mercredi 30 janvier 2008

Le Château des Pauvres

Une longue chaîne d'amants
Sortit de la prison dont on prend l'habitude

Sur leur amour ils avaient tous juré
D'aller ensemble en se tenant la main
Ils étaient décidés à ne jamais céder
Un seul maillon de leur fraternité

La misère rampait encore sur les murs
La mort osait encore se montrer
Il n'y avait encore aucune loi parfaite
Aucun lien admirable

S'aimer était profane
S'unir était suspect

[...]

Pauvres dans le Château des pauvres
Nous fûmes deux et des millions
A caresser un très vieux songe
Il végétait plus bas que terre
Qu'il monte jusqu'à nos genoux
Et nous aurions été sauvés
Notre vie nous la concevions
Sans menaces et sans oeillères
Nous pouvions adoucir les brutes
Et rayonnants nous alléger
Du fardeau même de la lutte

Les aveugles nous contemplent
Les pires sourds nous entendent
Ils parviennent à sourire
Il ne nous en faut pas plus
Pour tamiser l'épouvante
De subsister sans défense
Il ne nous en faut pas plus
Pour nous épouser sans crainte
Nous nous voyons nous entendons
Comme si nous donnions à tous
Le pouvoir d'être sans contrainte

Si notre amour est ce qu'il est
C'est qu'il a franchi ses limites
Il voulait passer sous la haie
Comme un serpent et gagner l'air
Comme un oiseau et gagner l'onde
Comme un poisson gagner le temps
Gagner la vie contre la mort
Et perpétuer l'univers

Tu m'as murmuré perfection
Moi je t'ai soufflé harmonie
Quand nous nous sommes embrassés
Un grand silence s'est levé
Notre nudité délirante
Nous a fait soudain tout comprendre
Quoi qu'il arrive nous rêvons
Quoi qu'il arrive nous vivrons

Tu rends ton front comme une route
Où rien ne me fait trébucher
Le soleil y fond goutte à goutte
Pas à pas j'y reprends des forces
De nouvelles raisons d'aimer
Et le monde sous son écorce
M'offre sa sève conjuguée
Au long ruisseau de nos baisers

Quoi qu'il arrive nous vivrons
Et du fond du Château des pauvres
Où nous avons tant de semblables
Tant de complices tant d'amis
Monte la voile du courage
Hissons-la sans hésiter
Demain nous saurons pourquoi
Quand nous aurons triomphé

Une longue chaîne d'amants
Sortit de la prison dont on prend l'habitude

La dose d'injustice et la dose de honte
Sont vraiment trop amères

Il ne faut pas de tout pour faire un monde il faut
Du bonheur et rien d'autre

Pour être heureux il faut simplement y voir clair
Et lutter sans défaut

Nos ennemis sont fous débiles maladroits
Il faut en profiter

N'attendons pas un seul instant levons la tête
Prenons d'assaut la terre

Nous le savons elle est à nous submergeons-la
Nous sommes invincibles

Une longue chaîne d'amants
Sortit de la prison dont on prend l'habitude

Au printemps ils se fortifièrent
L'été leur fut un vêtement un aliment

L'hiver ils crurent au cristal aux sommets bleus
La lumière baigna leurs yeux
De son alcool de sa jeunesse permanente

O ma maîtresse Dominique ma compagne
Comme la flamme qui s'attaque au mur sans paille
Nous avons manqué de patience
Nous en sommes récompensés

Tu veux la vie à l'infini moi la naissance
Tu veux le fleuve moi la source
Nul brouillard ne nous a voilés
Et simplement dans la clarté je te retrouve

Vois les ruines déjà du Château qu'on oublie
Il n'avait pas d'architecture définie
Il n'avait pas de toit
Il n'avait pas d'armure
Agonies et défaites y resplendissaient
La naissance y était obscure

Vois l'ombre transparente du Château des pauvres
Qui fut notre berceau notre vieille misère
Rions à travers elle
Rions du beau temps fixe qui nous met au monde

Il s'est fait un climat sur terre plus subtil
Que la montée du jour fertile
C'est le climat de nos amours
Et nous en jouissons car nous le comprenons
Il est la vérité sa clarté nous inonde

[...]

Le réel c'est la bonne part
L'imaginaire c'est l'espoir
Confus qui m'a mené vers toi
A travers tant de bons refus
A travers tant de rages froides
Tant de puériles aventures
D'enthousiasmes de déceptions

Souviens-toi du Château des pauvres
De ces haillons que nous traïnions
Et vrai nous croyions pavoiser
Nous reflétions un monde idiot
Riions quand il fallait pleurer
Voyions en rose la vie rouge
Absolvions ce qui nous ruinait

Dis toi que je parle pour toi
Plus que pour moi puisque je t'aime
Et que tu te souviens pour moi
De mon passé par mes poèmes
Comment pourrais tu m'en vouloir
Ne comptons jamais sur hier
Tout l'ancien temps n'est que chimères

De même que je t'aime enfant
Et jeune fille il faut m'aimer
Comme un homme et comme un amant
Dans ton univers nouveau-né
Nous avions tous deux les mains vides
Quand nous nous sommes abordés
Et nous nous sommes pensés libres

Il ne fallait rien renoncer
Que le mal de la solitude
Il ne fallait rien abdiquer
Que l'orgueil vain d'avoir été
En dépit de la servitude
O disais-tu mon coeur existe
Mon coeur bat en dépit de tout

Je ne mens jamais ni ne doute
Je t'aime comme on vient au monde
Comme le ciel éclate et règne
Je suis la lettre initiale
Des mots que tu cherchas toujours
La majuscule l'idéale
Qui te commande de m'aimer

[...]

Le long effort des hommes vers leur cohésion
Cette chaîne qui sort de la géhenne ancienne
Est soudée à l'or pur au feu de la franchise
Elle respire elle voit clair et ses maillons
Sont tous des yeux ouverts que l'espoir égalise

La vérité fait notre joie écoute moi
Je n'ai plus rien à te cacher tu dois me voir
Tel que je suis plus faible et plus fort que les autres
Plus fort tenant ta main plus faible pour les autres
Mais j'avoue et c'est là la raison de me croire

J'avoue je viens de loin et j'en reste éprouvé
Il y a des moments où je renonce à tout
Sans raisons simplement parce que la fatigue
M'entraîne jusqu'au fond des brumes du passé
Et mon soleil se cache et mon ombre s'étend

Vois-tu je ne suis pas tout à fait innocent
Et malgré moi malgré colères et refus
Je représente un monde accablant corrompu
L'eau de mes jours n'a pas toujours été changée
Je n'ai pas toujours pu me soustraire à la vase

Mes mains et ma pensée ont été obligées
Trop souvent de se refermer sur le hasard
Je me suis trop souvent laissé aller et vivre
Comme un miroir éteint faute de recevoir
Suffisamment d'images et de passions
Pour accroître le poids de ma réflexion

[...]

Ce minuit-là nous fûmes les enfants d'hier
Sortant de leur enfance en se tenant la main
Nous nous étions trouvés retrouvés reconnus
Et le matin bonjour dîmes nous à la vie
A notre vie ancienne et future et commune

A tout ce que le temps nous infuse de force.

Paul Eluard, Le Château des pauvres


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