lundi 12 janvier 2009
Emil Nolde et l'Heimat (la patrie)
Emil Nolde est l’un des peintres précurseurs de l’expressionnisme allemand, mais reste avant tout inclassable.
Ici est notre place : par ces phrases qui leur font choisir l’emplacement de leur maison à bâtir, Emil et Ada Nolde indiquent leur attachement à l’Heimat, la patrie comprise au sens du sol, des paysages de ferme et d’étendues, de la mer du Nord omniprésente dans ce sud du Danemark et nord du Schleswig-Holstein allemand.
Son onirisme sans limites le conduit à porter une expression artistique propre, difficile à rattacher à des courants, d’autant qu’il s’opposera à toute tentative d’affiliation.
Onirisme qui l’amène à décrire des scènes sorties toutes droites de son imagination, à les peindre sans la retenue d’une théorie ou d’une pudeur.
Même dans ses œuvres tardives et à cause de la censure allemande, il fait appel à son monde intérieur, le liquéfie dans les paysages environnants pour nous laisser ces aquarelles.
Ada Vilstrup a cru en cet homme, lui a fait le sacrifice de sa position sociale, de sa santé et leurs longues séparations n’ont pas altéré la force d’un amour qui se trouve aujourd’hui symbolisé et inscrit dans la fondation de Seebüll.
Il a d’abord vécu malheureux et autonome et seul de n’avoir pas su faire partager son talent, la force de son innovation, qui restait trop esseulée dans la peinture de son époque, d’où des accusations qui le meurtrirent de lumière trop artificielle…
Il passera par différents cycles mais tous le ramèneront sur ses scènes de prédilection : les jardins en fleur, les tournesols, la vue de la mer, les étendues, les animaux que longtemps il préfèrera aux êtres humains.
Ils ont construit leur bonheur quasi en dehors de la société, se suffisant à eux deux pour nourrir leur bonheur dans ces fermes où Ada contribuera à faire pousser des fleurs dans ces jardins hostiles à la végétation jusqu’alors.
Ils passent certes leurs hivers à Berlin mais n’y croquent que les vices et les moyens de s’épancher aux heures de la nuit, en vue de retranscrire une ambiance, un devenir.
Une autre phase doit être indiquée durant la maladie de sa femme, ce qui la conduira à ne plus vraiment le reconnaître lors de ses retours au foyer entre les séjours au sanatorium, celle de la peinture religieuse où l’intériorité de ses sentiments fit encore merveille, comme un fou de dieu se servirait de son pinceau. Cet engagement intime qui l’amènera à dire qu’il ne peut parler de sa peinture est un leitmotiv de son inspiration.
Un des premiers tableaux qu’il arrivera à vendre sera le portrait de sa femme lisant au Printemps.
Toute la carrière de Nolde ne sera pas d’une traite une réussite et une tâche subsiste : celle de son attachement au national-socialisme, même s’il pressentait que dans l’art, les choses n’iraient pas si simplement pour son art.
Cet engouement tenait pour une part à son attachement à la terre alors que la région était depuis la fin de la première guerre mondiale divisée entre la partie danoise et celle allemande. Lui-même avait pris la nationalité de sa femme. Mais son national-socialisme ne trouvait pas de fondement uniquement dans la question des frontières mais aussi sur le terrain d’un nationalisme qui souhaitait refouler les influences étrangères.
Son manque de chance le poursuivit, car désormais connu, à partir des années 30 et malgré le soutien officieux de Goebbels, les nazis allèrent le considérer comme un artiste dégénéré. Il sera interdit de peindre à partir de 1941 et mis en résidence surveillée sous la surveillance de la Gestapo : débute la période des « images non peintes », où son imaginaire relié aux paysages qu’il se remémore intérieurement et des bouts de papier à l’aquarelle allaient nourrir son activité de peintre, et le rendre encore plus célèbre.
Nous pourrions multiplier encore les lignes directrices de lecture : l’influence de Van Gogh quand bien même il ne lui vouera pas une admiration qui serait devenue destructrice de sa propre œuvre, le musée Folkwang, musée privé accessible au public à Hagen puis Essen, qui initie un nouveau de type de musée moderne avant l’heure et constitue une source de respiration, un endroit pour ces peintres iconoclastes. Nolde dont le nom signifie le lieu paternel de son enfance, est particulièrement représenté dans ces collections. Osthaus qui l’a conçu est d’ailleurs le premier acheteur de Nolde (Cf plus haut) : un autre précurseur qui allait arracher des larmes de bonheur au couple ainsi enfin reconnu.
Néanmoins Essen et Hagen ne sont pas des villes avant-gardistes en leur ensemble et le jugement populaire sur ses œuvres reste empreint de réserves, de prudence.
Particulièrement les tableaux religieux au moment de leur parution ont suscité des réactions effarées de la société évoluée de l’époque.
Ne se mesurant pas à l’aulne de la conformité, Nolde n’hésitera pas à faire avec sa femme un voyage jusqu’au pacifique sud, jusqu’en nouvelle-guinée allemande en passant par la Sibérie et en revenant par l’Inde. Alors qu’ils sont pauvres et engagent ainsi leurs faibles économies, sans espoir d’enrichissement mais pour connaître ses contrées lointaines. Il découvre un primitivisme auquel il se rattache bien par son absence d’influences, préparé par ses longues heures passé seul dans une cabane en bois face à la mer baltique, peignant le paysage à travers la lucarne laissée par la palissade en bois, sans chevalet et parfois avec les mains ou un bout de carton, celui qui n’avait pas assez de peinture pour peindre. Et avec peu à manger. Il était préparé.
Il aura une phrase subtile et des plus critiques sur le colonialisme : Car Nolde ressent la contradiction de sa quête quand il y découvre l’européanisation et la trace de l’homme blanc.
Celui-là même qui installerait Seebüll à 300 mètres de la maison de ses parents a donc ainsi laissé tout derrière lui pour un voyage de deux à trois ans.
Un homme ce sont aussi parfois ses contradictions qui font son ossature. Le fait de les assumer. Enraciné mais pas fermé, resté ouvert au monde. Les postures des aborigènes rencontrées sont magnifiquement transcrites, donnent un ressenti
Pour aller plus loin :
Le lien vers le site de l'exposition : Mieux connaître Emil Nolde (comme cela se fait heureusement de plus en plus), très richement documenté, notamment sur la biographie de Nolde.
La meilleure retranscription de l'exposition dans la presse, avec force de traits remarquables et de nombreuses peintures qui en sont issues, si saisissantes, notamment la mise au tombeau du Christ.
La tribune de l'art
Un blog qui se consacre à l'exposition
Un forum où vous pourrez apprendre de façon complémentaire des informations sur le mouvement d'art moderne allemand die Brücke, sur la période des images non peintes, avec de belles photos et cette phrase qui l'éloignait de la ville :
"Ici à Berlin, c’est une misère. Les hommes ont à peine l’envie de se pencher sur mon art, il leur est tellement inhabituel et incommode. Mais – je serre le poing dans la poche de mon pantalon, cela viendra un jour ; seulement voilà, quand ?"
Forum sur Nolde
Un autre lien vers les images non peintes
Le site de la fondation Emil et Ada Nolde, avec notamment une belle photo de l'artiste
Un lien vers de magnifiques photos de cet endroit si spécial tout au nord de l'Allemagne et au sud du Danemark, langue de terre entre deux mers, la Baltique et la mer du Nord. Il a su rendre l'atmosphère des lieux à travers ses photos :
Emil Nolde, Seebüll...
Pour connaître un peu mieux le Schleswig-Holstein, la terre de Nolde.
Un très bon article en langue anglaise, sur l'expressionnisme allemand, même si j'aime à dire que Nolde était trop inclassable pour se rattacher de manière sûre à un profil.
Expressionism
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"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."
Hölderlin, Hyperion
"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"
Portishead
"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"
Marguerite Duras
Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier
Miossec, le chien mouillé (en silence)
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."
Hölderlin, Hyperion
"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"
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