lundi 14 janvier 2008

Dostoïevski, Une biographie, suite (3)

Nous sommes maintenant préparés à sonder la religion de Dostoïevski. Il passe pour le représentant du christianisme. Il faut y regarder de plus près car la notion de christianisme repose sur certaines croyances en Dieu, Christ et l’Eglise.
Or Dostoïevski n’est pas sûr de croire en Dieu. Dans les Démons, son porte parole, Chatov confesse croire à la Russie, la religion orthodoxe et au Christ. Mais en Dieu ? il se déclare sur ce point tourmenté par le doute. Mais il déteste les athées. « Si Dieu n’existe pas tout est permis » dit un personnage de Crime et Chatiment et une remarque comique de l’Idiot devient : « Si Dieu n’existe pas, que devient mon grade de capitaine ? ».
L’amour de Dostoïevski pour le Christ est en revanche très tôt attesté. Il lui est revenu au bagne : « Par le peuple, je le reçus de nouveau dans mon cœur ». Quel Christ ? : un homme avant tout, un homme idéal, admirable, qui n’a nullement besoin d’être un être divin. Si déjà le christ avait existé en tant qu’être moral, s’il avait accompli toutes les bonnes actions, sans qu’il y ait forcément eu de miracles, s’il fut mort à 33 ans sur la croix du fait de ses ennemis qui ne supportaient plus de le voir faire le bien et de devenir pour cette raison célèbre, alors pour Dostoïevski, « il n’est rien de plus beau, de plus profond, de plus sympathique, de plus parfait que le Christ ». Du coup, il peut se dire « jaloux » du Christ ! puisque celui-ci est un être humain comme lui !
Le prince Mychkine, l’Idiot, dans son roman en est d’ailleurs la figure la plus proche, qui reste à dire la vérité quelles que soient les circonstances. Est ce que le Christ est la Vérité pour Dostoïevski ? « Si l’on me prouvait que le Christ est hors de la vérité et que la vérité soit hors du Christ je voudrais plutôt rester avec le Christ qu’avec la vérité ». Si le Christ était un imposteur et n’avait rien de divin, mais puisqu’il a été si bon, je préfère le suivre semble dire Dostoïevski. La religion est moins importante que le personnage moral ! Pour quelqu’un qui est censé représenter le mieux la pensée chrétienne, admettons qu’il fait fort ! ! On pourrait le taxer d’avoir fait du christ une idole, d’aimer et de confondre la religion avec un homme.
Et l’Eglise ? Dostoïevski nie qu’on puisse être un vrai chrétien, encore moins un russe, en dehors de l’Eglise orthodoxe. Cependant il a peu d’estime pour cette église. La véritable Eglise pour lui est la Russie et dans la Russie, le peuple russe. Certes le peuple ne connaît pas la Bible, l’évangile, « mais pour ce qui est du Christ, il le connaît et il le porte dans son cœur pour l’éternité ». C’est pourquoi le Christ est avant tout le Christ russe, incarnant moins Dieu que la Russie. Alors que pour beaucoup de Russes, la Russie est sainte grâce à sa religion, Dostoïevski pense que la religion est pure à cause de la Russie. Il est plus nationaliste que religieux et cherche à expliquer l’âme russe.
Mais il n’est pas pour autant aveugle : il est même pessimiste sur le monde. Il voit des choses horribles y compris en Russie, pleine de péché et de misère. Il découle de cela une morale qui se calque sur l’humeur russe, capable de barbarie de mensonge de violence mais aussi d’accès de bonté de générosité. Pour lui, voler est excusable mais il est inexcusable d’être propriétaire. Il condamne le viol mais le mariage est suspect. Surtout le péché et la grâce sont simultanés : ce n’est pas la vertu qui prépare à la vertu mais le crime ! Il faut avoir beaucoup souffert, voir avoir accompli de mauvais actes pour après le repentir pouvoir être bon et s’ouvrir mieux à la souffrance des autres. Et selon lui nous serions tous des pécheurs donc des gens susceptibles aussi de faire le bien ! !
Quel est son héritage ? Beaucoup de gens n’ont connu et commencé à apprécier la religion qu’avec ses romans, alors même qu’on a vu que s’il n’admettrait pas quon dise qu’il n’est pas religieux, du moins sa religion est elle très déconnectée des vérités habituelles.
Lénine le vomissait et il fut logiquement interdit par l’Union soviétique. Evident puisqu’il les comparait à des Démons 40 ans avant de les connaître ! Pourtant bien des penseurs ont suivi Dostoïevski quand ils écrivent aujourd’hui que l’Union soviétique a protégé la Russie de la bourgeoisie occidentale. Selon un penseur russe, Berdaïev, l’enfer russe, que seul un Russe peut comprendre est tout de même préférable à la satisfaction suisse. Soljénitsyne qui a connu et témoigné sur le goulag n’a pas comme Dostoïevski adoré ceux qui l’y ont envoyé, mais une fois en Europe, il n’a jamais appris l’anglais et n’a pensé qu’à la Russie, comptant lui aussi sur le peuple pour la rénover. Comme Dostoïevski, la religion la morale et la nation sont au dessus de la politique pour lui.
Quant à l’Occident ?C’est essentiellement le penseur religieux qu’on a repéré, car par sa morale associée à la technique du roman policier, il représente « une sorte de bouée de sauvetage capable d’insuffler dans la littérature le supplément d’âme ». Pour les religieux qui le connaissent vraiment, il est fort de café sur l’Evangile, mais il a été surtout apprécié après les deux guerres mondiales. On a comparé alors les frères Karamazov à un 5ème évangile, dans un monde en plein désarroi.


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