lundi 12 novembre 2012

Argo .. passez vous le mot !

Une vraie histoire déclassifiée en 1997 par Clinton qui voulait ainsi redorer le blason de son prédécesseur démocrate à la Présidence, Carter, que les Américains ne voulaient plus voir et qui allaient s'en débarrasser pour le bouillonnant Reagan!

Ce film nous replonge dans cette atmosphère de décadence américaine où les drapeaux et les vies américaines risquaient de bruler dans ce moyen orient qui s'enflammait !

Les vies américaines bafouées, et un film dont le scénario est si peu réaliste qu'il est en fait encore plus incroyable qu'il s'agit d'une histoire réellement vécue !


Tiré d’une histoire vraie, Argo nous ramène en novembre 79, alors qu’une révolution fait rage en Iran, 52 Américains travaillant pour l’ambassade américaine à Téhéran se font prendre en otage tandis que 6 autres parviennent à s’échapper et à se cacher dans la maison de l’ambassadeur Canadien. Plusieurs mois plus tard, la CIA décide enfin d’organiser une mission sauvetage unique et top secrète dirigée par un spécialiste de l’exfiltration, Tony Mendez, qui mettra au point un plan surprenant et risqué : prétexter le tournage d’un film en Iran et sortir les six rescapés du pays.

En fait un vrai film sur un faux film auquel il fallait à tout prix donner l'apparence d'un film réel : en dépendait la vie de 6 personnes plus celle de l'exfiltreur !

Pour insister sur l'aspect vrai-faux, un site retranscrit bien cette incohérence fondamentale mais qui était le meilleur mauvais plan à disposition de la CIA : "Tony Mendez, spécialiste de l’exfiltration monte un plan original et sacrément risqué. En effet, avec l’aide de producteur hollywoodiens, il va monter le projet d’un tournage de film de SF qui doit se rendre en Iran. Mais tromper les autorités ne sera pas aussi simple. [...] Mais plus qu’une simple reconstitution, Ben Affleck a une histoire à raconter et aussi invraisemblable qu’elle puisse être, elle est labellisée « histoire vraie» ."

Pour citer une critique : "Argo arrive à nous convaincre du danger et de l’enjeu presque désespéré de la mission, grâce à une mise en scène oppressante et des scènes insérées qui nous rappellent régulièrement la situation précaire dans laquelle vivent les 6 américains cachés en Iran. D’ailleurs, comment résister ? Comment ne pas s’intéresser à cette affaire, bien réelle, qui n’a été rendue publique que dans les années 80 ? Une telle histoire, justement digne d’un film, méritait largement d’être portée à l’écran. Argo provoque l’empathie des spectateurs qui, rapidement, ne se demanderont qu’une chose : vont-ils s’en sortir ? Le suspens commence bientôt à nous envahir et ne vous lâchera plus jusqu’à la dernière minute tant l’issue du film est incertaine."

Accrochez vous à vos sièges, je n'ai rarement vu film plus convulsivement prenant ! Pourtant on ne sort aucun flingue : on les sait démunis comme l'exfiltreur qui n'a que sa parole pour avancer dans un pays hostile l'Iran d'un Khomeiny fanatisé !

Il faut voir le garçon arrivé barbu (il valait mieux) quasiment seul non iranien dans l'avion atterissant à l'aéroport de Téhéran en provenant d'Istanbul pour déjouer les milices islamisques(ils ne sont pas nombreux les occidentaux à prendre l'avion dans ce sens là ...en janvier 1980 en plein coeur de la crise des otages)alors que l'aéroport est plein de gens essayant de fuir dans un climat d'angoisse prégnant, où les arrestations se multiplient ...La seule vue de l'aéroport à l'arrivée alors qu'il n'a même pas une arme à feu sur lui est une preuve de courage incroyable ...

J'ai beaucoup aimé cette phrase finale du même critique : "Si vous avez tendance à vous ronger les ongles, ne tentez pas d’arrêter avant d’aller voir Argo."


Argo (Ben Affleck) - Bande-Annonce / Trailer... par Lyricis

Tony Mendes recevra l'intelligence star : il fait partie des 50 américains de la CIA reconnus par la plus haute distinction (qui est secrète lorsqu'elle est décernée !)


Allez je vous laisse avec la meilleure critique trouvée sur le web qui résume tout ce que j'ai dit, en plus brillant ! :

« C’est l’idée la moins pire que nous ayons monsieur, et de loin. » Argo, c’est donc l’histoire d’un agent de la CIA (Tony Mendez, alias Ben Affleck) qui se rend à Téhéran lors de la crise des otages de 1979. Sa mission est de ramener six Américains cachés à l’ambassade du Canada. Il invente un faux tournage de film de science-fiction, et se donne un mal fou pour que ce faux tournage ait l’air authentique. Tony part à Hollywood, trouve les soutiens nécessaires grâce à Lester Siegel et John Chambers, deux vieux briscards du milieu du cinéma. Et hop, mise en abyme – sujet de rigolades.

« Si je fais un faux film , ce sera un faux succès ! « . L’idée est que Tony parte seul – mais revienne une « équipe de tournage »(composée des six diplomates), équipe supposée faire des repérages pour « Argo », un film de SF. Les diplomates américains devront jouer le rôle de scripte, réalisateur, décoratrice, caméraman. Et tous jouent leur vie sur ce coup … Une histoire vraie que même un enfant croyant encore au Père Noël ne goberait pas. Et pourtant ça a marché ! Rassurez-vous : dévoiler cette heureuse issue ne vous empêchera de vous ronger les ongles ou de fermer les yeux à certaines scènes. On est totalement pris par l’histoire, du début à la fin.

Argo est le genre de film qu’on a envie de recommander à tous. Argo combine tous les codes du bon thriller, tout le suspens d’un film politique, avec la satire du monde du cinéma et une légère critique du système hollywoodien. Mais ce n’est pas un fourre-tout, tout est bien agencé dans le cinéma de Ben Affleck. Visuellement, techniquement, c’est bien réalisé : esthétique seventies, image granuleuse, looks et musiques d’époque… Difficile de distinguer les prises de vues d’Argo d’images d’archives. Argo a également le mérite d’aborder un point d’Histoire méconnu et sensible, tout en restant subtil. Enfin tout est maîtrisé et équilibré dans Argo : la musique n’en fait pas trop : la partition d’Alexandre Desplat est belle mais sobre. L’interprétation est superbe (et les acteurs ressemblent aux vrais protagonistes, Ben Affleck mis à part). Mention spéciale à Alan Arkin et John Goodman en « vieux de la vieille hollywoodiens » qui balancent les plus belles répliques humoristiques, notamment cette phrase qui restera dans les annales : »Argoccupe toi de tes oignons ! » (« Argofuckyourself ! » en VO). Ou encore ce magnifique échange : « Le public visé détestera.-Quel public ?-Celui avec des yeux ! » Quant à Ben Affleck, même s’il incarne le héros de l’histoire, il ne tire pas la couverture à lui : son jeu est discret et efficace, comme le héros qu’il incarne.



Très très vraie cette remarque finale !

Allez encore un autre site intéressant (on ne s'en lasse pas hi hi !!) :






dimanche 11 novembre 2012

Sophie Hunger danse à nouveau au Café

Sophie Hunger est de retour ! Elle a su se renouveler. Pour ce faire, elle a pratiqué le lien défait, qui était nécessaire avec ses acolytes si brillants d'avant. Seul reste de la troupe précédente Simon Gerber

Elle a désormais la voix plus chaude, le timbre plus mélodieux : on ne sent plus la suissesse germanique (ou allémanique pour faire plus français) qui chante, y compris lorsqu'elle s'exprime en haut-allemand !

La nouvelle troupe est forcément moins brillante mais plus homogène : il s'agissait de faire quelque chose de différent ! Ses deux compères d'alors étaient ses alter ego, et plus tournés vers le classique, qu'un groupe au sens rock, jazz ou punk du terme !

Des nouveaux morceaux, surtout au début du concert mais même au fur et à mesure du concert si les anciens morceaux se faisaient plus nombreux, la tonalité du concert était différente !

Il est intéressant de voir aussi les morceaux qu'elle a acceptés de garder avec elle, d'exprimer publiquement en concert, car ils tenaient toujours avec la nouvelle ligne de conduite qu'elle est choisie comme voie désormais.

Elle était jusqu'ici extraordinaire : quand sa voix s'était mise à briller magistralement dans le concert musical, ce blog s'en était fait l'écho. Puis de concert en concert, la 2nde vague de concerts continuait d'extasier l'assistance mais ceux qui avaient vu l'étincelle initiale, savaient qu'il ne s'agissait plus que d'un génial 17/20 quand la boule noire (où elle rentra par l'arrière de la salle dans le public comme une inconnue pour rejoindre sa loge !) était un miracle de beauté, de génie, d'un talent incommensurable !

Et ce soir nous avons retrouvé pour Paris, au Café de la danse, ce souffle à nouveau s'exprimer ! Dans une voix qui ne sera plus aussi classique mais délibérément jazz, soul, punk voire rock !

Alors voici la nouvelle Sophie Hunger : merci à Elodie à qui nous avions fait découvrir l'artiste de nous avoir invités à retourner la voir :



Un extrait plus soft mais qui rend bien la nouvelle tonalité mélodieuse de la chanteuse :




La joie se lit sur son visage :



Une petite trouvaille ou une autre façon de célébrer la suisse allemande : un cantique qui pourrait virer au gospel cette fois-ci !





mercredi 31 octobre 2012

J'ai vu ce soir un superbe documentaire sur Georg Solti, dont la vie a été un combat contre l'antisémitisme et pour faire exploser au grand jour son talent !



Le nom de Georg Solti est inévitablement associé à celui de Wagner, en particulier à l’enregistrement mythique du « Ring » en studio avec l’Orchestre philharmonique de Vienne. Tout au long de sa vie, Solti collectionne les Grammy Awards – il est d’ailleurs l’artiste le plus récompensé dans le monde et figure à ce titre dans « le Guinness des records ». Il en a reçu 31 en son nom

Répétiteur à l’opéra de Budapest, ses dons pour la direction d’orchestre se font rapidement sentir. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, il rejoint le chef italien Arturo Toscanini en Suisse dans le but d’obtenir une lettre de recommandation de sa part. Les deux hommes ont d’ailleurs la même gestique, un peu saccadée, trépidante. La guerre éclate au cours de son séjour et Solti ne rentrera pas chez lui.

Il ne reverra jamais ses parents. Outre ce drame personnel, son identité de juif immigré planera comme une ombre sur sa carrière. Il passera un quart de siècle à diriger les opéras d’Europe, de Munich à Londres, avant de se retrouver à la tête de l’Orchestre symphonique de Chicago. Ce film, un peu scolaire, a le mérite de rendre hommage à un artiste intransigeant qui a marqué l’histoire de l’interprétation.

Georg Solti (ce nom veut dire 'habitant de Solt', petite ville au sud de Budapest; il a été choisi par son père en 1919 quand le Régent Horthy a ordonné aux Juifs d'adopter un nom hongrois) étudie le piano et la composition avec Kodály, Bartók, Dohnányi et Weiner à l'Académie de musique Franz-Liszt.Il devient ensuite répétiteur à l'Opéra d'État de Budapest, mais n'a pas le droit d'y diriger à cause des lois antisémites en vigueur. Il tente ensuite sa chance en Allemagne, à Karlsruhe et à Mannheim, mais en est vite chassé. Assistant de Toscanini au Festival de Salzburg en 1936 (La Flûte enchantée), il y retourne en 1937. Malgré les lois anti-sémites, il parvient à diriger à l'Opéra de Budapest en 1938 (Les Noces de Figaro) - une seule fois - l'avancée de l'armée allemande sur Vienne étant annoncée pendant l'entracte.

Il avait en effet effectué ses débuts à l’opéra sous les plus mauvais auspices, dirigeant Les Noces de Figaro à Budapest le soir de l’Anschluss où, en 1938, l’Allemagne nazie annexa l’Autriche.

Il passa les années de guerre en Suisse à affûter sa redoutable technique de pianiste de concert. Il s'enfuit en Suisse en 1939 où, à part quelques cours de piano et deux apparitions à l'Opéra de Genève en tant que chef remplaçant (Werther) , il lui est interdit de travailler.

Dès que les hostilités eurent pris fin, il gagna l’Allemagne pour relancer sa carrière de chef d’orchestre ; avec le soutien d’un camarade de l’Académie Liszt, le pianiste Edward Kilyéni, devenu officier dans l’armée américains d’occupation, il décrocha rapidement le poste de directeur musical de l’Opéra d’état bavarois de Munich, notamment parce qu’à l’époque, rares étaient les chefs allemands n’ayant pas eu d’accointances avec les nazis.

Solti quitta Munich pour devenir directeur musical de l’Opéra de Francfort en 1952, où il demeure jusqu’en 1961. Pendant cette période, il fit ses débuts dans les fosses de San Francisco (1953) et de Glyndebourne (1954), rencontrant à chaque fois le succès, et mena de nombreuses activités dans toute l’Allemagne.

C’est dans Wagner que Georg Solti s’imposa comme artiste du disque en Europe et en Amérique : à l’automne 1958, c’est lui qui fut engagé pour diriger le Wiener Philharmoniker dans la première intégrale au disque de Das Rheingold. La première Tétralogie discographique de l'histoire, dès 1958, fit connaître ce sens dramatique incisif qui caractérise sa direction vive, nerveuse, acérée. Grâce à cet enregistrement, qui figura même brièvement au classement des dix meilleures ventes d’albums aux USA, Georg Solti fit ses débuts au Royal Opera House de Covent Garden en 1959, avant d’en devenir le directeur musical en 1961.

Les premières années passées au Covent Garden ne furent pas faciles pour Georg Solti , qui dut faire face à l’hostilité permanente de la presse, les critiques lui reprochant son trop plein d’énergie nerveuse, avec ses temps rapides, ses dynamiques extrêmes et la précision obsessionnelle de son articulation. C’est seulement au bout de trois ans que les attaques de la critique se firent moins violentes. De fait, ce qui jouait en faveur de Georg Solti était son indéniable volonté de rehausser le niveau d’interprétation, notamment du point de vue des critères orchestraux. C’est tout à fait le Georg Solti de cette époque que l’on retrouve dans sa lecture de l’Ouverture du Vaisseau fantôme de Wagner, captée pour la télévision en 1963. L’accent est mis sur la netteté de l’articulation et les paroxysmes des dynamiques – avec des crescendos allant du pianissimo le plus doux au fortissimo le plus assourdissant.

Au milieu des années 1960, les magnifiques intégrales de Siegfried et Götterdämmerung réalisées par Georg Solti avaient pleinement établi sa réputation de wagnérien.

Il est fait Chevalier commandeur de l'Ordre de l'Empire britannique (nommé à titre honoraire en 1971, il le devint de plein droit avec prédicat de Sir le 3 février 1972 quand il fut naturalisé britannique).

De 1969 à 1991, il est chef principal de l'Orchestre symphonique de Chicago. Grâce à lui cet orchestre, en difficultés depuis la mort de Fritz Reiner, va s'affirmer comme un des plus grands du monde, notamment après sa première tournée mondiale en 1971. L'ère Solti à Chicago se termine en 1991.

Georg Solti n’avait alors plus guère de rivaux, que ce soit en concert ou au disque. Même âgé, une grande partie de sa fougue demeurait intacte, avec son souci constant de la tension rythmique, de la puissance des contrastes et son sens théâtral. Son style était efficace sur le vif, et en a fait un chef d’orchestre de légende.

Georg Solti en vint à dominer le paysage musical international du dernier quart du 20e siècle, au même titre que Herbert von Karajan.

En 1994, il crée le Carnegie Hall Project avec un orchestre de jeunes dont les premiers pupitres étaient tenus par des solistes prestigieux. En 1995, il fonde le World Orchestra for Peace, recrutant des musiciens des plus grands orchestres du monde.

La tombe de Sir Georg se trouve à côté de celle de Béla Bartók dans le cimetière Farkasreti à Buda. Sir Georg s'est toujours souvenu de ses débuts difficiles. Il a personnellement payé les études de nombreux jeunes et, juste avant de mourir, a fait don de trois pianos de concert à l'Académie Franz Liszt de Budapest. En 1990, au lendemain de la destruction d'habitations d'immigrés turcs en Allemagne, Sir Georg Solti a emmené le London Symphony Orchestra afin de donner un concert pour financer leur reconstruction.

dimanche 30 septembre 2012

Minority Report

C'est Tom Cruise, tombé amoureux de la nouvelle, qui aura l'idée du projet Minority Report et d'y convier Steven Spielberg. Cela marque la première collaboration des deux hommes qui avaient prévu de travailler ensemble dès leur première rencontre en 1983, à l'époque de Risky Business. Ils se retrouveront dans la Guerre des mondes. L'acteur a effectué la plupart de ses cascades lui-même, fort de son expérience sur Mission impossible 2 même si le réalisateur est parvenu à l'empêcher d'en faire certaines.


L'idéologie sécuritaire

Sous couvert du thème de la sécurité, Minority Report pose la question philosophique classique du libre arbitre face au déterminisme. L'une des questions principales est donc : « le futur est-il écrit ou le libre-arbitre, les choix, peuvent-ils modifier celui-ci ? ». Celle-ci est aussi discutée à travers la question de la justesse de la vision des précogs. Agatha affirme que dès l'instant où Anderton connaît son avenir, il peut le changer. Le film montre aussi que c'est cette connaissance d'Anderton qui peut être la cause de la mort de Leo Crow. Dès lors, peut-on accuser quelqu'un du fait qu'il va commettre un meurtre si quelqu'un peut faire en sorte, à l'aide des précogs, de faire commettre un meurtre ? Le crime existerait-il si l'on ne tentait pas de l'empêcher? Le traitement de ce thème a entraîné des critiques à la fois positives, parfois même faisant de ce point le principal intérêt du films et négatives.

On peut également, comme les Cahiers du cinéma, voir une interrogation sur le concept de « tolérance zéro ».






Entre futur proche et rétrofuturisme

Pour créer un futur proche crédible, Steven Spielberg, en 1999, invita quinze expert du Global Business Network, son président Peter Schwartz, le fondateur de Wired Kevin Kelly et le démographe et journaliste Joel Garreau dans un hôtel de Santa Monica. Ils y ont fait un brainstorming pour réfléchir en détail à quoi ressemblerait le monde de 2054. Parmi les experts, on pouvait compter Stewart Brand, Peter Calthrope, Douglas Coupland, le professeur au Media Lab du MIT Neil Gershenfeld, le chercheur en biomédecine de la DARPA Shaun Jones, l'un des inventeurs de la réalité virtuelle Jaron Lanier, le designer automobile Harald Belker (qui avait travaillé sur xXx et Armageddon)27 et l'ancien doyen de l'école d'architecture du MIT William J. Mitchell. Le film aura d'ailleurs prédit quelques innovations technologiques apparus les années suivantes : avènement des interfaces tactiles, écrans publicitaires intelligents...

Les discussions n'ont pas changé les éléments clefs dont les séquences d'action du film avaient besoin, mais ont néanmoins influencé les aspects utopiques du film. John Underkoffler, le conseiller scientifique et technologique du film, décrivit au final celui-ci comme « plus gris et plus ambigu » que ce qu'ils avaient prévu en 1999.



D'un point de vue stylistique, Minority Report peut faire penser à A.I. Intelligence artificielle, précédent film réalisé par Steven Spielberg, plus qu'à E.T. l'extra-terrestre, un autre de ses films de science-fiction référence31. Le film est volontairement suréclairé et durant la postproduction, un traitement sans blanchiment (bleach bypass) a été utilisé. Cela donne au film un aspect particulier, avec des couleurs vraiment désaturées. On dirait presque un film en noir et blanc du fait que les tons noirs et les ombres sont très marquées. Le film possède 481 plans d'effets spéciaux, ce qui en fait le film le plus complexe de Steven Spielberg, selon Bonnie Curtis, qui n'avait pas atteint ce nombre depuis Rencontres du troisième type.

On lui prête pourtant parfois, malgré une apparence froide futuriste donné par ces couleurs, un aspect fin des années 1970, rétrofuturiste. Selon Spielberg lui-même, la musique renvoie aux films noirs de l'époque de Humphrey Bogart et de John Huston.

En France, la très grande majorité des critiques est conquise25. Gérard Delorme de Première trouve que c'est le film le plus excitant de Steven Spielberg depuis Jurassic Park et que la prestation des deux acteurs principaux est bonne. C'est « réussi » pour Télérama, « du grand art » pour le Figaro, « essentiel » pour Mad Movies, « dynamique et inventif » pour Zurban. Libération note cependant une « vague insatisfaction finale ».

Donc plutôt que de vous parler plus longuement du film, allez le louer HI HI HI !!!

Bip Bip !!

Tel est mon nouveau surnom au travail !

Car on m'a fait une surprise pour mon anniversaire, que je n'ai pas vu venir (si, si !!!) !

Et me voilà comparé pour sa rapidité à Bip Bip !!! qui échappe toujours à Coyote !

Alors pour ceux qui ne sauraient pas à qui je suis comparé voici une video sur les exploits de mon nouveau surnom : bip bip !!



Il faut dire que je suis difficile à trouver dans mon bureau !

samedi 14 juillet 2012

L'esprit du marathon

Extraits choisis du beau livre "Marathon" de Bernard Chambaz :


Qui a le sens d'observer, contempler, voire voyager comme on peut l'entendre aujourd'hui dans l'expression « courir le monde». Tout se passe comme si on pouvait établir un parallèle entre courir et contempler.

Une mention particulière doit être accordée à Artémis. Elle est surtout la déesse de la chasse. Elle passe pas mal de temps à courir à travers les montagnes et les bois ; un arc et un carquois à l'épaule, elle pratique allègrement le cross-country. Elle inspire et protège tes nymphes: ainsi Daphné court pour échapper au désir d'Apollon, elle précipite ses pas. Elle est plus rapide qu'un souffle léger, elle va si vite que le vent dévoile son corps, mais ça ne suffit pas. Au contraire, elle sent qu'Apollon la rattrape, et sur le point d'être rattrapée elle est transformée en laurier. C'est à Delphes que les vainqueurs des Jeux recevront une couronne de laurier. Artémis est associée a la commémoration de la victoire. Xénophon en fait mention quand il évoque une grande fête à caractère religieux en son honneur, chaque année, avec le sacrifice de quantité de chèvres. Par ailleurs, Artémis apparaît comme Phosphores, porteuse de torches, une flamme qui est olympique et qui éclaire la nuit. Elle préside ainsi à quelques courses aux flambeaux. Au sanctuaire de Brauron qui lui est dédié, les jeunes filles nobles s'exerçaient, pour devenir adultes, à quelques disciplines dont la course a pied.

Atatante est une héroïne qui a pour patronne Artémis. On ne s'étonnera pas qu'elle soit réputée pour ses aptitudes physiques. Elle court beaucoup, je suppose par principe, mais aussi par nécessité, pour éviter d'être violée par des centaures. Elle va sûrement très vite. Elle remporte la course et le prix lors des jeux funèbres célébrés en l'honneur du roi Pélias. Elle refuse de se marier, mais elle annonce qu'elle épousera l'homme capable de la battre à la course. Elle pense ne courir aucun risque, mais il faut bien raconter des histoires et faire vivre les mythes. N'importe qui ne va pas la défier car elle prévient qu'elle mettra à mort le prétendant défait, mais beaucoup relèvent le défi parce qu'elle est très belle, surtout quand elle a enlevé ses habits, car on a l'habitude de courir à peu près nu. À vos marques, prêts, feu, elle leur laisse un peu d'avance, mais elle est très légère, elle les rattrape, elle les transperce avec une lance. Ovide compare sa course au vol d'une flèche: il ajoute « c'est la course même qui la rend belle» ; il ne peut s'empêcher d'apporter des précisions, il décrit les rubans de ses sandales, ses cheveux, les bandelettes brodées qui flottent à ses genoux, Hippomène tente sa chance à son tour Le stade est comble, les spectateurs ravis par le spectacle. Hippomène et Atalante alignés sur le « point de départ». Les trompettes retentissent, ils s'élancent, ils bondissent, la piste est assez large, Hippomène s'encourage, il ne doit surtout pas ralentir. Il a pourtant « la bouche desséchée par la fatigue », il est essoufflé, haletant, on devine une course de fond ou de demi-fond puisque Aphrodite, qui la raconte par la voix d'Ovide, en résume la fin « pour que mon récit ne traîne pas plus en longueur que la course elle-même ». Sans subterfuge, Hippomène eût été condamné. Aphrodite la déesse de L'amour lui donne opportunément des pommes d'or, il les laisse rouler au sol juste avant d'être rejoint, Atalante les ramasse, il gagne La course. Franchement, elle y a mis beaucoup de bonne volonté, elle était sûrement tombée amoureuse.

Cela dit, de quels mots les Grecs font-ils usage pour relater La course. Bien sûr, il faut tenir compte des traductions, de la difficulté de rendre des expressions antiques. Parmi les plus remarquables, j'ai repéré « jouer des jarrets » ; Le jarret passe pour être le siège de la force et Le pli du genou l'articulation fondamentale; on aspire donc à « mouvoir ses genoux rapides». Sur les vases peints, les genoux légèrement pliés sont le signe de la course. Le perdant a les jarrets coupés. Autrement, on met à genou un adversaire. Enfin les Grecs déposaient des offrandes sur Les genoux des statues quand ce n'était pas à leurs pieds.

Courir longtemps? Cette pratique ne semble pas avoir de sens. Il faut qu'il y ait un but, visiblement on ne court pas pour le plaisir. Courir, sur le plan symbolique, c'est ébranler la terre comme dans les mythes de fécondité. Au sens littéral, c'est se comporter en athlète. Ulysse est le premier athlète de la Littérature, cette fois c'est dans l'Odyssée, non parce qu'il court les mers pendant dix ans, au contraire, c'est au chant VIII alors qu'il est invité à une fête à la cour du roi Aïkinos. Un hôte met en doute sa qualité d'athlète et sa connaissance des jeux, bien que le fils du roi fasse l'éloge de son corps : « Voyez comme il est fait ! ces cuisses, ces mollets», tout en déplorant qu'il soit « brisé» par les années en mer. Il joint aussitôt le geste à la parole ; il prouve qui il était et qui il est en lançant Le disque plus Loin que tous Les concurrents; tant qu'à faire, il les défie à tous les jeux, à l'exception d'un seul. La course, parce qu'il a « les jambes rompues» par sa longue errance. Parmi ces jeux, on peut noter une épreuve de saut, et l'on ne s'étonne guère de voir affluer aussitôt des milliers de spectateurs. Enfin, le fils du roi reprend à son compte La litanie des aînés: il n'y a pas « en cette vie une gloire plus grande que de savoir jouer des Jambes et des bras». Athlios dit à la fois l'athlète qui lutte et le prix qu'il emporte, donc l'idée de compétition, assez exactement ce que les Anglais nomment challenge, la course et la coupe qui vient couronner le vainqueur.

















1900, Paris

On est en juillet, la canicule remet ça. Le tracé emprunte les boulevards des Maréchaux. Le départ est donné au Pré Catelan, dans le bois de Boulogne, mais c est très vite un joli bordel, avec des policiers de service donnant des indications erronées, des chaussées éventrées, des zones de travaux, l'itinéraire à tracer entre des tramways, des fiacres et même des troupeaux de moutons du côté de la Villette. Une indifférence assez générale a l'encontre des « saltimbanques».

Londres, 1908.

Le coureur américain John Hayes est sacré vainqueur du marathon après la disqualification de l'Italien Dorando Pietri. Cette année-là , les Anglais innovent : le Parlement vote des lois sociales avancées, les footballeurs professionnels fondent le premier syndicat, deux cent cinquante mille suffragettes manifestent dans les rues de La capitale. Après les deux précédents, plutôt ratés, ces Jeux donnent ses lettres de noblesse définitives au marathon. Il y a d'abord la distance qui deviendra la distance officielle, 42 kilomètres 195, par équivalence de yards dans le système décimal, de la terrasse du château de Windsor à la Loge royale dans le stade de White City. Il y a ensuite le même nombre de coureurs qui abandonnent en route que de coureurs qui vont au bout de la route, vingt sept.

Paris, 1924.

C'est surtout l'histoire d'un homme : Abdel El Ouafi, ouvrier aux usines Renault,les cheveux frisés, un garçon adorable venu d'un département français, chef-lieu Constantine. À mi-parcours, il est au vingtième rang, à plusieurs minutes des premiers dont il n'a pas pu suivre l'allure. Sans le savoir, il profite des coups de boutoir qui disloquent le groupe de tête et il revient sur des hommes émoussés. Son endurance fait le reste. Au vestiaire, il grille une cigarette, puis il essuie ses larmes devant le drapeau bleu-blanc-rouge hissé en haut du mât.

...1928, Amsterdam

Le plus beau, ou plutôt le plus triste, c'est la suite. Le comité international olympique le disqualifie, sous le prétexte de professionnalisme, lui qui avait déjà passé dix ans de sa vie à visser des boulons et des rivets, un peu comme Charlot dans Les Temps modernes. Mais il est parti de l'autre côté de l'océan : « C'est beau vous savez l'Amérique ! Les gens étaient très gentils avec moi. Je battais leurs champions, ils me demandaient des autographes.» Le miroir aux alouettes a pour nom le Pyle Circus. Et Ouafi enrichit Mr Pyle et ses acolytes, revient avec une liasse de dollars qu'il troque contre un petit café gare d'Austerlitz dont son associé le dépouille. Il retourne a l'usine, ouvrier qualifié puis manœuvre puis chômeur puis clochard. Il disparaît de la surface de la terre. Vingt-huit ans plus tard, la victoire de Mimoun lui permet de reparaître, mais c'est un vieux monsieur chauve, abîmé par la vie, bientôt truffé de plomb lors d'un règlement de comptes obscur avec le FLN algérien, son corbillard suivi par une poignée de connaissances au cimetière franco-musulman de Bobigny.

Berlin, 1936.

L'année précédente, à Tokyo, il a couru en moins de 2 h 30'. Il porte de chaussures blanches, un maillot blanc frappé du soleil rouge. Contrairement aux apparences, il n'est pas japonais mais coréen, il s'appelle Lee Chung Sohn mais la Corée avait été annexée par le Japon. Il est encore assez frais pour faire les cent derniers mètres en 13" 3/10 et boucler le marathon en moins de deux heures et demie. Sur le podium il garde la tête baissée pendant l'hymne japonais. Et il ne courra plus de marathon, refusant de porter le maillot blanc frappé du soleil rouge de l'occupant.

Jeux olympiques de Londres, 1948.

« Quand le style comptera en course à pied, comme au patinage artistique, je m'appliquerai» EMIL ZATOPEK

Les espoirs de Légende ne seront pas déçus. Zatopek arrive. Lisez Courir d'Echenoz, rien de mieux pour faire plus ample connaissance avec Emil. Ici le Tchécoslovaque gagne d'abord le 10 000 mètres, record olympique en prime, le dimanche; il gagne ensuite le 5 000 mètres, record olympique en prime, le jeudi; il gagne enfin le marathon, record olympique en prime, le huitième jour d'une semaine exceptionnelle. Cet après-midi-là , il se balade entre les bouleaux, il surmonte sans angoisse les petits coups de chaleur, il sourit à sa femme quand il la repère dans les tribunes. Le paradoxe veut qu'en entrant dans la Légende Zatopek ait détruit le mythe. Avec lui, le marathon deviendrait presque facile même si sa facilité était à l'évidence le fruit de ses qualités naturelles, de ses qualités mentales et de ses doses d'entraînement. De plus, Zatopek ne manquait pas d'humour. À ceux qui critiquaient son allure contorsionnée, il répondit : « Quand le style comptera en course à pied, comme en patinage artistique, je m'appliquerai. »


Rome

On y revient trois ans après la signature du traité de Rome qui marque les grands débuts de la construction européenne. Le pape Jean XXIII bénit les Jeux que saint Ambroise avait condamnés. L'événement majeur est cependant la décolonisation de l'Afrique. Vous avez aimé Zatopek, vous adorerez Abebe Bikila. La légende ne se dément pas. Il y a la Ville éternelle avec l'arrivée sous l'arc de Constantin la nuit tombée, douce, trouée par les éclairs de magnésium des flashs des photographies qui feront le tour du globe et prouvent que la magie reste supérieure au miracle de la télévision qui retransmet pour la première fois un marathon. Il y a surtout le vainqueur, idéal, un Éthiopien entré dans la garde du négus, coureur de haut plateau, entraîné par un Scandinave engagé dans la Croix-Rouge, le cœur jamais fatigué, les pieds couverts de corne car il court pieds nus. Le samedi 10 septembre, le départ est donné place du Capitole. L'échelon géographique s'est ouvert avec un Indien, un Cinghalais, un Libérien. L’itinéraire est tracé entre les massifs de lauriers-roses et les blocs de pierres ancestrales, va jusqu'à la mer avant de revenir par la via Appia où pour un soir les prostituées ont cédé la place a des soldats portant des torches pour éclairer les pavés à peine effleurés par Bikîla et Rhadi, le buste droit, sans regard pour les catacombes. Discret, longtemps sur les talons du Marocain qui venait de choisir les couleurs marocaines aux dépens des couleurs françaises. Bikila le lâche dans les allées bordées de pins maritimes,continue de la même foulée jusqu'à l'arc de Constantin, bat au passage le record du monde, en 2 h 15' 16". Surpris par tant d'excitation à l'arrivée, il refuse la couverture qu'on lui tend, triomphe à l'endroit même d'où les troupes italiennes s'étaient lancées à la conquête de son pays.


1968, Mexico

Le dimanche 2 tout le monde attend Abebe Bikita. Les pierres aztèques augurent d'un exploit, mais très vite il boitille, abandonne, il laisse les autres en découdre, et si l'éventail géographique s'ouvre encore il se referme aussi car le seul Finlandais engagé est contraint à l'abandon. Ils sont plusieurs à croire que leur jour est venu, au bout du chemin, mais c'est un autre Éthiopien, habitue à l'altitude, qui l'emporte. Mamo Wolde a le même âge que Bikila. Abebe ne courra plus. Cinq mois plus tard, sa voiture se retourne sur une route du haut plateau, il reste toute la nuit coincé sous la tôle. On le relève en miettes, paralysé, on le soigne en Angleterre mais il est condamné au fauteuil roulant et à une économie de gestes terrifiante. Accueilli par une foule en larmes à l'aéroport, trimbalé comme un trésor national pendant les quatre années d'une olympiade, essayant de survivre, jusqu'à l'hémorragie cérébrale salutaire qui le rend à la légende.


1984, Los Angeles

La grande nouveauté de ces Jeux est l'épreuve du marathon, dames. Deux noms marquent la course. Joan Benoit est américaine et elle gagne ce premier marathon olympique. On la surnomme « Marathon woman ». Elle vient du Maine, elle court coiffée d'une casquette de base-ball, elle va déjà plus vite que Zatopek. Peu après un départ matinal, à 8 heures, elle accélère l'allure, elle distance la favorite, la Norvégienne Grete Waitz, elle gère avec intelligence son pécule, elle augmente son avance sur les quatre kilomètres de highway incorporés au parcours, elle triomphe dans le Coliseum. Gabriela Andersen-Schiess se serait bien passée de la célébrité acquise ce premier dimanche d'août devant les caméras de télévision qui diffusent les images dans le monde entier. Elle a de l'expérience, elle passe sans coup férir les trois quarts de l'épreuve, mais s'il y a un mur du trentième ou du trente-troisième kilomètre, ce n'est rien à côté de ce qui l'attend tout à la fin. Elle ne se rend pas compte qu'elle est complètement déshydratée et, quand elle pénètre sur le stade, elle se met à zigzaguer à propre Cadence », elle trébuche à chaque pas car elle ne court plus. Comme un automate déréglé, elle est épouvantablement raidie. Il lui faut près de six minutes pour les 400 mètres du dernier tour de piste, sous les cris ambigus d'une foule rodée au grand spectacle. Pourtant, elle ne concède qu'un quart d'heure sur son meilleur chrono et elle peut compter sur sept participantes classées derrière elle. Toutefois rien ne peut effacer l'impression de pantin disloqué qu'elle a donnée.

1992, Barcelone

Malheureusement, le parcours relève davantage d'un dépliant touristique que d'un respect de l'athlétisme. Il est tarabiscoté, avec des virages qui cassent l'allure et obligent à relancer, et il se termine par L'escalade de la colline Montj'uich, exercice inhabituel et illogique. Quant à l'horaire, les impératifs de la télévision dictent leur loi. Personne ne s'étonnera que fa chaleur soit étouffante. Les premières, les femmes en font les frais, si l'on peut dire. La course est prudente donc lente. Yegorova qui porte le prénom de la première cosmonaute soviétique, Valentina, mais qui n'est plus soviétique et pas encore russe, offre une médaille d'or à l'enseigne éphémère de la CEI. Elle devance la Japonaise Yuko Arimori et la Néo-Zélandaise Lorraine Moller qui dédie la médaille de bronze à son mari, mort quatre jours plus tôt, et je suis prêt à parier qu'à chaque foulée elle répétait les syllabes de son nom, Ron Daws Ron Daws, ou un truc comme ça. Le dernier dimanche, les hommes manifestent la même prudence, avant qu'un trio de coureurs asiatiques ne se dégage, puis qu'un Coréen du Sud plus ou moins inconnu au bataillon, Hwang Young-choî , ne s'échappe sous les câbles d'un téléphérique et d'un funiculaire. En haut de la colline, il franchit la ligne en vainqueur. À peu près aussitôt, on doit l'emporter sur une civière, comme à la belle époque. Nakayama finit de nouveau au pied du podium, mais pour deux secondes au lieu de six à Séoul. La nuit finit à son tour par tomber, la cérémonie de clôture peut commencer, au mépris des athlètes car les organisateurs n'attendent pas l'arrivée des derniers coureurs.


1996, Atlanta

Le départ est matinal. Enfin le bon sens prévaut, mais pas la courtoisie si l'on songe que de nouveau les dernières arrivantes seront privées de stade. Depuis quatre ans, les Chinoises avaient fait feu de tout bois. Elles buvaient du sang de tortue en guise de lait de renne, leur entraîneur savait peut-être que le roi Louis XI avait envoyé un émissaire au Cap-Vert chercher des tortues parce que leur sang passait pour être souverain dans le traitement des maladies. C'est pourtant une jeune Éthiopienne qui leur dame Le pion. Fatuma Roba est née l'année qui suivit La mort d'Abebe Bikila, elle prend la tête dans Piedmont Avenue, elle s'envole dans Peachtree Road, elle est élancée, sa foulée est Longue. Yegorava et Arimori descendent juste d'une marche.

Le dimanche, un 4 août, c'est la dernière Journée des Jeux, et le peloton commence à ressembler à un peloton cycliste, par le nombre des coureurs sur la ligne de départ. S'entraînant depuis deux mois à Albuquerque et y étant sagement retournés après la cérémonie d'ouverture, les Sud-Africains affichent une maîtrise collective. Le final n'en est pas moins haletant, bien que le stade soit quasiment vide. Josiah Thugwane ne possède que trois secondes d'avance sur le Coréen Lee Bong-Ju, et huit secondes sur Le Kenyan Wainaina. Le vainqueur ne semble pas plus fatigué que s'il venait de terminer un 400 mètres haies. C'est un petit bonhomme de moins de 1,60 mètre, il ressemble au héros du film Les dieux sont tombés sur la tête : il s'est drapé dans l'étendard tout neuf de son pays, il a le visage masqué par des lunettes de soleil, il doit savoir qu'il n'aura plus jamais besoin de retourner dans la mine de charbon où il travaillait. Il pense peut-être à ce point de règlement rapporté par Raymond Pointu : dans les courses de fond, les Afrikaaners faisaient partir Les Noirs après les Blancs sous prétexte qu'ils étaient avantagés par leur peau qui les protégeait du soleil et qu'il fallait rétablir la justice au nom de la race et de Dieu.

2000, Athènes

Quant à Radcliffe, elle a le sentiment de vivre une tragédie. Quand elle comprend qu'elle n'aura même pas la médaille de bronze, elle, la Britannique, craque, s'assied sur le trottoir, au bord de la route, en larmes. La course des garçons a au moins trois points communs avec la course des filles. Elle compte un grand favori. Paul Tergat, qui devrait apporter sa première médaille d'or au Kenya ; elle se déroule par une chaleur pour ne pas dire une touffeur impressionnante. Un coureur se détache un peu avant la mi-course, le Brésilien Vanderlei de Lima, Tergat finira dixième, malade. Baldini sera vainqueur et ce n'est pas faire injure à ce bel athlète de penser que ce jour-là le mythe a choisi Lima. Vanderlei de Lima est donc en tête avec une assez jolie avance, il est fluide, il n'a pas oublié qu'à huit ans il travaillait à la ferme pour une poignée de haricots, il sait qu'il vole, il reste a peine sept kilomètres de course, il n'a pas même Le temps de voir surgir sur sa gauche un type habillé en kilt ou en jupette, un abruti qui Le ceinture et le pousse dans la foule.

Jeux olympiques do Pékin, 2008

Wanjiru apporte enfin au Kenya la médaille d'or si longtemps promise. C'est un très beau vainqueur, très jeune, vingt et un ans, il vît et il s'entraîne au Japon, il est le champion du monde du semi-marathon, donc il est capable d'aller très vite, il bat le record olympique qui datait de Los Angeles, donc de six olympiades, il le bat de près de trois minutes, ce qui est considérable, il faut dire que les organisateurs ont eu la bonne idée de ne pas mégoter sur l'heure matinale du départ, 7 h 30, donc tout le monde arrive avant 10 h 30 heure locale, soit 2 h 30 au méridien de Greenwich. Wanjiru a un beau second, le Marocain Gharib parlant avec intelligence. « bien sûr j'aurais préféré être premier, mais c'est le sport, c'est une belle médaille», rendant hommage à son compatriote Rhadi, deuxième derrière Abebe Bîkila à Rome, mort trois ans auparavant, prouvant que désormais les marathons se courent non seulement dans les pages du dictionnaire mais aussi dans L'histoire même du marathon.

Au superbe Wanjiru a succédé l'affaire Wanjiru. En effet, les derniers jours de l'année 2010, il est accusé d'avoir tiré sur sa femme avec une kalachnikov. Heureusement pour elle et pour lui -, il est nettement moins bon au tir qu'à la course. S'il est libéré sous caution, il attend le verdict des juges et s'entraîne sans savoir s'il pourra défendre son titre à Londres. Mais on peut d'ores et déjà parier que la justice l'épargnera. Wanjiru est mort de ses blessures après une chute du deuxième étage de sa maison, le 16 mai 2011.

Pourquoi courir ?

Les raisons les plus variées existent ; je me suis mis à courir pour fêter la naissance de ma fille ; pour célébrer la mort d’un proche ; pour maigrir; parce que j'aime les sucres lents et les sucres rapides ; pour me nettoyer les poumons et continuer à griller une cigarette à l'occasion ; pour me maintenir en forme quand j'ai arrêté de jouer au ballon ; à la suite d'un pari avec des collègues: à la suite d'une soirée avec un hurluberlu sympathique et prosélyte ; à la suite d'une maladie grave ; pour être seul (e) et ne penser à rien ; pour courir avec des copains et parler de tout et rien ; après avoir vu un film dont le héros n'arrêtait pas de courir ; quand je me suis aperçu que ma femme me trompait; parce que mes enfants m'ont offert pour mon anniversaire une paire de chaussures de course en croyant que ça me ferait plaisir; parce que je me suis retrouvé au chômage et qu'il était vital de m'occuper; pour évacuer le stress ; pour épater ma voisine de palier; pour le plaisir d'une longue douche après un long effort ; pour me prouver que j'en étais capable ; en souvenir de mon grand-père qui avait couru le Cross de l'Humanité et même le Cross du Figaro; pour guider un ami aveugle qui s'était lancé le défi de courir un marathon ; parce qu'il n'y a pas d'horaire contraignant; parce que je m'ennuyais le dimanche matin: par solidarité, lors d'un rallye organisé par les syndicats pour sauver une entreprise; parce que j'ai vu une photo invraisemblable du pont Verrazano; pour battre Le record de mon frère; pour emmerder les grincheux en bloquant la circulation plusieurs heures; parce qu'on ne peut pas passer tout son temps à jouer aux échecs ; pour me faire masser les mollets au poste de secours ; pour les éponges rafraîchissantes sur la nuque; parce que je collectionne les médailles; par goût du bitume : par hasard ; pour le fun : etc. ; je ne sais pas pourquoi.


Depuis l'Antiquité, des hommes d'autres peuples ont naturellement couru vite et loin. La palme revient sans doute aux Tarahumaras. Auxquels Antonin Artaud, qui était à sa façon un coureur de fond. a consacré des pages hallucinées. Il les considère comme de « purs Indiens rouges», il leur rend visite chez eux tout au nord du Mexique, dans une sierra où les formes des rochers lui donnent l'impression qu'ils courent à travers une montagne de signes voire qu'ils sont peu ou prou du paysage. Un peu de ce que nous avons été et surtout de ce que nous devons être gît obstinément dans les pierres, les plantes, les animaux, les paysages et les bois. » II s'intéresse aussi aux vertus du peyoll, la plante aux grands pouvoirs que les Tarahumaras devaient aller chercher loin derrière tes montagnes. Pour se déplacer, « ceux qui ont les pieds légers» courent à travers les canyons, sur des distances exceptionnelles, par des sentiers improbables, en sandales, souvent taillées dans des pneus usagés, attachées par des lanières de corde, posant d'abord la pointe du pied et non le talon, au contraire de ce que l'industrie de La chaussure prodigue aujourd'hui. On ne me tiendra pas rigueur, je l'espère, de rappeler ce lieu commun : si les années soixante-dix ont vu les origines débonnaires et bénévoles des courses à pied de masse favorisant le paradoxe d'une activité individuelle dans un cadre collectif, les années quatre-vingt, qui marquèrent l'apogée de l'ultralibéralisme, ont vu s'imposer des valeurs ou plutôt des comportements comme l'individualisme forcené et un goût invétéré pour le lucre.

Les Marathons mythiques

On dit du marathon de Boston qu'il est mythique. On n'est pas loin de la vérité. En tout cas, il est le plus ancien, et de loin. Le premier a été couru en 1897, soit un an après le marathon des premiers Jeux olympiques qui avait conduit une douzaine d'athlètes à traverser l'Atlantique. La moitié d'entre eux étaient originaires de Boston, la plus européenne des métropoles américaines. Ils sont quinze sur la ligne de départ, dix à franchir la ligne d'arrivée au bout d'un peu moins de quarante kilomètres, le vainqueur en près de trois heures, une couronne d'olivier sur la tête, il s'appelle John McDermott. Pendant près d'un siècle, le vainqueur reçoit la même couronne d'olivier. À partir de 1986, le prix passe de La botanique à la numismatique avec des récompenses en monnaie sonnante et trébuchante ou plus exactement en gros chèque bientôt remis de manière assez ostentatoire. Le premier rémunéré est l'Australien Bob de Castella au surnom botanique Tree. En raison des temps de qualification officiels, s'y inscrire n'est pas à la portée de tout le monde, puisque sî vous avez moins de trente-cinq ans vous devez courir en moins de 3 h 5' et si vous avez entre soixante et soixante-cinq ans il faut encore s'en sortir en moins de 3 h 55'. On enregistre près de quarante mille inscrits pour la centième édition, en 1996. La course a lieu le jour du Patriot's Day célébré dans le Massachusetts et le Maine, fixé au troisième lundi d'avril, en mémoire des batailles de Lexington et Concord qui représentèrent le premier affrontement armé entre Anglais et Insurgents dans la guerre d'indépendance le 19 avril 1775.

Longtemps, le départ était fixé à midi ; il est désormais donné a 10 heures pour profiler de la fraîcheur, pourtant il peut faire froid, même à midi. On a déjà vu les ténors courir en gants blancs. Les 26,2 miles du parcours sont intangibles, avec un départ champêtre à Hopkinton, au sud-ouest de Boston, souvent face au vent. On emprunte la route 135 pendant la moitié de la course, puis la route 16, la route 30, avant de s'acheminer dans une zone urbanisée sans gratte-ciel sinon à l’horizon jusqu à Copley Square, face à l'ancien site du musée des Beaux-Arts où l'on peut voir la toile de Gauguin D'où venons-nous ? d’où sommes-nous? Où allons-nous ? En attendant, on enchaîne les collines de Newton et en particulier la dernière, la montée d'Heartbreak hill ainsi surnommée depuis 1936 quand le natif algonquin Etijson Tarzan Brown a brisé le cœur de Johnny Kelley en lui donnant une petite tape de consolation sur les épaules ou moment de Le rattraper, avant de le lâcher. Cela dit. Kelley. qui avait gagné en 1935. Il gagnera de nouveau en 1945 et il aura fini cinquante-huit marathons de Boston. À soixante dix ans il déclarait « J ai peur d'arrêter de courir. Je me sens trop bien. je veux rester vivant. » Parmi les grandes figures, on ne peut pas oublier Ron Hill docteur en philosophie, chimiste, et jardinier qui se consacre à ses roses. Il balaye le vieux record en 1970 en 2 h 10' et une poignée de secondes, par temps frais et humide, avant d être le premier à descendre sous le seuil des 2h10 trois mois plus tard aux Jeux du Commonwealth. L'année du centenaire il revient à Boston courir son dernier marathon. À la veille de ses soixante-dix ans, il réalise son rêve : disputer des courses dans cent pays différents ; il met un point final avec le Panama et les îles Féroé. Courir n’est ce pas contempler le monde ?

samedi 30 juin 2012

Gabriel Péri

Cet article doit tout à un ouvrage récent d'Alexandre Courban : j'espère que ces bonnes pages vous inciteront à lire son ouvrage passionnant sur ce héros communiste, qui fait l'unanimité sur l'ensemble du champ politique français, comme son compagnon d'infortune et de courage, Honoré d'Estienne d'Orves, qui nous laissent tous deux une amertume d'avoir vu ces talents partir si tôt.


Dirigeant national des Jeunesses Communistes Gabriel Péri (né en 1902) est interpellé par la police française le 21 mars 1923, à Arras, comme l'indique l'Humanité dès le lendemain. Officiellement, les autorités françaises le soupçonnent de vouloir se rendre en Belgique pour se soustraire à une condamnation de justice pour un nouvel article paru dans le dernier numéro du Conscrit. En réalité, il s'agit de l'empêcher de se rendre une seconde fois en Allemagne, où les militants des jeunesses communistes, « bravant tous les risques », font « une ardente propagande parmi les soldats » ; et ce d'autant plus après la parution, le 27 mars 1923, dans l'Humanité, du manifeste d'une seconde conférence organisée à Francfort le 18 mars 1923 dénonçant l'occupation de la Ruhr. […] Finalement, il est inculpé de « provocation de militaires » dans le but « de les détourner de leur devoir » dans le cadre de l'action plus large engagée par le gouvernement français contre le Parti communiste depuis le début de l'année 1923. Tandis que la plupart des prévenus inculpés de complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l'État sont mis en liberté provisoire après la décision, prise par le gouvernement au début du mois de mai 1923, de transmettre leurs dossiers au Sénat constitué en Cour de justice'", Gabriel Péri est arbitrairement maintenu en détention à la prison de ta Santé. Il en est de même pour le député communiste allemand Emil Hollein, appréhendé le 17 mars 1923 après avoir participé à un meeting à la Maison des syndicats, rue de la Grange-aux-belles, à Paris. Le 11 mai 1923, les deux militants communistes décident d'entamer une grève de la faim" pour protester contre leur incarcération jugée «arbitraire» par leurs avocats. Trois jours plus tard. Le 14 mai 1923, cinq autres détenus politiques de la prison de la Santé- tous libertaires - annoncent, dans un courrier adressé au ministre de la Justice et publié dans les colonnes de l'Humanité le jour même, leur intention de faire aussi la grève de la faim. Par solidarité, une militante anarchiste emprisonnée à Rennes cesse également de s'alimenter. A travers toute la France, des meetings de protestation contre le maintien en détention de Gabriel Péri et Emil Hollein sont organises, d'abord à Paris le 16 mai 1923, puis dans plusieurs villes de province les 17 mai (Amiens, Rennes, Metz, Saint-Étienne), 18 mai (Brest, Le Havre, Marseille, Strasbourg, Toulouse) et 19 mai 1923 (Besançon. Bordeaux, Lyon et Tourcoing)'". À Marseille, plus de 1500 personnes se sont déplacées pour entendre Marcel Cachin. Ecroué pour avoir participé à plusieurs meetings en Allemagne contre l'occupation du bassin de la Ruhr par l'année française, puis relâché. Le 21 mai 1923, Gabriel Péri est transféré à l'hôpital Cochin à la demande du médecin de la prison, qui a constaté un affaiblissement notable de la santé du dirigeant communiste. Ce dernier consent alors à s'alimenter à nouveau, tout en prévenant qu'il reprendra la grève de la faim s'il devait être a nouveau incarcéré. Gabriel Péri est libéré le 25 mai 1923.

Chef de rubrique à l’Humanité

En intégrant la rédaction de l'Humanité en octobre 1924, Gabriel Péri est amené à devenir au fil des années vingt et trente un journaliste communiste, avec toutes les difficultés que cela représente, en particulier au cours de ces années-la. A la tête du service de politique extérieure du quotidien communiste français, il a la possibilité de jouer - de fait - un rôle dans l'élaboration de la ligne politique du parti en matière de politique étrangère, en contribuant lui-même a l'analyse de la situation internationale à travers ses éditoriaux.

Spécialiste des Questions internationales

Au cours de l'année 1926, les réflexions de Gabriel Péri sur la situation internationale deviennent des éléments importants pour comprendre la lecture que le Parti communiste propose de la situation internationale. Son analyse des relations internationales devient rapidement une contribution attendue par ses contemporains, aussi bien par les militants communistes que par les observateurs de la vie politique étrangère.

Un journaliste à part entière

La réorganisation du quotidien communiste engagée au printemps 1926 avec - pour la première fois depuis la fondation de l'Humanité - la désignation d'un rédacteur en chef, en la personne de Paul Vaillant-Couturier, alors âgé de 34 ans, permet a Gabriel Péri de s'affirmer davantage encore comme un journaliste a part entière et d'exprimer le talent qui commence à lui être reconnu en faveur de son parti et de ses idées. Il signe en 1926 près de 270 articles. En l'espace de quinze jours, le journal l'Humanite est profondément transformé : la pagination augmente de moitié, passant de quatre à six pages : de nouveaux sujets sont abordé s par la rédaction ou traité s par des collaborateurs recrutés pour l'occasion. Le but est de gagner de nouveaux lecteurs - "les masses inorganisées» selon les objectifs assignés au parti français lors du 6ème plénum du comité exécutif de l'Internationale communiste. Du point de vue de Paul Vaillant-Couturier, il s'agit de développer la place réservée à l'information dans les colonnes de l'Humanité afin d’augmenter la diffusion du quotidien concurrencé par d'autres titres de presse, largement diffusés dans le lectorat que vise le rédacteur en chef du quotidien communiste. […] Enfin, les rédacteurs du quotidien communiste doivent avoir la possibilité d'écrire sur les mêmes sujets d'actualité que les autres journalistes, mais d'une autre façon : en remettant en perspective des événements, sans se contenter d'énoncer les faits comme dans les autres journaux. C'est pourquoi Paul Vaillant-Couturier défend - non sans mal - la place du commentaire et l'autonomie relative dont bénéficient quelques-uns des journalistes de l'Humanité, comme Gabriel Péri. En effet, de par ses fonctions à la rubrique internationale, ce dernier est amené à se déplacer et à rencontrer beaucoup de monde, en dehors des membres du parti. Ainsi, en l'absence d'un bureau de l'agence de presse Havas à Genève - situation déplorée par le Quai d'Orsay-, Gabriel Péri doit aller sur place en Suisse pour rendre compte des sessions de la Société des Nations, comme n'importe quel autre journaliste français, sauf à vouloir totalement dépendre des dépêches d'agences de presse étrangère ou des commentaires de ses confrères. Il est amené à fréquenter des diplomates, des fonctionnaires, des journalistes, etc., pour recueillir des informations. Ce sont ces multiples relations qui, par essence, éveillent des soupçons chez certains de ses camarades. Ces simples obligations professionnelles suffisent à le rendre suspect aux veux de certains militants. Quelques-uns se méfient de lui, comme de n'importe quel autre journaliste professionnel.

Interpellé par la police

Gabriel Péri est également l'une des victimes de la politique anticommuniste conduite par les gouvernements successifs, en particulier celle menée par le ministre de l'Intérieur de centre-droit André Tardieu, à partir de novembre 1928. Il est Interpellé une première fois le 18 septembre 1928 à son retour de Genève, dès son arrivée en gare de Lyon, à Paris, pour d'après le journal le Temps « ne pas avoir fait opposition dans les délais légaux au jugement» l'ayant condamné en juillet 1927 pour provocation de militaires a la désobéissance." Pour sa part, Paul Vaillant-Couturier y voit tout simplement une attaque du gouvernement contre un journaliste engagé dans la lutte contre la guerre qui d'après les communistes se prépare contre l'URSS." Cela étant. Gabriel Péri est remis en liberté dès le lendemain de son arrestation, une fois les formalités nécessaires accomplies, ce qui n'empêche pas le rédacteur en chef du quotidien communiste d'insister sur le caractère illégal de cette arrestation. Deux mois plus lard, Gabriel Péri est condamné à un an de prison avec sursis et mille francs d'amende pour provocation de militaire à fa désobéissance: d'après l'Humanité, Gabriel Péri est poursuivi « pour avoir dénoncé les dangers de guerre et développer le « mot d'ordre de fraternisation» avec le peuple chinois. Enfin, le 25 mai 1929, pour la seconde fois en l'espace de neuf mois Gabriel Péri est arrêté, quelques jours seulement après la publication d'un article dénonçant les conditions de détention du dirigeant communiste italien Umberto Terracini, et où il écrivait: « La lutte contre les crimes fascistes est une des formes de notre lutte contre la guerre. [.,.] De l'autre côté des Alpes, on veut tuer les meilleurs des nôtres. C'est l'occasion de nous souvenir qu'il y a une ambassade italienne a Paris ! Et de tenir pour responsable des meurtres qui se préparent le ministre plénipotentiaire des meurtriers!» Inculpé de propagande anarchiste et de provocation au meurtre, i1 est condamné à sept mois après la condamnation, par les jurés du tribunal de la Seine, d'un ouvrier italien à deux ans de prison pour avoir assassiné le vice-consul d'Italie à Paris qui lui avait refusé son passeport. Le journaliste communiste comparait le 31 mai 1929 devant le juge d'instruction. Gabriel Péri est ensuite transféré du dépôt central à la prison de la Santé, où il est incarcéré de façon préventive dans l'attente de son procès. Pour bon nombre de personnalités, il s'agit d'un signe, celui d'une intervention de Rome auprès de Paris, et l’Humanité n'hésite pas à accuser !e gouvernement Poincare d'être aux ordres de Mussolini." Toujours est il que le dossier relatif aux réclamations des gouvernements étrangers contre des articles parus dans la presse française, consulté aux archives du ministère des affaires étrangères, ne contient aucune pièce à ce sujet. En dépit de quelques protestations, deux meetings sont convoqués au mois de juin par le Secours rouge international (SRI) pour protester explicitement contre l'arrestation de Gabriel Péri aucune autre campagne particulière n'est organisée par la direction du parti ou par la rédaction du journal, toutes deux occupées par ailleurs à dénoncer dans son ensemble la politique anti communiste du gouvernement français. En juin 1929, à l'âge de 27 ans, Gabriel Péri s apprête à inaugurer depuis sa cellule de la prison de la Santé une autre façon d'être journaliste à L’Humanité. Mis à l'écart aussi bien politiquement que physiquement, son ascension au sein du mouvement communiste est interrompue. Depuis sa cellule de la prison de la Santé, Gabriel Péri poursuit activement sa collaboration à l'Humanité, écrivant environ 270 articles pendant les douze mois de sa détention, soit presque six articles par semaine et autant que l'année précédente. Son incarcération n'est pas sans poser quelques difficultés dans la réalisation du journal. Une sténo se rend à la Santé en fin d'après-midi, chaque jour ou presque, pour prendre en note l'article que le chef du service de politique étrangère lui dicte. Malgré tout, la partie internationale est rédigée avec vingt-quatre heures de retard par rapport aux autres journaux, temps nécessaire au journaliste pour pouvoir prendre connaissance de toutes les dépêches ou bien de lire leurs commentaires dans les différents quotidiens parisiens ou étrangers. Gabriel Péri avait sollicité auprès du directeur de la prison, dès le lendemain de son arrivée au quartier politique de la Santé, l'autorisation non seulement de recevoir la visite de sa femme malade, mais surtout de pouvoir s'entretenir avec différents employés du journal, comme la sténo Geneviève Ballu, le secrétaire général du quotidien Pierre Forestier, ou les journalistes Raymond Roussel et Marius Magnien de la rubrique internationale. Nonobstant toutes les difficultés politiques que peuvent engendrer ces complications matérielles, la direction du Parti communiste continue de confier l'éditorial de la troisième page à Gabriel Péri, difficilement contournable. Tout au long de sa détention, il affiche une certaine désinvolture. C'est toujours avec beaucoup d'ironie qu'il s'adresse au directeur de la prison. C'est ainsi qu’il se moque dans un courrier daté du 8 juin 1929 de l'ignorance de quelques fonctionnaires incapables de localiser dans quel département se trouve telle commune, « comme le savent tous les candidats au certificat d'études», proposant au directeur de la prison « d'informer l'organisme commis à distribuer les autorisations aux visiteurs que chaque année est édité un petit opuscule intitulé Dictionnaire des communes». Et, d'ajouter: « Cet ouvrage dont la consultation se révèle si nécessaire à certains fonctionnaires est en vente dans toutes les bonnes librairies.» Mais il proteste encore bien plus souvent non sans esprit contre la lenteur des services de l'administration pénitentiaire, comme dans cette lettre non datée adressée au directeur de l'établissement pénitentiaire : « Vous savez, que ma patience est infinie et que je professe beaucoup d'indulgence pour les lenteurs et les complexités des rouages administratifs Mais lenteur n'est fort heureusement pas synonyme de brimade : ni complexité synonyme de vexation. » À ses yeux, la façon d'attribuer ou de refuser un permis de visite « constitue une atteinte directe aux prérogatives jusqu'ici reconnues et respectées des détenus politiques » ; ce qu'il déplore dans un autre courrier en date du 12 juin 1929. A la veille de son procès, Gabriel Péri reçoit le soutien de vingt-six écrivains, loin de tous partager ses idées, mais qui « tiennent à rendre hommage à sa conscience et à sa probité morale». Ils estiment que le journaliste communiste est « uniquement coupable d'avoir dénoncé les forfaits du fascisme » en Italie. Ils espèrent que la décision prise en première instance sera annulée, au nom du respect des libertés politiques et surtout de la liberté d'opinion. Et de conclure « Depuis quand n'avons nous plus le droit de flétrir la violence des tyrannies!»

Aux avants-postes du Front Populaire

André Marty, Responsable du bureau politique auprès de l’Humanité La difficulté des relations entre André Marty et Gabriel Péri s'explique pour des raisons à la foi d’ordre privé et d'ordre politique. Ils sont beaux-frères. André Marty a épousé Pauline Taurinya en avril 1924 et Gabriel Péri s’est marié avec Mathilde Taurinya en décembre 1927. Or, il est vraisemblable qu'André Marty admette difficilement l’inconstance de Gabriel Péri, d'autant plus qu’il est pour sa part confronté à celle de sa femme. Par ailleurs, le conflit qui les oppose coïncide également avec 1’émergence du mot d'ordre de Front populaire, dont André Marty est loin d'être l'un des initiateurs, tandis que Gabriel Péri en est l'un des ardents promoteurs. Finalement. André Marty cède sa place à Paul Vaillant-Couturier. Le retour de Paul Vaillant-Couturier en tant que rédacteur en chef de l’Humanité coïncide pleinement avec la nouvelle orientation politique du Parti Communiste. Dès la fin du mois d’août 1935, il présente un véritable plan de refonte du quotidien communiste, totalement en phase avec la nouvelle orientation du parti. Tout d'abord, il propose de recruter des journalistes pour renforcer la rédaction du quotidien. Ensuite, il envisage d'accorder davantage de responsabilités à chacun des chefs de rubriques. Il prône également une nouvelle organisation de tous les moyens d'information du journal, exprimant formellement le souhait devant les membres du comité central d'une collaboration généralisée d'éléments extérieurs au journal. Ce qui se traduit par l'ouverture des colonnes de l'Humanité à des personnalités extérieures à la rédaction, notamment des intellectuels mais aussi des représentants de mouvements intellectuels de masse comme les syndicalistes enseignants, Paul Vaillant-Couturier renouant ainsi avec la tradition jaurésienne du journal de 1904 ou encore avec l'expérience de 1926 dont il était l'initiateur. II envisage également de « renforcer l'information d'abord « en lui donnant plus de place», ensuite « en mettant de l'ordre dans les pages», quitte à bousculer l'organisation éditoriale du quotidien, n'hésitant pas à s inspirer de la mise en page d'un journal anticommuniste comme le Matin « au besoin 8 colonnes au lieu de 7 en première page (formule Matin} » sans remettre en cause pour autant le caractère original du quotidien communiste. Son intention est de transformer l'Humanité en un grand quotidien populaire tout en gardant son caractère de journal du parti. Et d'ajouter, à la lumière des événements vécus depuis 1926 la nécessité de combiner ces deux choses est voyez-vous, la plus grande difficulté, tous les camarades qui ont travaillé à l’Humanité le savent. Il faut la résoudre ». Pour Paul Vaillant-Couturier, l’Humanité doit devenir le grand journal du Front populaire» comme le rappelle l'affiche spécialement éditée pour le lancement de cette nouvelle formule.

La guerre d’Espagne

Les prises de position répétées de Gabriel Péri contre la politique de non-intervention, en Espagne ouvertement niée par l'Allemagne hitlérienne, l’Italie mussolinienne, et le Portugal salazariste lui assurent une popularité de plus en plus importante, aussi bien au sein du Parti communiste que dans l'opinion publique. C'est ainsi qu'au début du mois de décembre 1936, il expose clairement a la Chambre des députés, devant le président du Conseil, l.éon Blum, tous les aspects d une autre orientation politique possible en matière de politique étrangère, à la fois pour servir la paix et garantir les intérêts de la France. Le député d'Argenteuil défend son point de vue, non seulement avec éloquence citant Jean Jaurès mais aussi en avançant de solides arguments. Il n'hésite pas à rappeler d'autres positions que la sienne, citant en particulier quelques articles de Pertinax, journaliste de droite particulièrement renommé, car il s’agit à ses yeux de l'intérêt de la France. Au lendemain du débat sur la politique extérieure de la France, il reprend son raisonnement et consacre son article à la question du Parti communiste et de la paix, ce qui lui permet d'expliquer à son tour dans les colonnes de l’Humanité pourquoi le groupe communiste a préféré s abstenir plutôt que de voter l'ordre du jour de confiance, sans pour autant entrainer la démission du gouvernement. Inlassablement, Gabriel Péri poursuit, en tant qu’éditorialiste de politique étrangère, son action en faveur de la paix continuant de suivre au plus près toutes les discussions diplomatiques. Au cours de l'année 1937, il n’hésite pas à se rendre a quatre reprises en Suisse, un record, pour assister à Genève aux différentes sessions de la SDN consacrées à la situation en Espagne. Par ailleurs, il multiplie les déplacements en Europe, se rendant à Nyon en septembre pour suivre les débats de la conférence internationale consacrée à la « piraterie» en Méditerranée, puis à Bruxelles en novembre pour rendre compte des travaux de la conférence du Pacifique après l'invasion de la Chine par le japon au début de l'été. Au mois d'août 1937, Gabriel Péri voyage en compagnie de Sofia Jancu pendant trois semaines en Afrique du Nord, parcourant l'Algérie, le Maroc et la Tunisie. Son reportage est d'abord publié dans les colonnes de l'Humanité, avant d'être édité à la fin de l'année en brochure. Il s'agit alors de dénoncer « les ombres du fascisme italien, espagnol ou allemand sur l'Afrique du Nord» ou bien encore « l'ombre de la croix gammée dans les colonies françaises.

Georges Cogniot, rédacteur en chef de l'Humanité

En dépit de tontes les responsabilités qu'il a exercées ou qui lui ont été confiées depuis plus d'une quinzaine d'années, Gabriel Péri demeure un dirigeant atypique au sein du Parti communiste. Alors que Paul Vaillant-Couturier vient de disparaître à l'âge de 45 ans, la désignation de Gabriel Péri au poste de rédacteur en chef est jugée comme fortement probable. Il est non seulement chef de service depuis 1924 mais aussi le seul après le directeur du journal Marcel Cachin à cumuler à la fois le plus d'ancienneté et le plus d’expérience. Pourtant, les dirigeants du Parti communiste probablement divisés sur cette question choisissent de faire appel à une personnalité extérieure plutôt que de nommer l'un des responsables du journal. La Question tchéque Depuis Prague, aussi bien « par lettre» que « par téléphone, Gabriel Péri défend à la fois passionnément et lucidement dans l’Humanité « la Tchécoslovaquie qui veut vivre libre», fustigeant « les prétendus amis de la Tchécoslovaquie » qui, dans les couloirs de la Société des patrons ou bien dans quelques salles de rédaction parisiennes, prétendent que le gouvernement tchécoslovaque ne pourra faire autrement que céder aux revendications territoriales allemandes : « De Prague, je vous crie de toutes mes forces que ces prophètes de malheur se trompent. Les peuples de la Tchécoslovaquie ne veulent pas connaître le sort de la malheureuse Autriche. Ils sont résolus a défendre leur indépendance et leur liberté. Ils ne céderont pas », écrit-il dans le numéro du 23 mai 1938. Le pacte germano-soviétique : prendre parti Indépendamment des multiples textes qu'il produit, il intervient également en tant que membre du comité central du parti communiste clandestin dans plusieurs débats qui divisent les responsables communistes. Après avoir évité de légitimer le pacte germano-soviétique, sans pour autant le condamner publiquement, Gabriel Péri continue de faire savoir ce qu'il pense. Refusant de se laisser enfermer dans la conjoncture immédiate, il défend son opinion de façon plus ou moins nuancée, selon le rapport de force au sein du mouvement communiste.

PRISONNIER

À la suite d'un vaste coup de filet qui commence le 14 mai 1941, plusieurs dizaines de militants sont interpellés par les services de police, à commencer par l'ancien député d'Amiens (Somme) Jean Catelas, arrêté après avoir été dénoncé. Parmi les militants interpellés figure l'un des animateurs de la commission des cadres, Edmond Foeglin (dit « Armand » ), responsable depuis le début de l'année 1936 de la « lutte contre la provocation » et de l'établissement des « listes nôtres », chargé des « planques » parisiennes de plusieurs membres du comité central. C'est en se rendant au domicile de Jean Catelas qu'Edmond Foeglin est interpellé, probablement dans l'après-midi du vendredi 16 ou du samedi 17 mai 1941, sans qu'il soit possible de savoir précisément quand, son nom ne figurant pas sur le registre de main courante du commissariat d'Asnières conservé aux archives de la préfecture de police de Paris. Toujours est-il que les inspecteurs de police d'Asnières ne connaissent pas avant le lendemain (ou le surlendemain) l'adresse exacte de Gabriel Péri. Ce n'est que le dimanche 18 mai 1941 dans la matinée qu'ils l'apprennent « de source confidentielle et certaine ». Incontestablement, l'arrestation de Gabriel Péri est imputable à Edmond Foeglin. Quelques jours plus tard, Gabriel Péri écrira à Sofia Jancu : « C'est le Séraphin qui a coulé et causé la double catastrophe navale. A avoué dans une confession. ». Au cours des mois de juin et juillet de l'année 1941, Gabriel Péri est entendu à plusieurs reprises par un juge d'instruction." Ces comparutions lui permettent de réaffirmer sans réserve la politique du Parti communiste qu'il approuve en tant que membre du Comité central de ce parti, ancien député et membre de la commission des affaires étrangères de la Chambre des députés». Certaines de ses réponses lui permettent également de souligner qu'il n'a « jamais eu la stupidité de dire comme on le [lui] prête qu'il n'y avait plus rien à craindre parce que les Allemands étaient d'accord avec les Soviets. Son passé et (son) expérience politique [lui] interdisaient de dire cela et il aurait été ridicule de [sa] part d'affirmer des choses pareilles à des militants, étant donné que le contraire était imprimé dans les tracts clandestins ». Au passage, Gabriel Péri se démarque explicitement des pourparlers engagés un an auparavant par quelques dirigeants communistes, convaincus de pouvoir négocier le retour à la légalité du Parti communiste français avec des représentants de l'Allemagne nazie. Contestant sa participation à une rencontre organisée sur l'île de la jatte, il précise: « J'aurais tenu des propos évidemment contraires à ceux que l'on me fait tenir. J'aurais dit : notre devoir de communiste et de Français impose de travailler au redressement de la France. Ce redressement ne pourra se réaliser que lorsque nous aurons rendu à la Patrie son indépendance nationale. Il nous faut donc attendre à subir, de la part de l'occupant, des mesures de police les plus rigoureuses.» A la fin du mois d'août 1941, Gabriel Péri se voit notifier ses chefs d'inculpation.

FUSILLE

Le 15 décembre 1941, Gabriel Péri est emmené à Suresnes, au fort du Mont-Valérien où il est fusillé à 13 h 22, en compagnie de soixante-huit autres otages provenant de différents lieux d'internement de la région parisienne, dont plus d'une cinquantaine qualifies de « juifs communistes » extraits du camp d'internement de Drancy. Conformément à la décision prise dix jours auparavant par les autorités allemandes en représailles à une attaque subie par leurs troupes, quatre-vingt-quinze personnes, toutes arrêtées pour activité communiste clandestine, sont exécutées le 15 décembre 194 à travers la France, comme l'ancien secrétaire général du quotidien l'Humanité, Lucien Sampaix, fusille à Caen. Pour éviter que les tombes des otages ne deviennent autant de lieux de rassemblement à la gloire des militants du Parti communiste exécutés", les corps sont enterrés de façon anonyme dans plusieurs cimetières de la région parisienne, le 16 décembre 1941. Tout porte à croire aujourd'hui que Gabriel Péri a été enterré soit au cimetiere de Suresnes, soit au cimetière de Puteaux ; telle était la conviction de Sofia Jancu. Quelques heures auparavant, Gabriel Péri rédige une dernière lettre, à l'origine de multiples discussions au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en raison du caractère personnel de cet ultime témoignage, qu'il adresse a son avocate Odette Moreau. «

Dimanche [14 décembre 1941], 20 heures

« Très chère Amie, « L'Aumônier du Cherche-Midi vient de m'annoncer que je serai, tout a l'heure, fusillé comme otage. Ce sera le dernier chapitre du grand roman de cette époque. « Grande amie, veuillez recevoir le dépôt de quelques volontés somme toute sacrées. « C'est vous qui annoncerez à Mathilde que je suis mort la tête haute. Dites-lui que j'ai eu un repentir : celui de ne lui avoir pas toujours fait la Vie sérieuse qu'elle méritait". Mais dites-lui de porter fièrement le voile de veuve. « Qu'elle élève ma petite-nièce dans l'esprit où son oncle a vécu. « Voyez très rapidement mon amie. Qu'elle soit la dépositaire intellectuelle de ma mémoire comme elle a été ma grande conseillère. Je la supplie de me continuer. « Je vous supplie de réclamer au Cherche-Midi les affaires que j'ai laissées. Peut-être quelques-uns de mes papiers serviront-ils a ma mémoire. Que mes amis sachent que je suis resté fidèle à l'idéal de toute ma vie, que mes compatriotes sachent que je vais mourir pour que vive la France. Une dernière fois j'ai fait mon examen de conscience : il est très positif. C'est cela que je voudrais que vous répétiez autour de vous. J'irais dans la même voie si j'avais à recommencer ma vie. « J'ai souvent pensé, cette nuit, à ce que mon cher Paul Vaillant-Couturier disait avec tant de raison, que le communisme était la jeunesse du monde et qu'il préparait des lendemains qui chantent. « Je vais préparer tout à l'heure des lendemains qui chantent. « Sans doute est-ce parce que Marcel Cachin a été mon bon maître que je me sens fort pour affronter la mort « Adieu et que vive la France! ».

Fusillé à l'âge de 39 ans, Gabriel Péri devient rapidement une figure héroïque de la résistance communiste et, au-delà, de l'ensemble de la Résistance. Immédiatement, un véritable mythe naît. Commence alors « la légende de Gabriel Péri ». Les noms de rues Dans les premiers jours qui suivent la libération de la France, de nombreuses rues sont débaptisées au profit des martyrs ou des héros de la Résistance. Parmi les communistes morts pendant la Seconde Guerre mondiale, le nom de Gabriel Péri est l'un des plus fréquemment choisi. En région parisienne, selon les travaux de Pierre François Raimond, son nom est celui qui est le plus largement attribué : 54 fois, suivi de Pierre Georges dit colonel Fabien (23), de Pierre Semard (19). de l'ancien secrétaire de la fédération CGT de la métallurgie, JeanPierre Timbaud (18), fusillé comme otage le 22 octobre 1941 à Châteaubriant avec vingt-six autres de ses camarades, de Danielle Casanova (16) et du jeune Guy Môquet (15), également fusillé a Chateaubriant le 22 octobre 1941. Au total, le nom de Gabriel Péri est attribué à 23 rues, 17 avenues, 8 places. 4 boulevards et 1 square, certaines villes (comme Asnières sur Seine, Saint-Denis ou Vitry-sur-Seine) ayant même accordé son nom à plusieurs voies publiques. Dans l'ancienne première circonscription de Seine-et-Oise (dont Gabriel Péri a été le députe à partir de 1932), cette façon particulière de rendre hommage à l'ancien élu communiste de la région prend une ampleur significative. À l'exception de La Frette-sur-Seine, toutes les municipalités ont donné le nom de l'ancien député de la circonscription à une avenue (Bezons), un boulevard (Sannois), une rue (Carrières-sur-Seine, Cormeilles en Parisis et Herblay), une place (Houilles) ou encore un parc (Montigny-lès-Cormeilles), Argenteuil ayant la particularité d'avoir à la fois une avenue, une place et une promenade Gabriel Péri.

Les Ombres

L'édition clandestine de l'Humanité datée du 21 novembre 1941 rend entièrement responsable Edmond Foeglin de l'arrestation de Gabriel Péri. À la Libération, et dans les années qui suivent, la presse communiste omet systématiquement d'évoquer la part de responsabilité de l'ancien responsable de la commission des cadres, se bornant à rappeler l'arrestation de Gabriel Péri « par la police de Pétain qui le livra à la Gestapo». En décembre 1952. François Billoux proteste à l'encontre du Figaro, accusé de mentir, pour avoir affirmé dans son édition du 9 décembre 1952 que la direction du PCF se refusait à révéler le nom de celui qui aurait livré Gabriel Péri, et d'accuser Edmond Foeglin, une nouvelle fois mal orthographié, considéré encore une fois comme entièrement responsable de l'arrestation de Gabriel Péri. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, il est officiellement fait mention de la responsabilité de l'ancien membre de la commission des cadres dans l'arrestation de Gabriel Péri. Voici neuf ans que les lecteurs de l'Humanité n'avaient pas eu connaissance de cette version. Près de cinquante ans s'écouteront avant qu'une seconde fois son nom soit à nouveau porté à la connaissance des lecteurs de l'Humanité. Ce long silence contribuera à entretenir le doute sur la volonté des dirigeants communistes de faire la lumière sur cette affaire.

Un ultime fait de l'existence de Gabriel Péri est régulièrement omis, son inconstance amoureuse et sa liaison avec Sofia Jancu, également connue sous le nom d'Étienne Constant. Alors même que les dernières lettres de fusillés sont le plus souvent publiées dans leur intégralité, y compris les passages les plus personnels, l'édition de la dernière lettre de Gabriel Péri est censurée, au moins jusqu'en 1986. Encore faut-il attendre le soixantième anniversaire de sa disparition pour que les lecteurs de l'Humanité puissent en prendre intégralement connaissance.

Le chant des poètes

En l'espace de quelques années (19421951), neuf poèmes sont composés en hommage à Gabriel Péri. Quelques-uns sont utilisés dans la partie artistique des rassemblements organisés pour commémorer la disparition de Gabriel Péri. Cette exaltation du sacrifice de Gabriel Péri contribue progressivement à la naissance d'un mythe. À l'exception de Pierre Emmanuel, tous les autres auteurs sont alors communistes : Louis Aragon, Paul Éluard, Eugène Guillevic, Loys Masson, Nazim Hikmet, Lucien Scheler. Parmi ces différents poètes, Louis Aragon joue indéniablement un rôle particulier: tout d'abord, lui seul peut revendiquer d'avoir fréquenté l'ancien responsable de la rubrique internationale du quotidien communiste, alors qu'il était lui-même journaliste à l'Humanité chargé des informations générales; ensuite, sa production représente le tiers des hymnes composés en hommage à Gabriel Péri ! Quelques mois seulement après l'exécution de Gabriel Péri, Louis Aragon compose au cours de t'été 1942 un premier poème intitulé « La Rosé et le Résédas, qu'il dédie à la fois à un officier de marine français. Honoré d'Estienne d'Orves, « celui qui croyait au ciel », fusillé le même jour que l'ancien dirigeant communiste « celui qui n'y croyait pas ».

Le Temps des héritiers

En dernier lieu, la désignation de Robert Hue comme secrétaire national du Parti communiste français en janvier 1994 relance les hommages du PCF à Gabriel Péri. Natif de Cormeilles-en-Parisis, maire de Montigny-lès-Cormeilles depuis mars 1977, conseiller général du Val d'Oise de 1988 à 1998, conseiller régional d'île de France de 1992 à 1998. Robert Hue est véritablement considéré comme un « enfant du pays». Son attachement à la personnalité de Gabriel Péri est réel, il est à la fois politique et personnel. Son père René (19001995), ouvrier du bâtiment, militant du Syndicat des cimentiers (affilié à la Confédération générale du travail unitaire), membre du Secours rouge international, a participé en tant que sympathisant communiste à la première campagne électorale du responsable de la rubrique internationale de L’Humanité en banlieue parisienne, en mars 1932. A la fin de l'année 1996, l'Humanité annonce la participation du secrétaire national du PCF a l'hommage rendu à Gabriel Péri, à Argenteuil le 15 décembre 1996. Quelques semaines plus tard, Robert Hue souligne combien « cette circonscription [lui] est particulièrement chère », lui-même est alors candidat contre le député de droite sortant Georges Motliron (RPR).

La Rose et le réséda

Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous deux adoraient la belle Prisonnière des soldats Lequel montait à l'échelle Et lequel guettait en bas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Qu'importe comment s'appelle Cette clarté sur leur pas Que l'un fut de la chapelle Et l'autre s'y dérobât Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous les deux étaient fidèles Des lèvres du coeur des bras Et tous les deux disaient qu'elle Vive et qui vivra verra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles Au coeur du commun combat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Du haut de la citadelle La sentinelle tira Par deux fois et l'un chancelle L'autre tombe qui mourra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Ils sont en prison Lequel A le plus triste grabat Lequel plus que l'autre gèle Lequel préfère les rats Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Un rebelle est un rebelle Deux sanglots font un seul glas Et quand vient l'aube cruelle Passent de vie à trépas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Répétant le nom de celle Qu'aucun des deux ne trompa Et leur sang rouge ruisselle Même couleur même éclat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Il coule il coule il se mêle À la terre qu'il aima Pour qu'à la saison nouvelle Mûrisse un raisin muscat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas L'un court et l'autre a des ailes De Bretagne ou du Jura Et framboise ou mirabelle Le grillon rechantera Dites flûte ou violoncelle Le double amour qui brûla L'alouette et l'hirondelle La rose et le réséda

Au rendez-vous allemand, Paul Eluard, 1944 « Gabriel Péri » 1- Un homme est mort qui n’avait pour défense Que ses bras ouverts à la vie Un homme est mort qui n’avait d’autre route Que celle où l’on hait les fusils 5- Un homme est mort qui continue la lutte Contre la mort contre l’oubli. Car tout ce qu’il voulait Nous le voulions aussi Nous le voulons aujourd’hui 10-Que le bonheur soit la lumière Au fond des yeux au fond du cœur Et la justice sur la terre. Il y a des mots qui font vivre Et ce sont des mots innocents 15- Le mot chaleur le mot confiance Amour justice et le mot liberté Le mot enfant et le mot gentillesse Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits Le mot courage et le mot découvrir 20-Et le mot frère et le mot camarade Et certains noms de pays de villages Et certains noms de femmes et d’amis Ajoutons-y Péri Péri est mort pour ce qui nous fait vivre 25- Tutoyons-le sa poitrine est trouée Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux Tutoyons-nous son espoir est vivant.

dimanche 1 avril 2012

La représentation des Noirs en France

Je voulais vous redonner ici le sel d'une intervention sur l'identité noire de l'historien Gérard Blanchard, spécialiste de l'immigration des Suds en France : J'ai retrouvé toute son interview sur Daily Motion et elle déconstruit les préjugés : bon travail d'historien ! Le dynamisme dans la voix qui permet de comprendre, d'attacher à l'enjeu : on se serait pour un peu douté qu'il était aussi dans la communication ! Il est l'auteur du Paris noir et de la France Noire. En clair le meilleur historien pour appréhender la question de l'image coloniale, du racisme et des questions d'intégration dans la france d'aujourd'hui : Pascal Blanchard, historien - La colonisation, l'Histoire et la morale Le paradoxe du Paris noir dans l'entre deux guerres : Le cœur de son sujet : La Représentation des Noirs et des Africains en France au cours du siècle en 3 videos : La communauté noire est un regard extérieur, porté par « l'autre » : 2 autres videos qui présentent des problématiques actuelles : QU'est ce qu'un immigré français : c'est quoi être étranger en France ! L'imaginaire de l'étranger dans les têtes !
Pascal Blanchard, les immigrés français... par les_ernest L'image coloniale et la France : retour sur les fractures actuelles qui dépend de cette histoire : entretien avec l’historien Pascal Blanchard, qui vient de co-diriger avec Nicolas BANCEL et Sandrine LEMAIRE « LA FRACTURE COLONIALE. La société française au prisme de l’héritage colonial »
La fracture coloniale par demi-mot Le racisme en France aujourd'hui : rapport avec l'image coloniale comme héritage : Un regard très critique sur Pascal Blanchard dont les multiples casquettes dérangent :

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Mes citations

"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."

Hölderlin, Hyperion



"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"

Portishead



"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"

Marguerite Duras



Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier

Miossec, le chien mouillé (en silence)