mercredi 25 mars 2009

La grande rétraction

Un très bon article de Nicolas Baverez dans le Monde supplément économie (une très bonne lecture !), certes pas très gai mais qui correspond assez exactement à ma propre évaluation de la crise (il suffit de voir la rétraction du prix de l'essence pour comprendre l'ampleur de la baisse de l'activité économique) :

En 2009, pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le monde sera en récession, avec une baisse de la croissance de 1,5 %. Et 2010 verra au mieux une stabilisation, avec une croissance nulle. Le choc est sans précédent par son caractère global, tous les continents et les secteurs étant simultanément touchés par le krach du capitalisme universel, et par la rapidité de l'ajustement des entreprises (les carnets de commandes à l'industrie mondiale ont chuté de 30 % en un an) comme des ménages (le taux d'épargne des Américains est passé de - 2 % à + 5 % en quelques mois).

Les conséquences immédiates de ce choc exceptionnel sont connues : hausse du chômage, qui touchera 51 millions de personnes supplémentaires et reviendra à son niveau de la fin des années 1970 dans les pays développés - avec des cas extrêmes, comme l'Espagne, où il s'est envolé de 8 % à 16 % en moins de deux ans ; tassement de la consommation et effondrement de l'investissement productif ; explosion des déficits et de la dette publique, qui augmentera jusqu'à représenter 80 % à 100 % du produit intérieur brut (PIB) des grands pays développés - voire 200 % pour le Japon.

Le défi est immense pour les politiques économiques. Dans la phase actuelle, elles seules peuvent contrecarrer le risque d'une déflation. Dans la phase de sortie de crise, il leur faudra assainir le bilan des banques centrales et désendetter les Etats sans casser la reprise, ce qui paraît difficile sans recourir à une dose d'inflation.

Les effets de long terme sur la mondialisation restent masqués par les urgences de l'heure, notamment le sauvetage des banques et les plans de relance. Ils sont pourtant cruciaux. Le commerce international, en hausse de 8,5 % en 2006 et 6 % en 2007, baissera d'au moins 5 % en 2009, du fait de l'assèchement du crédit commercial et de la pénurie de dollars. Les investissements directs dans les pays émergents, qui s'élevaient à 928 milliards de dollars (714 milliards d'euros) en 2007, seront réduits à 165 milliards en 2009 ; l'aide au développement est en voie de disparition avec un déficit de plus de 200 milliards de dollars par rapport aux engagements. Pour les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, endettées en devises étrangères, la crise des paiements est comparable à celle qu'a connue l'Asie en 1997.

Pour les pays pauvres, notamment en Afrique, où la croissance est passée de 6,1 % en 2007 à moins de 3 %, le décollage économique est arrêté, et le cycle infernal de la baisse du revenu par habitant, de la hausse de la misère et de la mortalité, est de retour.

Dans le même temps, le recours massif à la puissance publique provoque une renationalisation des politiques économiques, surtout en Europe. Derrière les appels à la coopération pointe une stratégie Etat par Etat pour le sauvetage des banques comme pour les plans de relance, pour renforcer ses autorités nationales de régulation et récuser le principe d'une supervision internationale. L'appel massif à la garantie des contribuables exacerbe les pressions protectionnistes. Enfin, la multiplication des dévaluations compétitives crée un risque de rupture des paiements et des échanges mondiaux.

La mondialisation, qui apparaîtra avec le recul de l'Histoire comme un âge d'or, au même titre que la Belle Epoque (1900-1910), est menacée de désintégration. Avec trois effets notables : une accélération de la récession puisque le commerce international constitue la composante la plus dynamique de la croissance ; une montée des risques systémiques que la balkanisation et la concurrence entre les régulateurs ne permettront pas de maîtriser ; une recomposition de l'économie mondiale autour d'un condominium américano-chinois entouré de pôles secondaires, dont l'Europe.

Voilà pourquoi le G20, au-delà des plans de relance et de la régulation financière, doit lutter contre le protectionnisme et les dévaluations compétitives, conclure le cycle de Doha, réamorcer le crédit au commerce international, poursuivre l'aide au développement et aux nouvelles démocraties. Il faut sauver la mondialisation en internationalisant la régulation du capitalisme, et non alimenter la récession en renationalisant les politiques économiques.

Nicolas Baverez, économiste et historien

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