samedi 30 août 2008

Hérisson, une Héroïne et Dirigeante de la Résistance



La photo de Marie-Madeleine Fourcade jeune héroïne et dirigeante de la Résistance française

Je vous invite d'abord et très fortement à lire sa biographie posthume, publiée dans le journal Le Monde lors de son décès, qui synthétise et décrit bien l'activité de cette femme hors du commun : femme dont l'histoire est romanesque mais qui a su garder la tête froide et le sens de l'organisation, femme héroïque qui a su s'imposer dans des circonstances particulières à des hommes et s'est retrouvée à la tête du principal réseau de renseignement des services secrets britanniques en France, lesquels ne surent pas tout de suite que ce chef était ... une femme !

Article biographique posthume du journal Le Monde


- L'article biographique le plus détaillé et précis disponible a été rédigé par l'historienne Michèle Cointet (faisant notamment ressortir les sentiments de l'intéressée aux divers moments de son histoire : très intéressant et bien écrit) :

Conférence du Professeur Michèle Cointet sur Marie- Madeleine Fourcade, Chef du réseau Alliance

Je ne peux m'empêcher cependant d'en citer un long extrait relatif à son courage et aussi à son 6ème sens, qualité développée dans la clandestinité comme chez d'autres résistants. Cette intuition est indéniable, tellement furent peu nombreux les chefs résistants de 1940 à rester actifs jusqu'à la fin du conflit, face à la dureté et l'accroissement de la répression :

*Le réseau Alliance après l’Occupation de la zone libre :

L’année 1943 est une année terrible pour la Résistance, les Allemands occupent entièrement la France. Leurs services de sécurité – la Gestapo avec la complicité de la police de Vichy – sont particulièrement efficaces en achetant et manipulant des agents doubles qui désorganisent bien des mouvements de Résistance et des réseaux de renseignement. A cette époque, les Anglais estiment qu’un chef de réseau ne peut pas durer plus de huit mois : Marie-Madeleine Fourcade tiendra 31 mois grâce à l’excellence de la préparation du travail clandestin, de la complicité de plus en plus active de la population française, « des planques », de sa mobilité dans toute la France avec une équipe réduite à deux personnes – sa secrétaire « Hermine » et son radio « Pie » - et peut- être grâce aussi à une grande intuition. En dépit de cette répression et de toutes les difficultés rencontrées, la recherche du renseignement continue comme au printemps 1943 où un membre du sous réseau des Druides , dirigé par Georges Lamarque, apprend de Jeanie Rousseau par une source familiale que des armes secrètes sont essayées en Allemagne. L’agent d’Alliance en Allemagne est averti, confirme l’existence de ces essais par un rapport qui est envoyé en juin 1943 aux Anglais. Plus tard, au printemps 1944, ce sont encore des membres du réseau Alliance qui communiqueront aux Britanniques les emplacements des bases de lancement des fusées V1 et les V2 qui bombarderont Londres.

Après plus de 31 mois de tension extrême, Marie-Madeleine Fourcade accepte enfin de partir pour l’Angleterre afin d’y rencontrer les responsables de l’Intelligence Service en juillet 1943. Triste séjour pour le chef d’Alliance :en août elle apprend qu’à son retour d’Angleterre l’un de ses premiers et fidèles compagnons le Commandant Léon Faye a été arrêté, à la suite à la trahison de Jean-Paul Lien. 150 membres du réseau tombent à l’automne 1943. Une partie d’entre eux sera jugée par le Tribunal de guerre du Reich, au cours d’un procès spectaculaire à Fribourg-en-Brisgau le 28 juin 1944. Les condamnés à mort sont fusillés le 21 août ou, comme Léon Faye, assassinés. La répression fait des ravages dans les rangs du réseau et chaque mois apporte son lot d’agents de femmes et d’hommes arrêtés. Eloignée, elle assiste ainsi impuissante à la destruction d’Alliance, au début de 1944 il ne reste plus que quatre-vingt agents actifs. Les Britanniques le retiennent à Londres, pour sa sécurité et celle du réseau. Sa biographe se demande si le ralliement final de Marie-Madeleine Fourcade au B.C.R.A du colonel Passy, par ailleurs inévitable après la création du C.F.L.N. désormais maître des services spéciaux et le bailleur de fonds, n’a pas été favorisé par l’impression qu’il lui laisserait une plus grande liberté que les anglais et favoriser son retour en mission en France. C’est chose faite en juillet 1944 en Provence. Arrêtée par les Allemands elle réalise une extraordinaire évasion nocturne, se glissant grâce à sa minceur et avec beaucoup d’efforts à travers les barreaux d’une salle du rez-de-chaussée de la caserne Miollis d’Aix-en-Provence ce qui lui permet d’éviter à ses compagnons de tomber dans une souricière.


- Je vous propose sinon une biographie plus sommaire quoiqu'assez complète, par Charles-Louis FOULON (Encyclopaedia Universalis) Source: Mémoire et espoirs de la Résistance :

Née le 8 novembre 1909 à Marseille, Marie-Madeleine BRIDOU est élevée dans des institutions religieuses. En 1937, elle est secrétaire générale d’un groupe de publications dirigées par le commandant Georges LOUSTAUNAU-LACAU. C’est de ce saint-cyrien qu’elle recueille la charge du réseau Alliance dont elle fait, au service de l’Intelligence Service britannique, l’Arche de Noé, forte de trois mille agents dont quatre cent trente-huit mourront pour la France.

Issue de la grande bourgeoisie, l’ancienne responsable du périodique L’Ordre national s’aperçut vite que trop de ses anciennes relations rêvaient de "tâches de rénovation en commun" avec les occupants nazis. À Vichy, elle fut envahie par "une douleur pétrie d’humiliation et de rage impuissante".

Chef d’état-major clandestin de LOUSTANAU-LACAU qu’elle remplace après son arrestation, elle ne remet jamais en cause le principe d’une affiliation directe "aux Anglais qui seuls conduisaient la guerre", et ce n’est qu’en avril 1944 que le S. R. Alliance est intégré aux services spéciaux de la France combattante. Les femmes et les hommes d’Alliance veulent livrer un "combat sans idole", complémentaire de l’action nationale du général de GAULLE, mais ils sont plus dans la ligne du général GIRAUD qu’ils aident à quitter la France. Les questions de souveraineté nationale ne sont pas du ressort de ces techniciens du renseignement. Après la guerre, elle deviendra d'ailleurs gaulliste à part entière.

Le S.R. (Service de Renseignement) Alliance organise le quadrillage en secteurs de la zone non occupée pour recueillir des informations, faire tourner des courriers, organiser le passage d’hommes et de renseignements tant à travers la ligne de démarcation qu’à travers la frontière espagnole. Le cœur du réseau est la centrale de renseignements où s’analysent les données recueillies et se préparent les missions en fonction des demandes britanniques. Opérationnelle à Pau au début de 1941, elle fonctionne ensuite à Marseille puis à Toulouse avec un P.C., un point de chute, des points d’hébergement et de filtrage. Les six personnes du noyau de base de juin 1940 se retrouvent plus de cinquante dès la Noël de 1940. "Unis dans l’allégresse d’une confiance inébranlable", ils sont les recruteurs de près de trois mille agents. La conception des noyaux – une source, une boîte aux lettres, un transmetteur, un radio pour les urgences - donne des résultats très positifs, même si les insuffisances du cloisonnement facilitent la répression.

Dès l’automne de 1941, pour le réseau de M.-M. FOURCADE, ce sont six émetteurs radio qui transmettent à Londres et s’esquisse d’une aérospatiale clandestine par avions lysanders.

Ce sont les agents de liaison qui sont chargés des services les plus ingrats : "des milliers de kilomètres par voie ferrée, des attentes interminables aux rendez-vous, des transports à vélo incessants de plis et de matériel compromettants".

Dévouement et sens de l’organisation donnent des résultats. Les renseignements s’ordonnent par secteurs : air, mer, terre-industries-résultats de bombardements-transports en cours d’opération-psychologique-politique.

Les indications sur les U-Boot présents en Méditerranée, sur ceux des bases de Lorient et de Saint-Nazaire servent à la guerre anti-sous-marine conduite par les Alliés pour protéger les convois de l’Atlantique. D’autres renseignements facilitent l’interception des renforts italiens envoyés à Rommel, permettent la connaissance précise des travaux de l’organisation Todt pour le mur de l’Atlantique et la mise au point d’une carte renseignée détaillée pour la zone du débarquement en Normandie (elle faisait 17 mètres de longueur !). Tous les auteurs de cette carte tombent ensuite aux mains de la police allemande, Gibet dans le langage codé du réseau. Ils sont massacrés à la prison de Caen, le 7 juin 1944.

Le premier des quatre cent trente-huit martyrs du réseau est Henri SCHAERRER, fusillé le 13 novembre 1941 pour avoir livré de précieux renseignements sur les sous-marins allemands.

L’Abwehr, la Gestapo et la police française provoquent des hécatombes à l’automne 1943 : plus de trois cents arrestations paralysant cinq centres émetteurs. Le réseau paye un lourd tribut d’arrestations, de déportations, de morts.

Malgré la peur et le chagrin, l’Alliance – aussi dénommée par les Allemands Arche de Noé car tous les membres portaient des noms d’animaux – se resserre autour de Marie-Madeleine FOURCADE, alias Hérisson.

Des opérations en lysanders et en sous-marins, des émissions de radio manifestent que le réseau continue. Après trente-deux mois de clandestinité, Hérisson rejoint Londres, où elle s’irrite des "antagonismes criminellement puérils des services secrets" et perçoit que ses camarades ne sont que "la chair à canon du Renseignement". C’est une des raisons qui la fait revenir sur le terrain, en Provence, avant le débarquement d’août 1944 et qui l’incite à poursuivre des missions dans l’Est après la libération de Paris.

En juin 1944, soixante-quinze agents principaux, huit cents secondaires, dix-sept postes travaillent.

La victoire de 1945 permet de découvrir des charniers d’agents, et Hérisson plonge dans un "abîme de douleur" pour établir le sacrifice de quatre cent trente-huit des siens, du benjamin Robert BABAZ (20 ans) à la doyenne Marguerite JOB (70 ans) et au doyen quasi octogénaire, Albert LEGRIS, ou à des familles entières, tels le père et les trois fils CHANLIAU, agriculteurs.

Pour Marie-Madeleine FOURCADE, les survivants sont la priorité absolue. Elle contribue à arracher un statut pour les veuves et les orphelins ; en 1948, on en compte dix-huit mille dépendant du comité des œuvres sociales de la Résistance.

Elle fait homologuer les trois mille membres de son réseau et les actions de ses héros qui ont lutté dans l’ombre, librement disciplinés, "l’imperméable pour uniforme".

Elle continue à travailler pour l’Intelligence Service qu’elle avertit de menées communistes en 1946-1947. Elle se lance surtout dans l’aventure gaulliste dès 1947 et a été l’une des représentantes R.P.R. à l’Assemblée des Communautés européennes en 1981-1982.

Présidente du Comité d’Action de la Résistance à partir de 1963, Marie-Madeleine FOURCADE fédère dans ce comité une cinquantaine d’associations ou d’amicales d’anciens résistants. Elle contribue à éclairer la réalité du nazisme et du génocide juif. C’est dans cette perspective qu’elle est, en 1987, témoin à charge au procès BARBIE. Elle y fait preuve de la même vigueur que dans ses luttes passées et dans le récit des activités de son réseau paru chez Fayard, en 1968, sous le titre "L’Arche de Noé".

Marie-Madeleine FOURCADE a lutté jusqu’au bout, en militante, notamment pour une solution pacifique de la crise libanaise. Elle est morte le 20 juillet 1989. Première femme dont les obsèques ont eu lieu en l’église Saint-Louis-des-Invalides, à Paris, où son corps, porté par des soldats du contingent, fut salué par les tambours de la garde républicaine, Marie-Madeleine FOURCADE a ainsi reçu un hommage exceptionnel. Au-delà de l’affliction personnelle exprimée par le Président de la République, la présence aux Invalides de toutes les tendances de la Résistance a marqué qu’elle restait un emblème unificateur de l’Armée des ombres, fidèle au message du commandant Faye, son bras droit dit Aigle, compagnon supplicié : « chassez les bourreaux, servez la France pour y faire revenir la paix, le bonheur, les chansons, les fleurs et les auberges fleuries ».

Pour compléter ce dossier consacré à Marie-Madeleine Fourcade, vous pouvez également

- écouter un entretien d'une heure trente minutes avec Michèle Cointet, historienne, auteur de la biographie sur Marie-Madeleine Fourcade

- Un document historique sur le réseau Alliance, avec la dernière lettre de Aigle et le récit de sa fin (pp. 5-7)

- La revue de presse à la sortie de l'Arche de Noé, avec notamment l'article de F.George dans Le Monde.

- Son Who's who : Épouse du général et Compagnon de la Libération Edouard MERICjusqu'en juin 1947, remariée avec Hubert FOURCADE, officier de la 13ème demi-brigade de la Légion étrangère, le 20 novembre 1947 à Montargis, mère de cinq enfants (Christian, Béatrice, Florence, Jacques et Pénélope), "Hérisson" était commandeur de la Légion d’Honneur, décorée de la médaille de la Résistance avec rosette, croix de guerre française et belge avec palmes, Order of British Empire  (OBE), officier de l'ordre de Léopold (Belgique) et de l'ordre Dzenia Polski (Pologne), commander of veterans of Roreign Wars (USA).


1 commentaire:

C S B C a dit…

J'aimerais connaître votre source pour ce commentaire sur ma marraine: 'Elle continue à travailler pour l’Intelligence Service qu'elle prévient des activités communistes en 1946-1947' dans le Plan bleu. Mon père était son contact dans l'IS, et je crois que c'est vrai, mais je n'ai pas trouvé de source … Merci d'avance.

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