samedi 12 avril 2008

L'individu rationnel et la Nature (1)

Ceci est le premier de trois messages consacrés à la question du rapport de l'homme avec la Nature depuis le XVI ème siècle !!!

Ces reflexions sont issues intégralement de l'ouvrage de JF Cobast, Leçons particulières de culture générale, leçons 5 à 8.

I. La Révolution du sujet et la laïcisation de la Nature concourent à l'avènement de la modernité qui rend l'individu responsable de sa destinée

1.La Révolution du sujet :
La science émancipe l'homme de la religion : l'homme découvre en lui-même comme en chacun de ses semblables la source de toute mesure : plus besoin de référent extérieur.

Auguste Comte pendant 15 ans s'efforça de dispenser gratuitement dans les locaux de la mairie du 3ème arrondissement de Paris un cours d'astronomie. Il attribuait à l'étude de cette science une valeur pédagogique considérable : « L'astronomie est jusqu'ici la seule branche de la philosophie naturelle dans laquelle l'esprit humain se soit enfin rigoureusement affranchi de toute influence théologique ». En effet, expliquer rationnellement les mouvements des planètes c'est à coup sûr expulser définitivement les dieux de leur logis, le ciel. Epicure ne dit pas autrement lorsqu'il entreprit de comprendre la météorologie. L'astronomie est en première ligne dans le combat qui oppose la science à la religion. Le premier véritable conflit éclate avec la publication des thèses d'un moine polonais Copernic qui contrairement à la thèse conforme à l'observation des sens et aux textes religieux qui font de l'homme le reflet du créateur, démontre par le calcul qu'une telle représentation n'est pas possible : la terre est mobile, elle tourne autour du soleil. La réaction des autorités religieuses est violente : outre le constat impossible que les Ecritures se trompent, le mouvement de la terre laisse l'homme devant un chaos que tous les bouleversements politiques et religieux du XVI ème siècle confirment. Décrocher la planète terre du point central, c'est retirer une certitude qui accorde à l'humanité une position dominante dans l'univers. Se découvrir sur un satellite en mouvement, l'essor de la science, les guerres de religion et le schisme qui les a provoquées ont ébranlé toutes les certitudes au XVI ème siècle : les hommes découvrent la relativité des jugements et l'instabilité des valeurs. Une esthétique nouvelle témoigne de cette nouvelle représentation du monde, le baroque. Le vertige baroque témoigne avec l'utilisation du trompe-l-oeil une manifestation de l'angoisse des hommes qui ne semblent plus savoir où prendre appui. Et bientôt on va apprendre avec Descartes que le sensible est un leurre ! Le critique Eugenio d'Orsa caractérise ainsi le baroque : « partout où nous trouvons réunies dans un seul geste plusieurs intentions contradictoires, le résultat stylistique appartient à la catégorie du baroque. L'esprit baroque ne sait pas ce qu'il veut. Il veut en même temps le pour et le contre ». La découverte de Copernic est si menaçante que les ouvrages qui enseigneront que la terre tourne autour du soleil resteront à l'index jusqu'en 1835.

Galilée, professeur de l'université de Pise, ne laissera pas aux théologiens le loisir de faire de la découverte de Copernic une vue de l'esprit. Grâce à la lunette télescopique, il observe ce que le moine avait seulement déduit. Contrairement à notre expérience immédiate, sensible, la terre tourne bien autour du soleil. « Nos sens ne sont pas ajustés à l'univers » écrit H.Arendt à propos de la découverte de l'héliocentrisme. Nous sommes donc fondés à douter de nos sens. La perception sensible n'est plus fiable pour établir une connaissance du monde qui nous entoure. « La Nature c'est ce qui se voit » affirmait Aristote dans la Physique. Le doute hyperbolique de Descartes puise ses fondements dans cette défiance à l'égard du sensible. Grâce au doute et grâce à Galilée, l'homme prend conscience du pouvoir de sa pensée, la seule chose dont il ne peut pas douter. Grâce au seul usage de la réflexion il a pu établir ce que les sens réfutaient. Avec Galilée et Descartes, l'humanité apprend qu'elle détient un pouvoir quasiment divin, celui de rendre le sensible intelligible. La science part alors à la conquête de la nature et du monde, elle va formuler en équations mathématiques la raison des choses et faire de l'homme ce qui donne le sens. Comme maître et possesseur de la nature.  « Comme » car Descartes comme Newton et d'autres est religieux : la Nature reste supérieure à l'homme et l'homme n'est pas Dieu : il ne saurait se substituer au Créateur et disposer de la Nature comme un Souverain.

La confirmation de l'héliocentrisme inaugure une ère du soupçon et l'âge de la conquête scientifique. H.Arendt souligne dans la « Crise de la Culture » que la science n'a pu prendre son essor qu'en rappelant le rôle fondateur tenu par Descartes : « Descartes devint le père de la philosophie moderne parce qu'il généralisa l'expérience de la génération précédente aussi bien que la sienne, la développa en une nouvelle méthode de pensée, et devient ainsi le premier penseur complètement formé à cette école du soupçon qui selon Nietzsche constitue la philosophie moderne. Le soupçon à l'égard des sens est resté le coeur de l'orgueil scientifique jusqu'à ce qu'il devienne de nos jours une source de malaise ».

Ces penseurs ne font que rejoindre une tradition ancienne, celle de Platon, en l'appliquant aux sciences : celui-ci avait déjà démontré via l'allégorie de la Caverne dans la « République » que les hommes prisonniers de la Caverne, le visage tourné vers la paroi, ne perçoivent pour seule réalité que des simulacres :

« Figure toi des hommes dans une demeure souterraine en forme de caverne, dont l'entrée, ouverte à la lumière, s'étend sur toute la longueur de la façade : ils sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou pris dans des chaînes, en sorte qu'ils ne peuvent bouger de place, ni voir ailleurs que devant eux ; car les liens les empêchent de tourner la tête ; la lumière d'un feu allumé au loin sur une hauteur brille derrière eux ; entre le feu et les prisonniers il y a une route élevée ; le long de cette route figure toi un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent entre eux et le public et au-dessu desquelles ils font voir leurs prestiges ».

Il faudra qu'un des prisonniers se libère et qu'il suive le chemin difficile qui conduit à l'air libre où brille le soleil de la vérité. Là il découvre les choses telles qu'elles sont et non l'ombre projetée de leurs formes simulées. La contemplation achevée, l'homme doit retourner dans la caverne au péril de sa vie, car les autres prisonniers tiennent à leurs chaînes et peuvent se défendre contre celui qui voudrait les en défaire pour dévoiler la vérité, rendre le sensible intelligible, ce qui est bien l'intention de Platon lorsqu'il utilise cette allégorie : « Il faut assimiler le monde visible au séjour de la prison, et la lumière du feu dont elle est éclairée à l'effet du soleil ; quant à la montée dans le monde supérieur et la contemplation de ses merveilles, vois y la montée de l'âme dans le monde intelligible ... ».

La Révolution du sujet, son autonomisation vis à vis de la Religion et sa capacité à désormais tenir le gouvernail, s'accompagne de la consécration de l'intelligible sur le sensible, triomphe dont bénéficie la science qui ne cesse plus de progresser. L'esprit paraît s'être affranchi de la matière ...

2.La Laïcisation de la Nature :
La seconde conséquence de la Révolution copernicienne, après le sujet, est que la Nature se trouve laïcisée : sa prise en compte ne nécessite plus de recourir à des explications finales transcendantes.

Il est désormais inutile de faire appel à un Dieu pour expliquer l'univers. Cela n'est possible que grâce aux découvertes de la physique et de la chimie et à leur vulgarisation (Cf. Voltaire). L'influence de Newton est grande au début du XVIII siècle : elle ne conduit pas à remettre en cause l'existence de Dieu mais à considérer la divinité moins comme un créateur que comme un législateur : « C'est de Newton que le XVIII siècle reçoit cette piété d'un caractère si particulier, dans laquelle Dieu apparaissait essentiellement comme le législateur qui avait d'abord créé le monde, puis fixé des règles qui déterminaient tous les évènements futurs, sans nécessiter son intervention personnelle ». B.Russell, Science et Religion. Les conséquences sont néanmoins redoutables pour l'Eglise. En effet, Newton réduit le surnaturel à un principe, c'est à dire un commencement. C'est l'origine du monde qui est un mystère, pas le monde lui-même qui obéit ensuite à des lois que la raison humaine est capable de découvrir. C'est contester la notion même de miracle.


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