lundi 22 août 2011

Tiken Jah Fakoly à Bercy le 18 juin 2011

1/ Ils ont partagé le monde, plus rien ne m'étonne ! Vous devriez reconnaître une voix !

Tiken Jah Fakoly est un artiste engagé qui soutient actuellement le processus en côte d'Ivoire qui a conduit Ouattara démocratiquement au pouvoir, tout en conservant ses distances.



2/ Je chante pour ne pas accepter : je dis non en chansons :



Un concert où la notion de melting pot avait vraiment sa place ! Toutes les couleurs étaient représentées Et toutes les injustices étaient dénoncées : occidentales comme africaines ! Un superbe spectacle ! Ce n'est qu'une chanson mais une chanson pour ne pas accepter !!!

3/ Le balayeur balayé ... les dictateurs à la rue !! Son album en a fait un précurseur par rapport aux révolutions arabes.



4/ Vieux père voilà ton fils :



Bien écouter le discours de Tiken Jah Fakoly ! Même s'il est un peu populiste sur le coup ! Mais un concert se prête moins qu'une interview à une explication circonstanciée !

Son interview dans Metro : où il explique ses intentions d'artiste engagé et son analyse de la situation actuelle de l'Afrique.

Et surtout un résumé de la pensée et de la musique de Tiken Jah Fakoly :

Zita Swoon ...again !

Allez deux videos supplémentaires lors d'un concert à radio VRT à Bruxelles !







Zita Swoon : suivons le fil !

Si vous suivez ce blog depuis quelque temps, vous savez que les pérégrinations de Zita Swoon font partie des bonnes choses qu'on aime vous faire découvrir : le garçon aime faire des expériences nouvelles, se soumettre à un nouvel inconnu plein de promesses qui ne sont jamais garanties ! ce fruit de la rencontre, il nous la procure cette fois -ci au Burkina Faso où il s'est rendu au cours de l'année 2010, nous faisant part seulement maintenant de ces magnifiques vidéos :



Par ailleurs, on vous a déjà transmis des videos de leur dernier spectable de concert dansé sur ce blog. Le cd-uniquement instrumental est désormais disponible mais plutôt que la video officielle, je préfère vous transmettre cette video prise par un amateur de bon son :



Sur le site officiel vous trouverez ce résumé du projet Zita Swoon Group :

Loin de se détourner de la chanson à laquelle il entend rester fidèle, il lui cherche des parallèles dans la danse, le théâtre ou des ensembles de musique classique et expérimentale. L'ensemble s'appelle à présent Zita Swoon Group. Carlens tient à souligner par là qu'il s'agit d'un collectif marquant à la fois un nouveau départ et une nouvelle approche. Parmi celles-ci, la première fut "Dancing With The Sound hobbyist», issue d'une collaboration du groupe avec le danseur Simon Mayer et la chorégraphe Anne Teresa Dekeersmaeker de la compagnie Rosas ; on pourrait la qualifier de concert dansé. Ce spectacle est actuellement toujours en tournée.
Le cd et le vinyle du même nom comprenant les versions studio des performances sont dès à présent disponibles. La force motrice en est le tandem de percussion Aarich Jespers et Amel Serra Garcia. Leur panoplie instrumentale comprend des instruments traditionnels latino tels que la conga, le bongo et le surdo, des composantes de batterie comme le « snare », le « floor tom » et les cymbales, une série de timbales d'Orff et quantité d'instruments «objets trouvés» tels que des boîtes en fer-blanc, des poêles, un énorme tube en fer, divers vases et lampes en verre, une lime à métal utilisée comme güiro, etc.


jeudi 18 août 2011

Un oiseau australien !



C'est notre préféré dans le beau livre reçu d'Australie !

Pourquoi ?

Parce qu'il a un joli petit bidou Hi Hi Hi !!! Qu'il met bien en avant !

Merci pour ce joli envoi !

L'islamisation des regards

Dans un ouvrage consacré en 2005 à l'Islam Imaginaire, le journaliste Thomas Deltombe s'est intéressé à la construction médiatique d'une image de l'Islam en France de 1975 à 2005.

S'il a le défaut à mon goût de farie disparaître toute acuité au problème, de vouloir nier toute difficulté d'intégration ou de "réception" en France des populations immigrées d'origine arabe, il constitue en revanche un formidable outil de déconstruction des représentations de l'Islam en France via les médias, en mettant à jour tous leurs pré-supposés implicites.

J'ai souhaité mettre en avant trois paragraphes qui illustrent le propos de l'auteur :

Dans l'introduction, il cerne son objet et son contexte télévisuel :

Média et Islam :

Nous découvrons une des caractéristiques essentielles de la médiatisation télévisuelle de l'islam de France : les « musulmans » ont dans l'ensemble assez peu de prise sur « leur » image. La variété des façons d'être musulman place les journalistes dans une situation d'incertitude. Mais aussi dans une certaine forme d'impunité : qui viendra démentir leurs versions de l'islam ? Qui peut statuer sur la légitimité de ceux qui disent parier au nom de l'islam ? D'où tire-t-on l'idée si répandue qu' « il y a trois (quatre, cinq...) millions de musulmans en France » ? C'est le regard qui crée l'objet, et non l'inverse. C'est donc paradoxalement en s'intéressant à ce qui se passe à l'extérieur de ce que l'on appelle aujourd'hui, de façon é nigmatique, la « communauté musulmane de France » qu'on peut comprendre la logique de sa médiatisation.
L'islam de France en tant qu'objet médiatique est bien souvent regardé à travers des événements qui sont étrangers à la France. Une ré volution en Iran, un conflit en Irak, une guerre civile en Algérie, des attentats à New York et à Washington ? Et voilà les caméras qui s'intéressent aux « musulmans » de l'Hexagone, avec l'idée implicite qu'ils sont « tous les mêmes » . Mais il est surtout, quoique de façon moins visible, façonné par des phénomènes qui sont à bien des égards étrangers à l'islam : crises de la représentation politique, de l'école, des banlieues...

Le rôle de la femme : instrumentalisation d'une vision :

IL démontre comment tendancieuse est l'approche de la femme par le regard médiatique occidental :

L'islamisation des regards... ou la colonisation par d'autres moyens ?
On pourrait pourtant s'étonner de l'acharnement avec lequel ces journalistes évoquent des problèmes aussi sensibles. Et de leur propension à évacuer tout ce qui ne cadre pas avec leur volonté de circonscrire la question a un face-à -face culturel, entre un « islam jugé archaïque et tyrannique et un « Occident » nécessairement moderne et émancipateur.

Car le but des reportages est toujours de glorifier la « liberté », le « dynamisme » et l'« ouverture » de ces jeunes filles et de mettre en accusation, par contraste, les « traditions » ou l'« autorité d'un pè re trè s religieux ». « II semblerait que les problèmes démarrent chaque fois à l'époque du ramadan, mais ce n'est certainement pas la seule cause, témoigne une vague connaissance d'une jeune fille séquestrée. Malika est quand même d'esprit très français. Et pour elle, le Coran et tout ça, ça ne l'inté resse pas du tout.»
Si la religion n'est pas, chacun affecte d'en convenir, la « seule cause » du mal-être des beurettes, les autres causes passent pourtant systématiquement a la trappe. Comme pour ce couple que les médias, en janvier 1988, surnomment les « Roméo et Juliette de Toulon » . Quel est le « problème » ? s'interroge un journaliste de FR3 : « II est de religion catholique, elle est de confession musulmane. Pour eux, ce n'est pas important, Roger est même prêt a se convertir Mais pour les parents de Nasséra, c'est essentiel. » Le journaliste balaie en revanche un autre « détail » : il a trente-trois ans, elle en a seize. Pour lui « ce n'est pas important » . Mais pour les parents qu'il incrimine ? Tout fonctionne comme si, derrière la cause invoquée, la motivation réelle des journalistes était ailleurs : demander aux filles de renier publiquement leurs traditions et les transformer en agents promotionnels de la « culture française » auprès de leurs semblables. On s'étonnera ainsi que les reportages s'en prennent si violemment aux pères immigrés, sans jamais mentionner les enquêtes qui révèlent un accroissement constant des mariages mixtes en France, ni celles qui montrent la ré ticence toujours massive des Français à accepter ce type d'union pour leurs propres enfants . Les conditions socio-économiques, les destins personnels, les situations familiales singulières, pourtant essentiels pour comprendre les relations que peuvent entretenir les filles avec leur père, ne sont jamais évoqués.

Certains téléspectateurs auraient peut-être été intéressés de comprendre pourquoi la famille et la religion représentent des valeurs refuge pour un père à qui l'on ne cesse de rappeler qu'il est « déraciné » ou qui est resté en France, malgré un licenciement, sur l'insistance de ses enfants. Les réticences des pères peuvent être plus profondes encore : dans le documentaire de Coline Serreau qu'on avait pu voir en 1980, un père marseillais expliquait fugitivement pourquoi il lui était impossible d'accueillir à sa table un gendre français : « Parce qu'un Français ne deviendra jamais algérien... Et alors ! Pourquoi l'Algérie n'est pas devenue française ? » L'homme avait été torturé par l'armée française en Algérie.
Les sujets sur les beurettes témoignent d'un regard quasi pathologique sur la culture maghrébine en général et sur l'islam en particulier. Cette obses sion de la jeune fille révoltée contre l'héritage paternel porte les lourdes traces d'un passé colonial mal digéré. Comment ne pas voir en effet que les sujets sur les beurettes se multiplient au moment où la France s'enfonce dans une grave crise identitaire et où les gouvernements français successifs multiplient les mesures anti-immigrés et cherchent à restreindre l'accès à la nationalité française ? À travers la thé matique de l'oppression des femmes maghrébines, se joue sur les écrans de télévision une répétition euphémisée de la posture « civilis trice » coloniale, telle qu'elle s'est développée pendant plus d'un siècle en Algérie. Nourrie de paternalisme et de la conviction de l'infériorité de l’« autre » indigène, homme ou femme, la France se préoccupait bien moins,en vérité , d'une authentique émancipation de la femme que de briser et fragmenter la société algérienne, fût-ce en s'appuyant hypocritement sur la mise en cause de tout ce que peut avoir de choquant et d'inacceptable l'infériorisation structurelle, dans les cultures méditerranéennes (musulmanes ou non), de la soumission de la femme à la domination masculine.
Pour s'en convaincre, il faut relire Frantz Fanon, quand il évoquait en 1959 l'attitude du colonisateur face à la femme algérienne : « L'administration dominante veut défendre solennellement la femme humiliée, mise à l'écart, cloîtrée... On décrit les possibilités immenses de la femme, malheureusement transformée par l'homme algérien en objet inerte, démonétisé, voire déshumanisé . Le comportement de l'Algérien est dénoncé très fermement et assimilé à des survivances moyen âgeuses et barbares, avec une science infinie. La mise en place d'un réquisitoire-type contre l'Algérien sadique et vampire dans son attitude avec les femmes est entreprise et menée à bien. L'occupant amasse autour de la vie familiale de l'Algérien tout un ensemble de jugements, d'appréciations, de considérants, multiplie les anecdotes et les exemples é difiants, tentant ainsi d'enfermer l'Algérien dans un cercle de culpabilité. » Dans les années 1980, avec la même bonne conscience et la même inconscience des enjeux réels, la télévision a remplacé l'« administration coloniale ». Mais l'ennemi est toujours « musulman » .
En mars 1989, à la fin de l'affaire Rushdie, des journalistes se jettent ainsi sur un drame familial pour faire la démonstration de l'impossible coexistence entre la culture française et la culture musulmane. Alors que deux frères se suicident après avoir « tué leur sœur parce qu'elle sortait avec un Français », l'affaire fait l'ouverture des journaux télévisés. Ce fait divers sordide « met en évidence, de façon exacerbé e, les difficultés, les tensions, les recoins obscurs de l'assimilation dans une autre culture, où en particulier la sexualité se vit différemment » , analyse Christine Ockrent sur Antenne 2. « Ce drame [...] illustre une fois de plus les difficulté s pour une jeune fille musulmane et vivant en France d'échapper à l'emprise des traditions. On a souvent parlé de cas d'enlèvement ou de sé questration. Cette fois, un degré de plus dans l'intolérance a été franchi », ajoute Jean-Pierre Pernaut sur TFl.
En relevant ces jugements émis certainement en toute bonne foi et sans conscience de leur inscription dans une longue tradition coloniale, il ne s'agit évidemment pas de nier les souffrances de nombreuses jeunes femmes descendantes de migrants. Mais simplement de constater que l'interprétation qui est faite de ces drames familiaux tranche considérablement avec celle qui est donnée, par exemple, des crimes racistes fort nombreux à l'époque. Les rares fois où ils sont évoqués, ceux-ci ne sont jamais analysés comme une illustration, pour reprendre les termes de Christine Ockrent, des « recoins obscurs de l'assimilation » . En réalité , derrière la cause féministe et l'idéal du mariage mixte, les journalistes mettent souvent en scène une identité française assaillie par un ennemi mortel.

Enfin, dans un troisième extrait, Th.Deltombe s'attaque au syndrome algérien

Les ambivalences post-coloniales :

Derrière le débat naissant sur la place des « enfants d'immigrés » et avec la focalisation croissante sur l'immigration « arabe », les signes du retour du syndrome algérien se multiplient.Les immigrés algériens ont de toute évidence un statut particulier dans le traitement médiatique de l'immigration. Déjà en 1973, lors du premier choc pétrolier, les lecteurs attentifs de L'Express avaient pu s'étonner de cet « enchaînement logique de cause à effet » que décrivait la journaliste Françoise Giroud : « Si l'industrie française est affectée par les restrictions d'énergie, ce sont les travailleurs algériens qui seront les premiers chômeurs. » En 1974, c'est sous un titre évocateur qu'une émission de la troisième chaîne s'interrogeait sur la présence des travailleurs immigrés en France : Des Algériens pour quoi faire ?

Sous-représentés à la télévision au début des années 1970, les Algériens deviennent progressivement la clé du « problème de l'immigration » au début des années 1980. La guerre d'Algérie, occultée jusque-là , revient par bouffées, presque naturellement, derrière la question de l'immigration et de l'islam. Dans un remarquable documentaire intitulé Grands-mères de l'Islam, diffusé en 1980, Coline Serreau s'intéresse au sort d'une famille algérienne de Marseille dont le père est un ancien fellagha. Début 1981, un opposant au centre islamique de Rennes explique ses raisons à TF1. Le journaliste s'é tonne : « Vous parlez de valises... Valises et cercueil... Vous êtes pied-noir ? Vous avez fait l'Algé rie ? - Oui, j'ai fait l'Algérie, bien sû r. Je vous montrerai les photos, d'ailleurs. Mon combat en Algé rie a été magnifique, je crois ! »

On commence à sortir de l'amnésie décrite par l'historien Benjamin Stora : « Le problème de l'immigration découvre un conflit obsessionnel, jamais disparu. Derriè re, l'"Arabe", le "Maghrébin" et, derrière le "Maghrébin", l'"Algérien"... Les immigrants maghrébin seraient inassimilables à la société franç aise parce que profondément différents des autres immigrés, ceux de l'entre-deux-guerres par exemple. Cette différence s'expliquerait par la religion musulmane. Une population, par ses croyances, se serait exclue d'elle-même, volontairement, des valeurs établies par la société. »

Vingt ans après la fin du conflit, la guerre d'Algérie a laissé des traces profondes. Elle reste inscrite dans les mentalités et les réalités sociales françaises comme d'ailleurs algériennes. La France compte un million de pieds-noirs, 240 000 « Franç ais musulmans » (harkis). Près de deux millions de soldats français ont combattu en Algérie et 35 000 y ont péri. De nombreux journalistes ont fait leurs premières armes au cours du conflit. La guerre reste un épisode fondateur pour des organes de presse comme Le Nouvel Observateur ou l'Express, et l'Algérie une terre natale pour certains journalistes et intellectuels de renom (Jean-Pierre Elkabbach, Jean Daniel, Bernard-Henri Lévy, par exemple).

Derrière les mots "intégration", "assimilation", se dessine la grande question des Arabes en France, leur place, leur rôle comme nouveaux citoyens. Nombre de souvenirs qui paraissaient perdus se réveillent, se manifestent : peut-on être musulman et français par entière ? A nouveau se lève le défi, non réglé, qui a conduit à la guerre à la guerre d'Algérie." (Benjamin Stora, la Gangrène et l'Oubli, p. 279).




La France contre l'Afrique



L'ouvrage de Mongo Beti, La France contre l'Afrique, qui relate l'expérience de son retour au Cameroun après trente ans d'exil, se rapproche selon moi de deux oeuvres dont il partage la clairvoyance : l'étrange défaite de Marc Bloch (qui analyse la décomposition et les sursauts de la France lors de la débâcle de juin 1940) ou le maghreb entre deux guerres de Jacques Berque (qui analyse les effets de la colonisation sur la société algérienne et maghrebine).

Le point commun est cette analyse de ce qui se passe sous les yeux de l'auteur, et la capacité d'en tirer les considérations adaptées.

La plume est vive car le romancier se cache toujours derrière l'analyste. La France comme les dictateurs corrompus ou certains traits de caractère de la population sont mis en défaut de manière corrosive.

J'ai décidé de mettre en lumière l'extrait de l'ouvrage consacré au sabotage du pétrole camerounais, car il est éclairant et central dans l'analyse économique de Mongo Beti.

Avec la même acuité et vivacité d'esprit, si vous voulez apprendre en peu de temps et de façon brillante l'histoire occultée de la guerre de décolonisation menée par la France au Cameroun ce lien vers le récit imagé et pertinent de Mongo Beti :

Une biographie en français et en anglais car j'ai une lectrice qui désormais lit l'anglais à longueur de journée !

Extrait de la France contre l'Afrique, passage consacré au mystérieux pétrole camerounais :

Partout où il a jailli, l’or noir a été une providence, une vraie bénédiction divine pour les peuples autochtones, auxquels il a procuré des hopitaux, des routes, des écoles, des universités, un progrès enviable, dont ces populations n’auraient même pas rêvé sans lui : c’est vrai de l’Arabie saoudite, de la libye, des émirats du Golfe, de Brunei, du Venezuela, de l’Algérie, dans une grande mesure, et en Afrique noire même, de l’Angola ancienne colonie portugaise, malgré une guerre civile interminable, et surtout du Nigéria. En Afrique francophone, au contraire, où, bizarrement, les phénomènes n’obéissent jamais au cours normal, il n’en est pas allé ainsi.
Pour les pays africains francophones, Gabon, Congo, Cameroun, l’or noir a été une malédiction : non seulement les populations autochtones n’en ont pas profité, non seulement les ressources qui en ont été tirées semblent avoir été consacrées à des entreprises douteuses, mais, qui plus est, l’opinion publique n’a jamais été informée ni des quantités extraites, ni des sommes d’argent versées par les compagnies, ni encore moins de l’utilisation faite de cet argent.
Cette sombre alliance associant les compagnies françaises Total et Elf Aquitaine et les dictateurs des Républiques francophones productrices de pétrole, avec la bénédiction lointaine de l’hôte de l’Elysée, a fait du pétrole dans ces pays un sujet tabou.
En apprenant le plus souvent par la rumeur, jamais par le canal d’une voix officielle, que du pétrole avait été découvert sur leur sol, les Camerounais, les Gabonais, les Congolais eux aussi ont rêvé de progrès rapides, de richesse, de confort. Ils ont attendu de connaître les sites, l’évaluation des réserves, le rythme d’exploitation, le nombre de barils-jour, le montant de dollars récoltés par baril, le montant, de préférence en dollars, du revenu annuel. Mais plus qu’en tout autre domaine au Cameroun, le dictateur Paul Biya s’est révélé un sphinx, n’ouvrant la bouche que pour articuler des énigmes, à l’occasion de conférences de presse tenues à l’étranger, ou pour esquiver des questions que, d’ailleurs, personne sur place n’osait lui poser. Jamais il n’est arrivé à Paul Biya ni à son prédécesseur d’ailleurs de parler de pétrole à aucune instance de son Etat.
Plus étonnant, l’information concernant le pétrole du Cameroun comme celui du Gabon ou du Congo est inaccessible en France même ; il n’en est pratiquement jamais fait état dans la presse, ni à la radio et, a fortiori, à la télévision. Sachant que deux sociétés françaises, Total et surtout Elf Aquitaine, assurent l’essentiel de l’extraction du pétrole d’Afrique francophone, on se demande quelle implacable omerta enveloppe tout le système, au point qu’il n’a jamais émoustillé le journalisme d’enquête pourtant à la mode en France.

Je crois bien avoir été le premier à dénoncer ce complot (« Camerounais, votre pétrole f… le camp » dans la revue Peuples noirs-Peuples africains, n° 12, novembre-décembre 1979). A l’époque, c’est surtout le black out entretenu sur ce sujet qui révoltait les Camerounais. Plus tard, le scandale se précisa quand on apprit que les sociétés exploitantes et notamment Total et Elf Aquitaine, sociétés de l’Etat français, grand mystique de la coopération désintéressée avec l’Afrique, versaient les revenus du pétrole, non pas à l’Etat camerounais, exigence élémentaire de la morale, mais sur les comptes personnels du dictateur Ahmadou Ahidjo dans les banques étrangères, suisses en particulier, pratique qui s’est poursuivie avec Paul Biya, cela va sans dire. Les premières informations sérieuses sur ce sujet ont été fournies comme d’habitude par la presse américaine. Je me réfère en particulier au Wall Street Journal du 26 mai 1981. L’étude est due à un reporter qui venait de séjourner au Cameroun. Selon la journaliste, les revenus pétroliers du Cameroun pour l’année 1980 se sont élevés à un milliard de dollars ; mais poursuit elle un tiers seulement de ce pactole s’est retrouvé dans le budget.
Le Figaro du 1er juin 1988 écrit à ce sujet : « il fallait à tout prix éviter le mal hollandais qui avait par exemple disloqué l’économie mexicaine. C’est un virus qui entraîne dans une hausse galopante les salaires de l’industrie et de l’administration, puis accélère l’inflation si la manne pétrolière se déverse trop brutalement dans le pays en écrasant les autres secteurs d’activité. Ainsi, conscients de la faible « capacité d’absorption » de la rente pétrolière par leur pays, les dirigeants camerounais eurent comme d’autres producteurs aux caractéristiques voisines une idée lumineuse (sic) : retirer du circuit intérieur les dollars du pétrole afin qu’ils ne contaminent pas le reste de l’économie, et les placer sur un compte hors budget à la discrétion du président de la République. Loin du contrôle parlementaire. Depuis, un brouillard opaque recouvre ce secteur stratégique. Quand il a succédé à M.Ahidjo, Paul Biya s’en est accommodé, en révélant tout de même l’existence de ce « trésor de guerre ». Les exportations inscrites à la balance commerciale officielle n’ont aucune signification. Elles ne servent qu’à lui assurer un solde positif. Il a suffi ensuite chaque année jusqu’en 1987 de réinjecter ces dollars pour des projets « soigneusement » sélectionnés, dans le budget de l’Etat au moyen d’une loi de finances rectificative : au gré du prince.
« La somme ainsi prélevée représentait jusqu’au début de 1986, entre 300 et 500 milliards de francs CFA par an. Certains observateurs évaluent à 1 500 milliards de francs CFA son montant cumulé entre 1982 et 1985. L’Etat, via la Société nationale des Hydrocarbures, l’a placée sur les marchés financiers internationaux, dans l’intention – louable – de la faire fructifier ». Est il encore utile de rappeler que pendant ce temps là le pays manquait cruellement de maternités, d’hopitaux, d’écoles, de routes, de chaussées et de trottoirs dans les villes, de logements sociaux, de médicaments, de tout en somme : et surtout, quel étrange paradoxe, la dette extérieure s’alourdissait sans cesse ?
A la stupéfaction de l’observateur, jamais le problème n’a été pris en charge, au titre de cheval de bataille par les organismes internationaux comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, maîtres d’œuvre des politiques d’ajustement structurel, et à ce titre gendarmes de la solvabilité des Etats faillis et du remboursement de leurs dettes aux grandes banques transnationales. Ces organismes dépêchent régulièrement des fournées d’experts sur place. Ces derniers submergent les populations de mesures d’austérité draconiennes, n’hésitant pas à recommander le dégraissage de la fonction publique (avec environ cent cinquante mille bougres dont le salaire individuel atteint rarement 1 000 francs français par mois, et dans un pays de plus de douze millions d’habitants, il paraît que la fonction publique camerounaise est pléthorique, quand au contraire, chacun peut constater que le pays est effroyablement sous administré), la diminution des crédits de l’éducation, l’arrêt du recrutement à l’Université, etc. En revanche, sur le pétrole, sur les mystères de ses revenus et de leur gestion, silence. N’est ce pas la preuve que la fin de la guerre froide n’a pas entraîné comme par enchantement la fin des connivences entre l’Occident capitaliste et les dictatures du Sud, si utiles naguère le combat contre feu le communisme ? La transparence dans la gestion des revenus pétroliers n’aurait elle pas aidé à restaurer la solvabilité de l’Etat camerounais ? A moins que l’économie et les finances ne soient pas la vraie vocation de ces organismes, tout au plus une couverture. S’avançant pesamment comme ânes chargés de reliques, les experts des organismes internationaux ne dirigent leur attention que là où rien ne mérite de l’attirer ni de la retenir. On les croirait frappés de cécité dès que les dirigeants africains des dictatures peuvent être soupçonnés de brigandage et de déprédation. Seraient ils guidés par l’impératif catégorie de ménager les dictateurs avant tout ?
On me signale que les experts de la Banque mondiale et du Fonds monétaire opérant au Cameroun depuis la fin des années quatre vingt n’ont pas manqué de se préoccuper du chapitre pétrole des comptes de la nation ; ils ont même demandé aux autorités de la dictature de le leur soumettre. Ces dernières s’y sont sèchement refusées. Et ce fut la rupture, croirait-on. Pas du tout. Plus placides que des ruminants, les experts internationaux ont ravalé l’avanie, et, sans aucune indigestion, poursuivi ce qu’ils appellent sans rire l’exécution de leur mission.
A qui fera-t-on croire que ces questions ne sont jamais posées discrètement et en aparté au milieu de la chaleur communicative des banquets inter-républicains ? Quelles réponses leur font alors un Paul Biya, un Omar Bongo '. un Sassou Nguesso, tous amis de la France ? L'opinion publique en Afrique et en Europe est-elle vraiment indigne de le savoir ? Si oui, comme il apparaît à l'expérience, François Mitterrand peut-il nous dire pour quelles raisons ?
Comment expliquer cette cachotterie? C'est ce que Le Figaro suggère fort bien dans la citation qu'on vient de lire :
« Ainsi, conscients de la faible "capacité d'absorption" de la rente pétrolière par leur pays, les dirigeants camerounais eurent, comme d'autres producteurs aux caractéristiques voisines, une idée lumineuse : retirer du circuit intérieur les dollars du pétrole afin qu'ils ne contaminent pas le reste de l'économie, et les placer sur un compte hors budget à la discrétion du président de la République. Loin du contrôle parlementaire. »
Qu'est-ce donc que la faible capacité d'absorption de la rente pétrolière pour un pays donné ? Comment la détermine-t-on, et par qui ? La notion de faible capacité d'absorption de la rente pétrolière apparaît pour ce qu'elle est, une plaisanterie de très mauvais goût, un plaidoyer enfantin échafaudé d'ailleurs après coup, lorsqu'on apprend que, pendant que les dollars du pétrole ainsi retirés des comptes publics pour ne pas contaminer le reste de l'économie, dorment quelque part, l'Etat camerounais n'a pas interrompu sa politique d'emprunts auprès des grands établissements financiers étrangers (ni de quête de dons auprès des États nantis) ; sinon comment la dette extérieure du Cameroun serait-elle aujourd’hui d’un montant de six milliards de dollars ?
On peut trouver le cas du Gabon plus troublant encore que celui du Cameroun. Ce pays, qui n'a pas un million d'habitants, exporte chaque année quelque huit millions de tonnes de pétrole, chiffre estimé, qui doivent bien fournir bon an mal an quelque deux milliards de dollars. Rapporté au million de Gabonais, ce pactole devrait faire le bonheur des populations, autant que dans tel émirat béni. Il n'en est rien, et les Gabonais sont aussi miséreux qu'ailleurs en Afrique. Quant au Congo, pays qui se disait marxiste avec l'approbation de l'Elysée, les affaires publiques y furent longtemps marquées au coin de l'absurde, et inextricables.
Ainsi les Camerounais réclament-ils la libre propriété de leur sous-sol et de sa manne, soit quelques dizaines de milliards de dollars. François Mitterrand peut se permettre de leur proposer, par la voix du dictateur Paul Biya comme l'expression la plus noble de sa solidarité, la réduction partielle d’une dette, chiffrée a quelques dizaines de millions de dollars : une miette. A un peuple qui demande justice, le président français offre le marche de dupes de la charité au rabais, mais il est applaudi par son compère du cru. Interprète providentiellement exclusif de son peuple, ce que Philippe Marcovici appelle un « interlocuteur valable ».
Le système ne peut d'ailleurs fonctionner que si les choses se font au gré du prince, loin du contrôle parlementaire (au demeurant inconcevable), c'est-a-dire sous la férule d un dictateur, choisi de préférence parmi les amis de la France.
C’est à ces impératifs que doit obéir, sur le terrain, l’action des compagnies pétrolières françaises, obligées de verser des royalties, non à l’Etat comme partout à travers le monde, mais à un dictateur, dont on sait aujourd’hui qu’il les a gaspillés allègrement, bien loin de daigner en rendre compte aux populations. Il faut donc soutenir, à tout prix éventuellement, Paul Biya, le dirigeant le plus impopulaire d’Afrique francophone, avec le togolais Eyadema et le zaïrois Sese Seko Mobutu, sinon l’ensemble du mécanisme se détraquerait. On comprend maintenant pourquoi les élections présidentielles du 11 octobre 1992 ont été scandaleusement truquées là-bas, comme elles le seront dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans, éternellement en un mot, si du moins les rapports entre la France et le Cameroun restent ce qu’ils sont. L’interlocuteur valable devra chaque fois être soustrait à tout aléa, coûte que coûte.
Mais, nous dira-t-on, quels sont les faits et les chiffres, au moins depuis l'avènement de Paul Biya ? Rendues excessivement prudentes par le manque d'information dont l'État est responsable, les sources concordent toutefois pour estimer, avec quelques variantes, que le Cameroun, depuis dix ans, a produit régulièrement environ huit millions de tonnes de pétrole chaque année. Cela doit pouvoir représenter en dix ans de règne de Paul Biya, selon le témoignage d'experts, environ 20 milliards de dollars en tout, versés, semble-t-il, en bonne partie sur un compte personnel du chef de l'État et gérés par lui sans aucun contrôle et dans un mystère complet. Qu'a-t-il fait de ces milliards de dollars? Telle est la question que, au Cameroun, tout le monde se pose. Rappelons que, selon le discours de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, l'insolvabilité actuelle de l'État camerounais, entraînant une faillite universelle qui l'achemine vers la paralysie économique, résulte en partie de la lente et implacable asphyxie du pays par une dette publique de six milliards de dollars environ. Alors voici la question, déjà soulevée ici à plusieurs reprises, qui vient spontanément à l’esprit du premier profane : pourquoi, malgré l’argent de son pétrole, le Cameroun ne peut il pas rembourser cette dette ? Vingt milliards contre cinq, c’est plus qu’il n’en faut ; il resterait même encore un énorme bénéfice au pays, sans doute quinze milliards de dollars, correspondant à plusieurs annuités du budget national.

NB / Marchés tropicaux. une publication spécialisée, datée du 14 février 1992, indique : « La production pour 1991 est estimée à 7 millions de tonnes alors qu'elle approchait les 10 millions en 1985. » Le Figaro, déjà cité, donne les chiffres suivants : 8,493 millions de tonnes pour 1984/1985,9,021 millions pour 1985/1986 ; 8,740 millions pour 1986/1987.

Le phénomène de la gestion du pétrole en Afrique francophone, avec ses extravagances, ses silences, ses dérobades, ses pressions occultes, ses crimes est si étrange qu’on est tenté d’y chercher la clé de l’histoire de ces trente dernières années. En effet, on a beau se triturer les méninges, consulter le dictionnaire, interroger les spécialistes de la politologie, on ne trouve pas d’autre terme pour caractériser la situation que sabotage.
Il faut bien dire que, à la lumière de cette hypothèse, s'éclairent enfin bien des bizarreries, bien des zones d'ombre, bien des extravagances, mais aussi bien des crimes demeurés longtemps mystérieux ou énigmatiques. N'est-ce pas, de surcroît, ce qu'annonçait cette biographie parue dans Le Monde du 30 août 1991, à l'occasion du décès de l'ancien président d'Eî f, Pierre Guillaumat : « Plus puissant que bien des ministres, mais pratiquement inconnu du grand public, Pierre Guillaumat n'a vécu que pour une idée : il n'y a pas de véritable indépendance nationale sans autonomie énergétique. C'est cette autonomie qu'il développera sans relâche, et souvent à l'arraché, dans le pétrole. [...] « L'exemple de Clemenceau, qu'il admire, contraint de mendier auprès des Américains le précieux carburant qui, en 1917, alimentera les taxis de la Marne et forcera la victoire, marque profondément le jeune Pierre Guillaumat. [...] « A la tête de la direction des carburants pendant huit ans, de 1944 à 1951, et en même temps du Bureau de recherche du pétrole pendant quatorze ans, ce "Mattei français' va réussir son pari. Car des hydrocarbures, il en découvre : à Lacq en 1949, puis en Algérie en 1956, au Congo, au Gabon, en 1959. En quelques années, la France a ainsi réussi à maîtriser son destin pétrolier en contrôlant une bonne partie de ses approvisionnements. [...]
« Dix ans plus tard, en 1966, lorsque l’ensemble fusionne pour former le groupe Elf Aquitaine, Pierre Guillaumat en devient naturellement le premier président. Entre-temps la décolonisation a privé la France du contrôle total de la plupart de « ses » anciens gisements, qu’elle doit partager avec les nouveaux gouvernements. Une période difficile pour cet « émir de la République » […] qui accepte mal la nationalisation en 1971 du pétrole algérien, « son » pétrole, puisqu’il l’a découvert.
« Sous l’aiguillon de son impérieux président, le groupe Elf n’en réussira pas moins à compenser ces pertes, en découvrant du pétrole et du gaz notamment en mer du Nord et en Afrique, et à devenir l’un des premiers groupes pétroliers européens. En 1977, lorsque Pierre Guillaumat prend sa retraite, il laisse une entreprise florissante, bien diversifiée. Certes la France n’a pas réussi totalement à se soustraire à l’influence des majors américains, mais grâce à ses deux groupes pétroliers […], elle a largement réduit sa dépendance. »
La destination du pétrole africain, c’est donc d’assurer l’indépendance énergétique de la France, non de faire le bonheur des Africains, pour lesquels il vaut alors mieux qu’il n’existe pas. Et le reste n’est que littérature.


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Mes citations

"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."

Hölderlin, Hyperion



"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"

Portishead



"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"

Marguerite Duras



Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier

Miossec, le chien mouillé (en silence)