dimanche 3 janvier 2010
L'ennemi intime : un film sur la guerre d'Algérie
L'ennemi intime est un film qui me plaît car il aborde la guerre d'Algérie sur le ton qui convient. Il y démontre qu'on y perd ses repères, que l'approche gaucho-centrée tout comme celle de l'Algérie française s'envoyaient dans le mur. Les tortures et les souffrances sont les seules choses qui restent et dévastent les hommes et les femmes et les enfants qui sont amenés à les connaître. En ce sens le film de Siri est lucide.
Ensuite il y montre comment on y perd ses repères quand on est soldat, où se situe la juste frontière quand la stratégie de l'ennemi est une stratégie de faible au fort, d'exactions et qu'on y est soi même confronté. Cette guerre était avant tout une guerre psychologique et Siri l'a bien fait ressentir, à travers ses héros. Les mutilations étaient la marque qui devait affaiblir l'adversaire, d'où les « sourires arabes » ou les corvées de bois aériennes (non montrées dans le film) tout comme le FLN punissait collectivement les villages qui ne soumettaient pas à son emprise.
Même si certains procédés sont parfois plus efficaces que réalistes (ils ont tous fait la guerre de 40 et Monte Cassino dans ce film !), le film rappelle les évidences que tout se mêlait dans ce qui se voulait une guerre civile : au moins une guerre fratricide en tout cas. Les musulmans évoquaient les mêmes prières, qu'ils soient fellaghas ou supplétifs de l'armée française. Certains se combattaient alors qu'ils avaient fait ensemble la campagne d'Italie sous De Lattre...
La question du positionnement de cette guerre par rapport à celle de 1945 est en effet lourdement affirmée, comme elle le fut inconsciemment ou quelques fois explicitement chez les acteurs de l'époque … On en parlait peu mais certains fellaghas comme les usagers de la torture systématisée dans l'armée française avaient été des combattants contre le nazisme et pour la liberté, et se trouvaient confrontés à leur nouveau rôle de tortionnaire.
Cette guerre n'a pas de beau visage, elle salit et souille les âmes et l'esthétisme du film ne le fait pas oublier. Ceux qui dans le film ont déjà fait l'Indochine ont déjà abdiqué cet esprit critique, cet espoir de trouver un chemin qui préserve l'honneur. Eux seuls arrivent au final à tracer leurs routes.
La schyzophrénie évoquée dans certains commentaires s'applique en effet à ce film : aussi bien du côté des Algériens qui combattaient avec les Français que chez ces derniers.
La propagande coloniale des actualités françaises, les termes utilisés (bidons spéciaux, fells, sorties de bois, le guetteur du village dans lèvres ni nez …) sonnent juste : il était facile de ne pas se tromper mais il est tout de même bien de ne pas avoir commis de contresens sur ces points.
La beauté de la Kabylie sert aussi le film et l'intensité des sentiments qui se découvrent dans un tel décor. De si basses besognes dans un si grandiose décor.
Enfin si la remarque de certains critiques dénonce l'absence des fellaghas, cela me semble résulter de cette guerre d'embuscade : l'armée française y est à chaque fois surprise, quelques fois de façon désespérée. Ce n'est pas une guerre où on prend d'assaut mais une guerre de qui-vive, épuisante moralement et nerveusement, aux aguets. En ce sens la guerre d'Algérie évoque toutes les guerres modernes, comme en afghanistan aujourd'hui : emprise sur les populations, guerre de coups, d'usure ...
Au final, Siri a réussi un grand film en réussissant esthétiquement son film mais surtout en lui donnant l'intensité psychologique crédible et émotionnelle … la profondeur des sentiments humains n'y cède en rien à la beauté plastique du film. Avec un Dupontel tonitruant ! Siri a fait un vrai film de guerre en démontrant que ce qui prévalait ce sont les sentiments humains, l'intérieur de chacun d'entre nous face aux atrocités qu'on y assiste ou qu'on les commette
la-guerre-d-algerie-eclate-a-l-ecran : une critique du journal Le Monde
Une autre critique favorable
Les critiques presse sur Allociné
une guerre, non, une opération de maintien de l'ordre ...
Je précise que nombre de critiques sont défavorables et que ce film fut largement sous-estimé notamment par rapport à un film comme Indigènes, plus fédérateur et consensuel il me semble, alors que la guerre d'Algérie divise encore.
On reproche notamment à Siri d'avoir utilisé des ficelles et des raccourcis grossiers : je préfère mentionner qu'il a usé d'archétypes pour figer et faire ressentir des faces-à-faces essentiels : ce compromis me semble respectueux de l'esprit du film.
Enfin je concluerai en reprenant un commentaire de spectateur, qui parle de ce film "qui m'a fait remercier de vivre aujourd'hui". Avoir réussi à faire un grand film de guerre où on ne s'ennuie pas tout en ayant au final cette conclusion, au final salvatrice pour le genre humain, montre que ce film a atteint son objectif et dépassé la dimension esthétique ou uniquement valorisante (les valeureux bons et les très méchants). Il laisse KO comme tout guerre "réelle".
Les 2 "meilleurs" commentaires de spectateurs, trouvés sur internet :
1/On découvre des hommes qui essaient de survivre et tentent de préserver leur intégrité morale dans un univers larvé, dur, physique et extrêment violent.
L'interpénétration de la France et l'Algérie ressort à chaque instant par l'étude du passé de chaque personnage.
C'est un film où il n'y a pas de gentils d'un côté et de méchants de l'autre.
Il est comme le paysage, sauvage et beau.
C'est un choc, on l'attendait depuis longtemps.
ET
2/Voilà un film de guerre francais digne de ce nom, nous sommes devenus aussi forts que les américains avec un budget surement beaucoup moins important et en plus on a le point de vue de tous les protagonistes et non pas seulement d'un coté les bons et de l'autre les méchants !
L'ennemi intime se déroule pendant la guerre d'Algérie, et retrace l'histoire du lieutenant Terrien (Magimel) tres héros à l'américaine qui arrive avec ses principes et se retrouve face à la réalité de la guerre et la guerre c'est sale, c'est même vraiment moche, on torture, on fusille, on s'entretue, ce n'est pas comme dans les livres, et dans la réalité ca vous change un homme à tout jamais.
Face à lui, le sergent Dougnac : Dupontel qui est vraiment un tres bon acteur et qui lui a perdu ses illusions depuis bien longtemps.
On va donc suivre les missions de ces deux soldats, et l'évolution de leur caractère et il ne faut pas se fier aux apparences.
Un film dur car il retrace une période difficile de notre histoire, tout le monde est perdant dans cette guerre. Un film aussi qui vous prend aux tripes avec des séquences de bataille ou de torture assez réalistes. Heureusement entrecoupée par de beaux paysages, et quelques bons moments de relations humaines.
C'est un bon film historique qui m'a fait remercier de vivre aujourd'hui ou je n'ai pas eu besoin de faire de guerre. Rien que pour ca cela valait le coup mais en plus Dupontel est exceptionnel. Et en plus c'est un film francais, bravo.
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"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."
Hölderlin, Hyperion
"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
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Portishead
"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"
Marguerite Duras
Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier
Miossec, le chien mouillé (en silence)
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Hölderlin, Hyperion
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Les crimes ont été escamotés
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Où ils peuvent oublier"
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