samedi 16 janvier 2010

For Ever Mozart de Godard

Parler de Jean-Luc Godard est si difficile : il est si difficile d'accès, à première vue.

L'ontologie, la vie même faite film, peut-être trop un slogan, pour évoquer son cinéma

Comme ici cette jeune fille qui n'arrivera à dire Oui, qu'en dehors des contraintes, une fois qu'elle retourne dans la vie.



Le travail sur l'écriture, les paroles, la voix et l'image : triturer chacun pour en ressortir quelque chose qui relève de l'essence.

Ainsi dans certains films, on se retrouve comme aveugle et le son prend une dimension assourdissante, ou tous nos propos se trouvent dans le vacarme du milieu ambiant, des bruits de bus, de marteau-piqueur, et la vie se joue là, pas en dehors, dans un décor factice, de « cinéma », mais au milieu de la rue, de la plage, d'où ces phrases « on va déjeuner » ou « ordure » qu'on entend tous dans notre vie de tous les jours ...

For Ever Mozart, aller jouer Mozart à Sarajevo. Refuser que ce soit les thèmes sombres qui l'emportent pour faire du combat de la vie, et que le cinéma soit la vie même faite film, donc ce combat de la liberté. Et du coup, il faut jouer Mozart qui est léger et non Bach qu'on entend du fond de la mer. Il faut être naïf et crédule mais aimer la vie.

D'où l'idée d'une pièce de théatre, de jeunes qui vont aller jouer on ne badine pas avec l'amour à Sarajevo, pour y jouer la vie, l'amour et non la fin de la vie, de l'amour, dans ces sommes de pièces tragiques. C'est l'affirmation de la vie, ou plutôt de ce que l'homme a de meilleur à donner face à l'absurdité de la guerre.

Il y montre les chairs, qui sont dénudées, meurtries, mais on enlève pas à un homme ce qui fait qu'il est un homme.

ON va s'y battre pour y jouer la vie.

Et pendant ce temps là un cinéaste essaie de faire un film contre la volonté d'un producteur qui veut lui dicter une scène finale désastreuse ! Son désabusement et en même temps sa quête d'absolu sont une recherche aussi de la liberté, de dire libre, même s'il est beaucoup moins courageux que ses jeunes congénères.

Et Godard d'y montrer la guerre dans sa plus grande bêtise qui est aussi sa redoutable efficacité, d'être là, d'enlever les hommes, elle rappelle qu'elle est là, brutale, pan ! Et le rappellera aux jeunes gens du théatre.

Il y montre aussi les gens de l'OnU, violés dupés moralement parce que eux trop naïfs là où ils n'auraient pas le droit de l'être

D'où la jeune femme en tailleur qu'un serbe fait mine en rigolant de violer et qui représente l'Europe, le monde civilisé et coupable de sa candeur, en train de se faire « tirer » par les Serbes

La défaite de l'intelligence, on peut dénuder les corps avec la brutalité des brigands, face au caractère prude des diplomates en costards, cachés derrière une croix rouge qui devient celle de la honte et de l'impuissance qui abaisse l'Europe.

La guerre c'est simple on y viole et on y tue, ont dit les Serbes aux Européens et ces derniers ont consommé la défaite de leur intelligence. Godard envoie alors en Serbie quelques jeunes jouer une pièce de théatre pour y parler de la vie de l'humanité de l'amour et non plus de cette intelligence délètère et compromise, qui fait nommer l'Onu par Godard les brigands internationaux comparés aux brigands locaux que sont les Serbes.

De belles mercedes mais avec des corps qui meurent juste à côté, l'image est poignante. Et pendant que les jeunes du théatre creusent la tombe où ils seront abattus.



Pendant ce temps Vitalis essaie de faire un film, de l'intranquillité, de sa peur, de ne pas arriver à être cinéaste, dans les conditions actuelles du cinéma. Il sait son chemin et où il veut aller et le nom même de Vitalis pour qui a connu Rémi en dit long (car Godard marche énormément par allusions et n'en saisir que la moitié n'empêche pas de comprendre le film, car il montre que les citations ont leur vie propre, leur signification, elles ne sont justement pas des « citations » mais la vie, présente en chacun de nous, exprimée)

Il dit l'échec du processus créatif face aux puissances de l'argent. On suit plus le chemin de Vitalis que celui de son film, et son rapport à la création, quand il dit, comme une formule godardienne :

C'est d'ailleurs ce que j'aime en général au cinéma ,une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur absence d'explications.

On ne comprend pas le cinéma par l'intelligence mais par l'emphase, la compréhension immédiate, la vie même faite film qui nous parle dans un rapport autre que l'intelligence. Ce qui est à mon avis en désaccord avec Godard un peu faux car Godard fait appel à une des formes de l'intelligence pour comprendre tout ce qu'il nous donne : il nous donne le processus créatif en même temps que la création. Le personnage de Vitalis en est l'incarnation.

Extrait sur la saturation des signes :




Je trouve d'ailleurs que le Mépris, autre film de Godard répond bien à cette définition.

Et le jeune prodige qui dans un décor enchanteur de château à la française joue Mozart pour une rangée de privilégiés ne sait sans doute pas qu'il joue au delà pour la grandeur, la beauté des sentiments, ces pauvres personnes battues et tuées dans le monde, car Mozart ne se résigne pas et dit la vie : Mozart c'est léger et joyeux, n'en déplaise aux tyrans. Il faut jouer Mozart, surtout en Serbie.

Il était difficile de faire un film qui soit autant politique en l'étant si peu, en parlant d'un cinéaste, d'un jeune groupe téméraire de théatre, de Mozart et d'On ne badine pas avec l'amour de Musset. Mais Godard en faisant ce film en plein coeur des actualités de Srebrenica formule une critique virulente, acerbe de ce qui se passait là-bas sous nos yeux et sans qu'on en dise rien. Il montrait qu'on y laissait tuer la vie, et donc l'Europe se baissait les yeux fermés. Il y envoie ce que lui peut envoyer une jeune troupe de théâtre, tandis que Vitalis plus désabusé représente aussi à sa façon la vieille Europe, celle qui ne croit plus possible à son succès, à sa force, qui se contente de faire un film qui aura quelques moments de bravoure mais sera un raté, ce qu'il a déjà abdiqué.

J'aime For Ever Mozart, car il parle de la vie et depuis les années 60, à part quelques exceptions, il s'agit pour moi du film de Godard qui parle le plus de la vie, qui est le plus ontologique pour reprendre les formules préférées des cinéastes. La vie, la vie, la vie semble crier ce film en pleine guerre.

la critique lisible du film par telerama

la critique du génial bloggeur Shangols

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