lundi 4 janvier 2010

Lucie Aubrac, le caractère d'une enseignante hors normes


Extrait de la biographie que lui a consacrée L.Douzou :

Son parcours d'enseignante avait toujours été celui d'une femme qui refusait d'être sous tutelle. Cela s'était manifesté de diverses façons. Et d'abord, par sa propension à s'absenter quand l'idée d'aller au lycée lui était insupportable. On peut lui faire crédit lorsqu'elle déclarait avoir eu « l'habitude – moi qui suis ponctuelle et manque rarement à mes devoirs- d'annuler un cours ou une obligation sur un coup de tête, juste par envie de liberté, pour voir le monde ».Ce penchant qu'elle qualifiait joliment de « pulsions de liberté » et qu'elle faisait remonter à sa petite enfance, fut constant chez elle. Certains proviseurs en conçurent des soupçons et de l'aigreur à son endroit, d'autres attribuèrent ces absences imprévisibles à un état de santé défaillant …
Le type d'enseignement qu'elle délivrait était une autre manière de marquer un territoire bien à elle et d'affirmer son indépendance. On a vu que, contrairement à ce qui arrive parfois, elle ne cherchait nullement à donner le change quand un inspecteur se présentait dans sa classe, mais traçait imperturbablement son petit bonhomme de chemin avec enthousiasme, verve, sans souci exagéré d'une précision qui devait lui paraître relever de la maniaquerie. C'était chez elle une attitude réfléchie. Les méthodes de pédagogie nouvelle qu'elle avait vues à l'oeuvre dans les toutes petites classes l'avaient impressionnée. Il se peut également que l'enseignement traditionnel qu'elle avait suivi et auquel elle s'était conformée, tant pour préparer l'école normale des Batignolles que pour arriver jusqu'à l'agrégation, ne lui ait pas laissé un impérissable souvenir. Les relations vivantes et personnelles, qu'elle entretenait volontiers avec ses élèves relevaient probablement d'une même volonté de casser les codes les plus établis et, sans rien renier de la hiérarchie maître-élèves, de leur laisser les coudées franches.
En somme elle adorait autant enseigner qu'elle abhorrait être sous un joug fût il léger ou débonnaire, et placer les enfants qu'on lui confiait sous le joug. Et Lucie enseigna comme elle militait, c'est à dire en lisière de ce qui se pratiquait communément, sans grand souci du qu'en dira t-on et même contre lui. Bien faire et laisser dire, en quelque sorte. Qu'on ne se méprenne pas : elle avait une vision nette et exigeante des obligations de sa charge de professeur dont elle se faisait une haute idée. Ce qu'elle supportait mal, c'était l'idée de se couler dans un moule. La preuve en est que, la retraite venue, loin de cesser d'enseigner, elle fit vraisemblablement plus d'heures devant des auditoires que pendant toute sa carrière officielle.

La conclusion de l'ouvrage :

S'il fallait in fine caractériser son parcours, c'est bien le refus de toute norme qui devrait être mis en exergue. Refus des normes sociales qui auraient dû lui interdire l'ascension fulgurante qu'elle connut. Refus des normes idéologiques et mentales que mit en place le régime de Vichy. Refus des normes de sécurité qui s'appliquaient aux actions résistantes. Refus des normes partisanes qui enserraient et encadraient l'action militante. Refus des normes sociales et politiques organisant et réglementant la vie des plus démunis. Refus des normes d'exactitude qui sont censées régir un récit de vie.

Aucun commentaire:

Mes thèmes préférés

Rokia Traore - Un cri d'amour pour l'Afrique

Irma vep

Irma vep
Maggie Cheung

Mes citations

"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."

Hölderlin, Hyperion



"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"

Portishead



"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"

Marguerite Duras



Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier

Miossec, le chien mouillé (en silence)