lundi 8 décembre 2008

Les adieux de Diotima à Hypérion


Hypérion est parti combattre pour la libération de la Grèce: cette attente de chacun va sceller la fin de leur histoire d'amour. Cette séparation forte est une retranscription des circonstances et de la souffrance de l'éloignement forcé dans lequel ont été tenus Hölderlin et Suzette Gontard et qui a concouru à leur fin. En ce sens l'oeuvre d'Hölderlin est doublement auto-biographique, l'histoire vécue de leur Amour :

Ô Diotima, ô Alabanda ! créatures nobles et de si calme grandeur ! comment dis-je accomplir ma tâche si je ne veux fuir devant mon bonheur, devant vous ?
Comme j'écrivais, bien-aimée, je reçois ta lettre.
Ne t'afflige pas, pleine de grâce ! Garde-toi à l'abri du chagrin pour les futures fêtes de la Patrie, réserve- toi, Diotima, pour la fête ardente de la Nature, pour les sereines offrandes aux dieux !
Ne vois-tu point, déjà, la Grèce ?
Ne vois-tu point les astres éternels, heureux de ce nouveau voisinage, sourire sur nos villes et nos forêts, la mer antique, à l'aspect de notre peuple flânant sur ses rivages, se rappeler la beauté d'Athènes et nous apporter encore sur ses vagues, comme jadis à ses préférés, le bonheur?
Vibrante jeune fille ! Toi déjà si belle, en quelle exquise gloire fleuriras-tu, quand tu auras trouvé ton vrai climat !

DIOTIMA à HYPERION

Depuis ton départ, cher Hypérion, j'étais restée presque constamment enfermée. Aujourd'hui seulement, je me suis risquée dehors.
Dans l'air favorable de février j'ai cueilli un peu de vie, et ce peu, je te l'apporte. Le léger réchauffement du ciel a pu encore m'aider. J'ai pu goûter encore à la volupté neuve du monde pur et constant des plantes, où toute chose s'afflige ou reprend joie au moment voulu.
Cher Hypérion ! pourquoi donc ne suivons-nous pas nous aussi ces tranquilles chemins ? Hiver et printemps, été et automne sont des noms sacrés, mais nous ne les connaissons point. N'est-ce pas un péché d'être triste au printemps ? Pourquoi le sommes-nous quand même ?
Pardonne ! les enfants de la terre ne vivent que du soleil, je ne vis que de toi, et si j'ai d'autres joies, est-ce merveille que j'aie d'autres peines ? Mais dois-je vraiment être triste ?
Téméraire ami ! faudrait-il que je me flétrisse quand tu resplendis, que je perde cœur quand toutes tes fibres tressaillent du désir de vaincre ? Eussé-je appris naguère qu'un Jeune Grec se dressait pour arracher son peuple à la honte, le rendre à la maternelle Beauté dont i1 est issu, comme ma stupeur eût dissipé la rêveuse brume de l'enfance, comme j'eusse désiré voir ce héros ! Et maintenant qu'il est là, maintenant qu'il est mien, je pleure ? La sotte Jeune fille ! N'est-ce donc pas vrai, n'est-il pas ce héros, et n'est-il pas à moi ? Ô ombres de ce temps radieux, ô vous, chers souvenirs !
Il me semble pourtant que c'était hier, ce soir magique où l'inconnu sacré s'approcha de moi pour la première fois, où, génie affligé, il vint éclairer les ombres de la forêt où rêvait une insoucieuse jeune fille... Il vint dans les souffles de mai, dans les souffles magiques d'Ionie qui me le firent paraître plus rayonnant, dénouèrent ses boucles, ouvrirent les fleurs de ses lèvres, changèrent en sourire sa tristesse... Ô célestes rayons ! comme vous m'illuminiez du fond de ces yeux, de ces sources où dans l'ombre protectrice des sourcils miroite une vie éternelle !
Dieux favorables ! Comme me regarder l'embellit ! Comme il parut grandir dans sa souple fibre ! Seuls ses bras restaient pendants, telles des choses vaines ... De ravissement, il leva les yeux, comme si j'avais été enlevée au ciel ; puis, avec quelle grâce il sourit et rougit de me retrouver devant lui, et quand son œil solaire brilla entre les larmes proches pour demander :
Est-ce toi, est-ce bien toi ? ...
Pourquoi vint-il à moi dans un tel esprit de ferveur, d'amoureuse superstition ? Pourquoi avait-il d'abord baissé la tête, pourquoi, si divin, était-il si avide et si triste ? Son génie était trop radieux pour rester seul, et le monde trop pauvre pour le contenir. C'était une image poignante, tissée de souffrance et de grandeur.
Mais tout est change maintenant, la souffrance est finie. Il a trouvé une tâche, il a guéri.
Mon bien-aimé, quand j'ai commencé cette lettre, je n'étais que soupirs. Je suis toute Joie maintenant. Parler de toi rend le bonheur. Puisse-t-il en être toujours ainsi. Adieu.

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Mes citations

"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."

Hölderlin, Hyperion



"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"

Portishead



"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"

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Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier

Miossec, le chien mouillé (en silence)