Comment se fait il que, dès le départ dans la Résistance, certains aient eu des fonctions de dirigeants pendant que d’autres acceptaient d’obéir et risquaient leur peau, alors que ceux qui leur donnaient des ordres ne tenaient leur titre de commandement d’aucune institution ?
Dans l’amitié, tout est commun, tout est égal, mais on n’est pas l’égal de n’importe qui. Les gens qu’on a choisis, ceux avec lesquels on a des affinités sont ceux qui vous inspirent une confiance totale. Dans la Résistance, certains m’ont tout de suite donné le sentiment qu’avec eux on pouvait y aller.
Le problème est celui du fonctionnement de l’autorité en l’absence de toute institution. Je crois que, si certains ont pu jouer un role de direction et tenir tous les fils en main, c’est parce que les noyaux fondateurs du mouvement étaient constitués d’amis, qui faisaient partie d’un même corps et pensaient de la même façon sur toute une série de plans. Ces groupes d’amis avaient le sentiment d’être les égaux de leurs dirigeants et pouvaient ainsi accepter de les voir jouer ce rôle. Mais peut-être aussi ceux qui occupaient cette position ne pouvaient ils la penser qu’en considérant les autres comme leurs égaux. Le problème est là : accepter d’avoir à la fois une position de dirigeant et des rapports d’égalité.
L’amitié a aussi ceci de particulier qu’elle nous change. Avant-guerre, j’avais mes groupes d’amis qui pensaient comme moi. Pendant la guerre je me suis trouvé proche de gens qui étaient des militants catholiques ou même qui avaient été membres de l’Action française (extrême droite de l’époque). Le fait d’avoir pris ensemble, avec passion, des risques très grands m’a conduit à ne plus les voir de la même façon, et moi, je ne suis plus exactement le même depuis.
On peut couper le tissu pour être fidèle à soi-même (ce qui est assez rare : par exemple rompre avec le parti communiste pour JP Vernant quand il a vu où allait le régime soviétique), mais il y a des gens qui, eux, éprouvent le besoin de rompre, de couper ce tissu de l’amitié régulièrement, pour conserver leur unité.
Certains dans la structure de leur personnalité sont des gens de la discontinuité : ils ont besoin régulièrement de reconstruire ; d’autres, lorsqu’ils évoluent, éprouvent au contraire continuellement le besoin de renouer les fils de leur propre tissu : ils coupent rarement le tissu.
Quand je faisais des cours de philosophie au lycée de Toulouse et que je parlais de la mémoire, en expliquant aux élèves que c’était une fabrication de soi, je leur disais, je crois, quelque chose de ce genre : « vous comprenez, au fur et à mesure qu’on avance, on a besoin, pour savoir qui on est, d’avoir un passé coordonné. Cette construction d’un passé coordonné se fait par la refonte de son propre passé. C’est comme une dame qui s’avance avec une grande traîne ; quand elle change brusquement de direction, d’un petit coup de pied, elle remet la traîne derrière elle. C’est ce que nous faisons, nous aussi ».
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"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."
Hölderlin, Hyperion
"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"
Portishead
"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"
Marguerite Duras
Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier
Miossec, le chien mouillé (en silence)
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