samedi 12 janvier 2008

Jankélévitch et la morale

La morale est un paradoxe. Un vertueux qui se sait vertueux n’est plus dans la vertu. Il appartient à l’orgueil. De fait pour être moral, il faut ne pas savoir qu’on l’est. Ce qui est désespérant convient Vladimir Jankélévitch. Ce qui cependant, approfondit encore la morale. En fait, il faut pour que la morale demeure morale, quelque chose de plus que celle-ci, qu’il importe de découvrir, et que l’on découvre parfois, dans certains moments de l’existence qui sont des moments de grâce : l’amour : aime et fais ce que tu veux disait Saint – Augustin, mais aussi la joie, le bonheur et certaines formes d’innocence comme le montre Jankélévitch dans l’extrait suivant :
« Je n’étais sincère qu’à condition de ne pas prétendre l’être ; à condition de ne pas le savoir ; sinon je m’établis à l’enseigne de la sincérité : je tombe dans le sincérisme professionnel, de la pureté dans le purisme. C’est dire que la pureté existe seulement dans les distractions brévissimes de l’innocence :
« Ecoutez cette merveilleuse musique… Le pianiste qui l’interprète a sans doute du génie ; mais surtout ne le dites pas, même à voix basse. Surtout qu’il n’en sache rien. La conscience qu’il prendrait de son propre génie aurait vite fait de détruire ce don infiniment fragile, infiniment précieux, et de transformer le génie en pantin. Une seule indiscrétion et il est déjà trop tard ; la rumeur enthousiaste et flatteuse est parvenue jusqu’aux oreilles géniales du génie, le miroir lui a renvoyé sa propre image, la complaisance l’a capturé dans ses filets ; le grandissime pianiste sait maintenant ce qu’on dit de lui. Ce n’est plus un pianiste, c’est un pitre, un polichinelle déguisé en pianiste : ses ralentis, ses jeux de bras sont devenus intolérables…Et pourtant, n’ai je pas une conscience pour prendre conscience ? Ce qui est ici en question, ce n’est ni un péché, ni une étourderie. La détérioration de l’innocence est impliquée dans l’exercice même de cette conscience sans laquelle l’homme ne serait pas un homme. »
On peut faire deux reproches à Jankelevitch (auxquels il a facilement répondu) :
le premier : s’il faut pour être vraiment moral, ou être amoureux, dans la joie ou innocent, comment fait on si on est dans aucun de ces cas-là, ce qui est tout de même assez fréquent. Jankélévitch répond que nous avons à l’intérieur de nous une bonne conscience et une mauvaise conscience. Pour lui, il nous faut toujours donner mauvaise conscience à la bonne conscience, sinon nous risquons la complaisance envers nous même. Nous avons deux aiguillons et la mauvaise conscience est le plus important. Nous avons naturellement tendance à penser que nous sommes moraux, à avoir bonne conscience : il faut toujours que la mauvaise conscience soit là en nous attentive pour nous remettre en cause. Cela est d’autant plus nécessaire que la morale est sans provision : ce n’est pas parce que j’ai bien agi hier que je serais bon demain. Il faut toujours se remettre en cause, et pour cela, avoir bonne conscience, penser que l’on fait toujours bien est un piège. Donc en temps normal toujours écouter cette petite voix en soi, qui nous dit : tu n’es pas si bon que ça et qui en fait veut notre bien ! ! !
S’il est vrai que tout est plus facile quand on est dans la joie, amoureux ou innocent, ces situations peuvent aussi contenir des pièges : par exemple, il n’est pas sûr que la jalousie, forme exacerbée de l’amour soit très bonne conseillère morale ! !
Jankélévitch est un des seuls philosophes qui s’est intéressé aux sentiments qui touchent la vie des gens : l’amour, la joie, la douleur, et ce qui fait le sel de la vie (le « presque rien » qui fait toute la différence), etc.. Ce qui fait que vous devriez en réentendre parler sur ce blog…


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