déterminer la limite entre la liberté et la licence : grâce à l'exemple du modèle révolutionnaire.Comment redonner corps à la société qui n'a plus les anciens critères abolis par la Révolution, sinon en offrant le corps du héros révolutionnaire comme modèle sacré à suivre. Mais ce modèle va être nocif à la Liberté : c'est remplacer une incarnation par une autre.

C'est pourquoi Camille Desmoulins qui aimait à rire des Dieux et des idoles disait de Saint-Just qu'il portait sa tête comme un « saint-sacrement ». Et Lucile Desmoulins à la mort de Danton s'écriera : Vive le Roi en signe d'une liberté perdue face à cette politique de la vertu révolutionnaire qu'était la Terreur. Car il n'y a pas de politique morale qui ne soit en même temps une dictature.

Cette maladie de l'Incarnation qui était dans la Terreur révolutionnaire : rappelons nous à cet effet les dernières lignes de la Préface de Michelet en 1869 intitulée le Tyran : « Heureusement le temps avance. Nous sommes un peu moins imbéciles. La manie des incarnations, inculquée soigneusement par l'éducation chrétienne, le messianisme, passe. Nous comprenons à la longue l'avis qu'Anacharsis Clootz (un allemand naturalisé français selon les principes de la Révolution française, car il en partageait les idées) nous a laissé en mourant : « France, guéris des individus ».

Voici expliquée la fascination qu'exerce sur moi le personnage de Saint-Just, celui qui a fait basculer la Révolution française à un moment décisif.

Article plus qu'emprunté car très peu modifié de Miguel Abensour « Sant-Just » dans le « Dictionnaire philosophique des idées politiques ».


lundi 3 mars 2008

Ecrire - Extraits - Duras (2)

Il faut toujours une séparation d'avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres. C'est une solitude essentielle. C'est la solitude de l'auteur, celle de l'écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c'était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l'on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu'elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l'écrit. Je ne parlais de çà à personne. Dans cette période-là de ma première solitude j'avais déjà découvert que c'était écrire qu'il fallait que je fasse. J'en avais déjà été confirmée par Raymond Queneau. Cette phrase : « Ne faites rien d'autre dans la vie que çà, écrire. » Ecrire, c'était çà la seule chose qui peuplait ma vie et qui l'enchantait. Je l'ai fait. L'écriture ne m'a jamais quittée.


Roma - Extraits - Duras

C'est l'Italie.

C'est Rome.

C'est un hall d'hôtel.

C'est le soir.

C'est la piazza Navona.

Le hall de l'hôtel est vide excepté sur la terrasse, une femme assise dans un fauteuil.

Des garçons portent des plateaux, ils vont servir les clients de la terrasse, ils reviennent, disparaissent dans le fond du hall. Reviennent.

La femme s'est endormie.

Un homme arrive. C'est aussi un client de l'hôtel. Il s'arrête. Il regarde la femme qui dort.

Il s'assied, il cesse de la regarder.

La femme se réveille.

L'homme lui parle dans la timidité :

Je vous dérange ?

La femme sourit légèrement, elle ne répond pas.

Je suis un client de l'hôtel. Je vous vois chaque jour traverser le hall et vous asseoir là. (Temps.) Quelquefois vous vous endormez. Et je vous regarde. Et vous le savez.

Silence. Elle le regarde. Ils se regardent. Elle se tait. Il demande :

Vous avez fini l'image ?
...oui ...
Le dialogue était donc fait ...?
Oui, il y en avait déjà un, je l'avais écrit avant de faire l'image.

Ils ne se regardent pas. Le trouble devient visible. Il dit à voix basse :

Le film commencerait ici, maintenant, à cette heure-ci ...de la disparition de la lumière.
Non. Le film a déjà commencé ici, avec votre question sur l'image.

Temps. Le trouble grandit.

Comment ?
Avec votre seule question sur l'image, là, à l'instant, le film ancien a disparu de ma vie.

Temps – lenteur.

Après ...vous ne savez pas...
Non ...rien...vous non plus...
C'est vrai, rien.
Et vous ?
Moi je ne savais rien avant cet instant.

Ils se tournent vers la piazza Navona. Elle dit :

Moi je n'ai jamais su. On a filmé les fontaines le 27 avril 1982 à onze heures du soir ... Vous n'étiez pas encore arrivé à l'hôtel.

Ils regardent la fontaine.

On dirait qu'il a plu.
On le croit tous les soirs. Mais il ne pleut pas. Il ne pleuvait pas à Rome ces jours-ci...C'est l'eau des fontaines que le vent rabat sur le sol. Toute la place ruisselle.
Les enfants sont pieds nus...
Je les regarde tous les soirs.

Temps.

Il fait presque froid.
Rome est très près de la mer. Ce froid est celui de la mer. Vous le saviez.
Je crois, oui.

Temps.

Il y a des guitares aussi...non ? On chante, on dirait ...
Oui, avec le bruit des fontaines...tout se confond. Mais ils chantent en effet.

Ils n'écoutent pas.


Tout aurait été faux ...
Je ne sais pas bien... Rien ne l'aurait été non plus peut-être. Nous ne pouvons plus le savoir ...
Il serait déjà trop tard ?
Peut-être. Un retard d'avant le commencement.

Silence. Elle reprend :

Regardez la grande fontaine centrale. On la dirait glacée, livide.
Je la regardais...Elle est dans la lumière électrique, on croirait qu'elle flambe dans le froid de l'eau.

[...]

Il dit :

Quelle est cette pensée constante qui vous fait si pâle, qui vous fait parfois vous enfermer sur cette terrasse à attendre le jour ...
Vous saviez que je dormais mal.
Oui. Je dormais mal aussi. Comme vous.
Déjà, vous voyez.

Temps.

[...]

Vous voyez, il en serait comme de votre sourire mais perdu, introuvable après qu'il a eu lieu. Comme de votre corps mais disparu, comme d'un amour mais sans vous et sans moi. Alors comment dire ? Comment ne pas aimer ?

Silence. Regards différés.
Temps. Ils se taisent. Il regarde loin, rien.


Ecrire - Extraits - Duras

Je crois que c'est çà que je reproche aux livres en général, c'est qu'ils ne sont pas libres. On le voit à travers l'écriture : ils sont fabriqués, ils sont organisés, réglementés, conformes on dirait. Une fonction de révision que l'écrivain a très souvent envers lui-même. L'écrivain, alors il devient son propre flic. J'entends par là la recherche de la bonne forme, c'est à dire de la forme la plus courante, la plus claire et la plus inoffensive. Il ya encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. Même des jeunes : des livres « charmants », sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence. Autrement dit : sans véritable auteur. Des livres de jour, de passe-temps, de voyage. Mais pas des livres qui s'incrustent dans la pensée et qui disent le deuil noir de toute vie, le lieu commun de toute pensée.

Je ne sais pas ce que c'est qu'un livre. Personne ne le sait. Mais on sait quand il y en a un. Et quand il n'y a rien, on le sait comme on sait qu'on est, pas encore mort.

Chaque livre comme chaque écrivain a un passage difficile, incontournable. Et il doit prendre la décision de laisser cette erreur dans le livre pour qu'il reste un vrai livre, pas menti. La solitude je ne sais pas encore ce qu'elle devient après. Je ne peux pas encore en parler. Ce que je crois c'est que cette solitude, elle devient banale, à la longue elle devient vulgaire, et que c'est heureux.

Quand j'ai parlé pour la première fois de cet amour entre Anne-Marie Stretter, l'ambassadrice de France à Lahore, et le vice-consul, j'ai eu le sentiment d'avoir détruit le livre, de l'avoir sorti de l'attente. Mais non, non seulement çà a tenu, mais çà a été le contraire. Il y a aussi les erreurs des auteurs, des choses comme çà qui sont en fait des chances. C'est très enthousiasmant les erreurs réussies, magnifiques, et même les autres, celles faciles comme relevant de l'enfance, c'est souvent merveilleux.

Les livres des autres, je les trouve souvent « propres », mais souvent comme relevant d'un classicisme sans risque aucun. Fatal serait le mot sans doute. Je ne sais pas.

Les grandes lectures de ma vie, celles de moi seule, c'est celles écrites par des hommes. C'est Michelet. Michelet et encore Michelet, jusqu'aux larmes. Les textes politiques aussi, mais déjà moins. C'est Saint-Just, Stendhal, et bizarrement ce n'est pas Balzac. Le Texte des textes, c'est l'Ancien Testament.

[...]

Certains écrivains sont épouvantés. Ils ont peur d'écrire. Ce qui a joué dans mon cas, c'est peut-être que je n'ai jamais eu peur de cette peur-là. J'ai fait des livres incompréhensibles et ils ont été lus. Il y en a un que j'ai lu récemment, que je n'avais pas relu depuis trente ans, et que je trouve magnifique. Il a pour titre : « La Vie tranquille ». De celui-là j'avais tout oublié sauf la dernière phrase : « Personne n'avait vu l'homme se noyer que moi. » C'est un livre fait d'une traite, dans la logique banale et très sombre d'un meurtre. Dans ce livre-là on peut aller plus loin que le livre lui-même, que le meurtre du livre. On va on ne sait pas où, vers l'adoration de la soeur sans doute, l'histoire d'amour de la soeur et du frère, encore, oui, celle pour l'éternité d'un amour éblouissant, inconsidéré, puni.

[...]

Et je voudrais aussi m'adresser à la droite et l'insulter de toute ma colère. L'insulte, c'est aussi fort que l'écriture. C'est une écriture mais adressée. J'ai insulté des gens dans mes articles et c'est aussi assouvissant qu'écrire un beau poème.

[...]

Moi je ressemble à tout le monde. Je crois que jamais personne ne s'est retourné sur moi dans la rue. Je suis la banalité. Le triomphe de la banalité. Comme cette vieille dame du livre : Le Camion.

A vivre comme çà, comme je vous dis que je vivais, dans cette solitude, à la longue il y a des risques qu'on encourt. C'est inévitable. Dès que l'être humain est seul il bascule dans la déraison. Je le crois : je crois que la personne livrée à elle seule est déjà atteinte de folie parce que rien ne l'arrête dans le surgissement d'un délire personnel.

On n'est jamais seul. On n'est jamais seul physiquement. Nulle part. On est toujours quelque part. On entend les bruits dans la cuisine, ceux de la télé, ou de la radio, dans les appartements proches, et dans tout l'immeuble. Surtout quand on n'a jamais demandé le silence comme je l'ai toujours fait.


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Rokia Traore - Un cri d'amour pour l'Afrique

Irma vep

Irma vep
Maggie Cheung

Mes citations

"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."

Hölderlin, Hyperion



"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"

Portishead



"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"

Marguerite Duras



Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier

Miossec, le chien mouillé (en silence)