samedi 2 janvier 2010

Estant le tems venu ...De Louise Labbé à Lucie Aubrac

Estant le tems venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n’empeschent plus les femmes de s’appliquer aux sciences et disciplines: il me semble que celles qui ont la commodité doivent employer cette honneste liberté, que notre sexe a autrefois tant désirée à icelles apprendre, et montrer aux hommes le tort qu’ils nous faisaient en nous privant du bien et de l’honneur qui nous en pouvoit tenir.
En 1555, il y a tout juste quatre cents ans, la Renaissance reconnaissant aux femmes l'âme et l'intelligence, que le Moyen-Âge leur avait toujours refusées, une jeune Lyonnaise, Louise Labbé, écrivait cette phrase en tête d'un recueil de poèmes, le premier qu'une femme faisait paraître.
Estant le tems venu … que le privilège d'apprendre, de savoir, de créer, n'appartient plus seulement aux hommes. Que le privilège d'aimer son pays et la paix, la liberté et la vérité, de se battre pour eux, de mourir pour qu'ils vivent, est une chère conquête de ces dernières années. Que le privilège d'enseigner, de guérir, de défendre, a féminisé les métiers de professeur, de médecin et d'avocat.
Estant le tems venu … que le privilège d'aller un dimanche matin voter pour la liste de son choix, de partager les travaux législatifs de souvent trop vieux messieurs, est un fait acquis, il nous semble, vous dit l'équipe de ce journal, que ceux et celles qui en ont la commodité doivent employer cette honneste liberté à utiliser le mieux du monde ce tems venu. « Privilèges de bas-bleus en mal de maris », diront quelques grognons pour qui le temps ne viendra jamais d'aimer la vie et ses aspects politiques, économiques et sociaux, de comprendre la beauté d'une robe, d'un film ou d'une pièce de théâtre !
Eh bien ! Voilà peut-être notre plus cher privilège, que nous dictait, il y a quelque quatre cent ans, Louise Labbé la Lyonnaise : « Outre la réputacion que notre sexe en recevra, nous aurons valu au public que les hommes mettront plus de peine et d'estude aux sciences vertueuses de peur qu'ils n'ayent honte de se voir précéder celles desquelles ils ont prétendu estre toujours supérieurs quasi en tout.
Estant le tems venu ... »

L'ambition du journal que lance à la Libération Lucie Aubrac est tout entier contenu dans cet éditorial puisant ses références à Louise Labbé d'où l'ancien français dans le texte. La ligne du journal est tracée et ambitieuse comme son écrivaine ...

Ce type de journal, intitulé « Privilèges de femmes », qui ne connaîtra pas le succès, est très éloigné de ce qui se fait aujourd'hui de Biba à Voici ou Marie-Claire ! Hebdomadaire à contre courant des normes en vigueur dans la presse féminine française d'alors selon le jugement sans appel de Laurent Douzou et des lectrices. On a envie d'ajouter : à contre-courant encore aujourd'hui !

Plus encore que féministe, son discours était pour Lucie Aubrac une ambition, une voie tracée : elle n'avait pas le temps d'être féministe, elle ouvrait de nouvelles perspectives, tel un chercheur sur un nouveau chantier ! Elle visait à l'excellence, au journal Le Monde version faite femmes pour se permettre un anachronisme : les articles de ses plus illustres amies et amis traitaient de la politique internationale, du théâtre de la musique des cinéma et littérature ...avec ardeur et ambition. "Privilèges" avait ici le sens connu au XVII ème siècle : "Avoir la puissance et la compétence de ..." , ce qu'elle comptait vaillamment démontrer !

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