lundi 17 août 2009

Rensi ou la philosophie de l'absurde

La philosophie de l'absurde est le titre d'un livre que Rensi réédita en 1937, corrigé et augmenté et qui avait paru pour la première fois en 1924 sous le titre plus autobiographique de Interiora Rerum.

Si J'aime ce livre, c'est que Rensi a une vraie réflexion sur les sentiments humains, l'histoire en partant des contraditions qu'il assume au lieu de les relativiser comme les deux faces d'une même médaille. C'est aussi un penseur libre qui s'est abstrait des systèmes philosophiques en vigueur pour “penser par lui-même”. Et si son pessimisme est évident, j'ai envie de dire qu'il n'est pas l'essentiel. Condamné à n'être qu'une théorie minoritaire – ne recherche-t-il pas d'ailleurs autre chose que ses semblables à travers la parution de ses ouvrages – il ne se départit jamais de son humour (cf. Plus bas la phrase lors de son arrestation) à l'image des romans de Dostoïesvki où on ne rit jamais autant que lorsque cela est tragique. Surtout je crois à sa thèse, notamment à la conception de l'histoire (qui rejoint celle de l'histoire-chaos développée par Walter Benjamin au moment de 1940. Quelle gageure d'avoir fait de l'absurde le principe de connaissance philosophique et de réhabiliter les vaincus de l'histoire ...dont la thèse n'était pas plus faible du fait qu'ils ont été vaincus. Gageure réussie brillamment. Un vrai plaisir intellectuel à le lire...

Voici quelques extraits épars pour vous aider à mieux le comprendre ...

Rensi s'appuie comme les sceptiques de l'antiquité sur l'argument tiré des contradictions humaines et dans tous ses livres dresse l'une contre l'autre des thèses également soutenues par des esprits de bonne foi. Il le fait avec une érudition qui rend ses oeuvres touffues, avec une vivacité de polémique qui rappelle sa carrière d'avocat et de journaliste. Le plaisir qu'on prend à leur lecture a pour contre-partie la peine qu'on a à les résumer. Et même l'on peut craindre que cette prétention ne les défigure. Quoi qu'il en soit, et pour faire bref, on peut dire que Rensi soutient contre Hegel et les néo-hêgéliens que tout ce qui est réel est irrationnel et que les causes perdues avaient autant le droit de leur côté que les causes gagnées.

La justesse du point de vue développée ici ne peut être perçue par les vainqueurs. Ce n'est pas aux vainqueurs mais aux vaincus, aux seuls adeptes de toute idée au moment même où elle est vaincue que la justesse de la conception que je veux illustrer peut se dévoiler. C'est lorsque l'homme voit que son idée s'effondre et que triomphe l'idée contraire à ses plus profondes convictions (l'absurde donc), que le voile de Maya se déchire et met à nu l'irrationnalité du monde. Ce n'est pas lorsque les Hébreux tenaient tête aux légions de Titus depuis les hauteurs du temple de Jérusalem, sûrs que Yaveh leur donnerait la victoire, mais lorsqu'ils virent les flammes qui dévoraient le temple qu'ils purent voir la vérité.

S'élever au niveau de compréhension de tel ou tel des systèmes qui font rage de nos jours, dans lesquels tout est expliqué et ordonné de manière satisfaisante, comme le sait pertinemment celui qui a atteint un tel niveau. Quoi qu'il en soit, il est bien évident qu'il suffit de peu de temps pour qu'un évènement succédant à l'autre, porteur d'une expérience plus enrichissante et plus mûrie, ouvre finalement les yeux de celui qui juge aujourd'hui, comme soudainement éclairé : mais regarde un peu ! qui l'eût crû ? [...] C'est le processus par lequel nous passons tous …

Une philosophie négative ne devient jamais officielle, ne fait jamais autorité, ne s'intègre jamais dans le cadre ou dans les séries des doctrines acceptées, celles dont la parole a du poids, exerçant aussi son influence dans les domaines littéraire, politique et social, suscitant des disciples, des commentateurs, des représentants, des praticiens ? Ne sais jepas que cette moisson ne profite qu aux philosophies du oui qui justifient (au moins en dernier recours) les choses, le monde, la vie ? Ne sais-je pas que le seul fait qu'une philosophie contienne telle ou telle justification des choses, donne aux hommes le courage de l'enseigner, tandis que nier une telle justification confère à telle autre un caractère de reproche ou d'impossibilité ? Ne sais-je pas encore, qu'appuyant sa réputation sur une coutume aveugle d'admiration passant aveuglément d'une génération à l'autre, seul celui qui a été suffisamment malin pour s'assurer les applaudissements de ses contemporains peut, selon toute probabilité, compter sur ceux de la postérité, tandis qu'au contraire, celui qui a provoqué le mécontentement, l'antipathie, la colère violente et tonitruante des intrigants, des arrogants, des influents de son siècle, peut être assuré que leurs dénigrements tapageurs joueront en sa défaveur et entacheront d'ombre jusqu'à son nom pour l'avenir? Bref, que la justice de l'histoire n'est qu'illusion

Je ne veux pas cacher, toutefois, qu'il se pourrait que d'autres expériences qu'il m'a été donné de vivre dans le domaine de la pensée politique et sociale aient contribué à former en moi cette conception non rationaliste et pessimiste. Comme tout le monde ou presque, j'ai changé d'idées mais à la seule différence, significative, que la plupart ont changé de façon à se trouver du côté de la cause triomphante et que, pour ma part, j'ai changé au prix même de me trouver du côté de la cause toujours vaincue ; ainsi se trouve-t-il que dans ce domaine j'ai toujours vu triompher l'absurde (en tant qu'il est ce qui contrarie nos idées).

Pour m'excuser de présenter un livre qui pour ne contenir ni déclamations ni dithyrambes, ni lyrisme, pour n'être ni joyeux, ni bruyant, ni drôle est ainsi unzeitgemass (intempestif), je voudrais formuler à mon tour mon petit “et pourtant il tourne”. Je ne tire aucun plaisir du déplaisir causé à mes semblables, aucun plaisir à les heurter, les importuner ou les mécontenter ; je voudrais pouvoir énoncer des vérités qui pussent les rendre heureux et sereins et qui convinssent à leur esprit. Mais hélas les choses sont elles que je les décris.

En réalité un petit nombre de personnes sensées le percevront comme la véritable réflexion philosophique de l'époque, comme notre époque même transcrite directement en langage philosophique. Et lorsqu'on considérera que les pensées contenues dans ce livre furent énoncées par moi dès 1924 dans un volume intitulé Interiora Rerum, et combien d'affirmations philosophiques, de pessimisme et d'irrationalité notre époque a suscitées dans les autres pays depuis, on conviendra peut-être que j'ai été en cela un précurseur, un des premiers qui ait su se faire la voix philosophique de l'époque, et il s'en faut de peu pour que je dise, en voyant à quel point, depuis lors, les faits m'ont donné raison et continuent de me donner raison que je suis quasiment un prophète.

Je considère l'impression de mes pensées – la publication de mes livres – uniquement comme leur belle copie, dans laquelle j'ai plaisir à les voir transcrites. Je suis satisfait qu'elles me satisfassent, parce qu'elles sont l'expression de ce que je pense, et heureux même si au delà de tout ce que je peux attendre, elles suscitent tout au plus un simple signe amical en quelque esprit rare, proche ou lointain, qui se trouve être dans la même tonalité que moi.

En 1930, Rensi fut lui aussi arrêté avec sa femme. Convaincu qu'il ne réchapperait pas de son incarcération, il écrivit à sa fille que son pessimisme n'avait rien donc d'excessif mais n'était que le signe amer de la grande justesse de ses prédictions”. Il ne dut sa libération qu'à la publication, par ses filles et quelques uns de ses amis d'un faux faire part de décès dont la presse étrangère se fit largement l'écho. Mussolini, jouissant encore à cette époque d'une bonne réputation internationale, préfèra faire libérer ce prisonnier par trop voyant. Rensi fut alors définitivement interdit d'enseignement et vécut comme un exilé dans son propre pays jusqu'à sa mort en 1941.
Ernesto Rossi, autre opposant libéral au régime déclarera en 1938, après huit années passées en prison que la philosophie de Rensi était la seule capable de “comprendre l'absurde et horrible condition historique”.

Vous réentendrez parler de Rensi sur ce blog, pour détailler sa démarche notamment sur la contradiction et l'histoire.

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