jeudi 21 février 2008

La généalogie de la morale

L'homme noble est plein de confiance et de franchise envers lui-même (« noble de naissance »souligne la nuance de franchise et peut-être celle de naïveté), l'homme du ressentiment n'est ni franc, ni naïf, ni honnête et sincère envers lui-même. Son âme louche ; son esprit aime les repaires, les détours et les portes dérobées, tout ce qui est dissimulé de nature le touche comme son monde à lui, sa sécurité, son réconfort ; quant à se taire, à ne pas oublier, à patienter, à se faire momentanément petit, à s'humilier, il s'y entend à merveille. Une telle race d'hommes du ressentiment finira nécessairement par être plus circonspecte que n'importe quelle race noble, elle honorera la circonspection dans une tout autre mesure : à savoir comme une condition d'existence de premier ordre, tandis que chez l'homme noble la prudence aurait plutôt le sens d'un luxe, d'un raffinement : elle est bien moins essentielle que le bon fonctionnement des instincts régulateurs inconscients ou même qu'un certain manque de prudence, qui peut s'exprimer dans la témérité en face du danger ou de l'ennemi, ou bien dans ces enthousiasmes soudains de la rage, de l'amour, du respect, de la gratitude et de la vengeance qui ont de tout temps distingué les âmes nobles. Car même le ressentiment, quand il se rencontre chez l'homme noble, se manifeste et s'épuise en une réaction instantanée si bien qu'il n'empoisonne pas : deplus, en d'innombrables circonstances où il serait inévitable chez les hommes faibles et impuissants, il n'apparaît même pas. Ne pouvoir prendre longtemps au sérieux ni ses ennemis, ni ses échecs, ni même ses propres méfaits – voilà le signe des natures fortes et accomplies auxquelles une surabondance de force plastique permet de se régénérer, de guérir et même d'oublier (dans le monde moderne, Mirabeau en est un bon exemple, lui qui n'avait pas la mémoire des insultes et des infamies dirigées contre lui, et qui ne pouvait pardonner, pour la simple raison qu'il – oubliait). Un tel homme se débarasse d'un seul coup de beaucoup de vermine qui chez d'autres s'incrusterait ; le véritable « amour de ses ennemis » n'est possible qu'ici, à supposer qu'il le soit sur terre. Combien profond est le respect que porte à ses ennemis l'homme noble ! - et un tel respect est déjà un pont vers l'amour ...L'homme noble exige que son ennemi lui soit comme une distinction, il ne supporte pas d'autre ennemi que celui chez qui il n'y a rien à mépriser et beaucoup à vénérer ! Que l'on se représente au contraire « l'ennemi »tel que le conçoit l'homme du ressentiment, et nous tenons là son exploit à lui, sa création : il a conçu « l'ennemi méchant », « le méchant » comme principe, à partir duquel il imagine par imitation et comme antithèse un « bon » - lui-même ! ...

Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale


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"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."

Hölderlin, Hyperion



"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"

Portishead



"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"

Marguerite Duras



Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier

Miossec, le chien mouillé (en silence)