2 septembre
Aujourd'hui la chance a commencé la journée en me souriant. Alors qu'à travers les rideaux une vision grise assombrissait la chambre, je m'efforçai péniblement de sortir de mes deux nuits courtes. J'avais du mal à accélérer le pas et je ne serai pas avant 9 h à l'embarcadère des hydroglisseurs pour Kiji. A 8 h 30, une première bonne nouvelle, à travers la vitre du couloir, une journée claire s'annonce. Décidément, ma chambre a une mauvaise vue ! Dans la rue je commence par changer mes billets en euros et j'ai même compris ce que m'a dit la personne de la banque. De nouveau dehors je me dirige vers le bas de la rue Sverdlova pour rejoindre les quais, qu'il me faut ensuite longer au bord du lac Onega. Arrivé dans la salle de la gare maritime, il me faut des explications en anglais car je ne suis pas assez doué. Et pour cause, apparemment fini les hydroglisseurs faute d'avoir assez de monde début septembre. Or le prochain bateau part à 9 H 30. Billet en poche à 9 h 07, je m'embarque sur un rafiot, utilisons l'expression. Les peintures et l'intérieur, sans parler des sièges sont à l'avenant. Mes parents ne m'auraient pas laissé monter à bord. Mais je veux voir Kiji. Point rassurant : le bateau fait ronronner son moteur à quai, histoire de chauffer la mécanique. Je suis le seul touriste et doit décliner l'invitation à la conversation d'une Russe d'une cinquantaine d'années. Mon russe est véritablement trop sommaire en compréhension comme en expression. Nous sommes peu à bord jusqu'à 3 minutes du départ, moment où fait irruption un groupe de touristes. Nous voici au complet, eux aussi sont russes. Et la traversée, 65 kms, du lac Onega aux 1 600 îles doit prendre 3 h 15. Le temps sur l'île Kizhi sera limité au regard du retour précoce. Je vois mal l'engin rentrer de nuit et suis somme toute content, car c'est le seul moyen de visiter. En plus je voyage à la russe, impression quelque peu tempérée par la remarque de quelques touristes portant livres anglais sous le bras, qui se sont joints à l'expédition russe. Que faire de 3 heures, quand on n'a pas prévu de lecture, laissée à l'hôtel : l'hydroglisseur ne devait prendre qu'une heure quinze! Et interdit de s'extasier à travers la vitre ou de prendre des photos, vu l'état des carreaux, sales, mais surtout couverts avec le temps de points collés les uns aux autres et qui donnent une vision floue. Quand à s'accouder au bastingage, vu son étroitesse, je ne suis pas preneur. D'autant moins qu'ayant la bonne place au hublot, je suis à l'extrémité d'une rangée de 4 personnes, condamné à l'immobilité sinon à déranger le jeune couple et ma voisine loquace. Du coup, je n'ai pas de mal au vu de ma fatigue de la veille et du décalage horaire à dormir la première heure, puis je me mets à relire mon lonely planet, en me promettant si je déniche un livre en français de l'acheter sur place pour occuper le retour. C'est à ces moments là où les yeux se promènent sur mes compagnons de route que je repère les livres anglais sur les rangs derrière moi. Le groupe de Russes lui badine joyeusement, les quolibets fusent sans que j'en aperçoive le sens. Je me rentre un peu en moi et commence à prendre froid, qui pourtant ne semble pas perturber mes voisins. J'ai des vêtements chauds dans mon sac que je mettrais à l'arrivée. Les berges défilent lentement et peu distinctement à travers les carreaux. Tantôt les îles les rapprochent à 50 mètres de droite et de gauche, tantôt l'isolement est tel que seule cette mer intérieure nous entoure. Un léger mal de mer prendra certains membres, et au bout de deux heures, le groupe russe se voit attribuer une collation. Pour ma part, je n'ai pas préparé mes sandwiches, donc je ne veux pas tout déballer. Des datchas se présentent de temps en temps au milieu des îles, et je les comprends bien ces Russes qui profitent comme les Scandinaves de cette nature au calme reposant. En plus, bonne nouvelle, le beau temps à défaut de la chaleur semble installé. Enfin arrivés sur le débarcadère à 12 h 30, l'hydroglisseur qui partait le premier à 11 h ne nous aurait déposé que 15 minutes avant s'il avait existé. J'étais allé plus tôt le matin en espérant un hydroglisseur plus matinal : bien m'en aura pris. Seul bateau accosté ; mes vendeurs ne m'auront donc pas menti. Qui plus est, j'aurais ainsi payé moins cher. L'avantage sur un groupe organisé, c'est que les individuels avancent dans la campagne vers l'enclos paroissial beaucoup plus rapidement. A vrai dire l'Eglise toute en bois, magistrale, nous est apparue lors de l'abordage de l'île, mais maintenant nous fonçons vers elle à 3 ou 4 groupes d'une à deux personnes espacées de 100 mètres. Ma polaire rejoint mes épaules. La vue est magnifique quoique naturelle, simple. Assez rapidement on se rend compte qu'on ne visitera pas l'intérieur. Les photos crépitent chez les intéressés, tellement l'impression domine d'être devant quelque chose d'unique, à défaut d'être impressionnés, vu le caractère naturel en bois qui domine son caractère imposant et massif. Puis rejoints par le groupe, nous nous égayons dans la campagne de l'île (6 kms sur un seul de large), où sont positionnés des fermes, des moulins à vent, etc. en bois, récupérés sur les îles avoisinantes pour en faire ce musée refuge de la vie russe jusqu'au début du siècle. Les quelques éclaireurs à force de se croiser sur les routes boueuses finissent par se repérer mutuellement et hormis un couple de Russes, deux jeunes, les autres sont étrangers, un homme à la quarantaine et un couple parlant anglais dont elle est asiatique. Ces derniers mitraillent autant que moi, d'autant que dans la campagne environnante, l'église de la transfiguration du saint sauveur se dresse majestueuse devant l'île et les autres batiments, ce qui favorise les prises de vue de ces derniers avec l'Eglise en arrière plan, le tout dans la perspective du chemin boueux qui trace une courbe élancée. Après une heure de déambulation où je retrouve mon couple à la jeune fille asiatique en train de se restaurer dans l'herbe, je prends la poudre d'escampette et rejoint les villages habités au nord de l'embarcadère et de l'île, sur les routes fort peu carrossables, chemins aux flaques immenses que les voitures évitent à travers champs. Les Ladas sont bien construites. Je ne suis pas resté plus longtemps car une fois l'Eglise maintes et maintes fois revue dans sa perspective magnifique, les autres batiments s'ils présentent un intérêt servent surtout de cadre à la magnificence de cette Eglise. Alors me voilà parti à la rencontre des villages autochtones qui en septembre tout du moins ont le loisir soulagé de ne plus voir arriver les touristes. Je devine déjà rien qu'au regard du conducteur de la lada que je ne serais pas le bienvenu, sans plus, d'autant que je le sais le village est pauvre et que j'attente à la pudeur et à la fierté. Mais il me faut bien connaître et c'est une partie de la Russie que j'aime, celle qui a oublié d'être propre et civilisée au mauvais sens du terme, mais avec la parabole le plus souvent, aux fenêtres des batiments décrépis. Ceux-ci d'ailleurs, terme erroné, sont en bois et quelle n'est pas ma surprise de retrouver au sein du village, certains batiments habités, notamment par des auberges de jeunes, qui sont les copies exactes des maisons en bois du musée de plein air, ce qui me réjouit, et aussi sur le fait d'être venu là. Sur les hauteurs au dessus du village se dresse une petite église typique, en bois. Je vais m'astreindre à y monter, tout en remarquant un ferry qui accoste en cette période de l'année. Je ne prends que peu de photos du village c'est comme à l'intérieur du bateau : la peur de froisser, la délicatesse à respecter par rapport à ces gens qui comprendraient trop bien ce que je prends en photo. Tant pis, je garderai cela en souvenir malgré que les photos n'auraient pas été prises dans le sens attendu. M'attaquant à la côte je croise un autochtone en treillis, le deuxième en fait après le village où il y avait aussi plusieurs militaires. Puis aux abords de l'Eglise je retrouve mon jeune couple de Russes et mon homme seul à la quarantaine. Ne manque que le couple asiatique ainsi dénommé par facilité, remplacé par une entomologiste qui prend les fleurs en photo. La vue de là-haut est superbe et donne sur le lac et ses innombrables îles touffues d'arbres, avec un beau soleil qui donne des teintes bleu ciel à la mer et aux cieux. La vue sur la baie avec le ferry et en fond d'île l'Eglise majestueuse, comme trop grande pour son réceptacle. Je redescends dans l'idée d'arriver assez vite au débarcadère, histoire de préparer cette fois-ci les sandwiches – le repas attendra 16 heures – et de prospecter à la recherche d'un livre. Après une demi-heure de marche à travers la campagne, j'atterris au débarcadère au moment où s'amassent aux caisses 300 Allemands, envahisseurs. Le ferry décharge sa cargaison, mais nous n'aurons pas trop affaire au troupeau, qui s'engage sur la piste par nous délaissée. 300 n'est pas un chiffre objectif, mais celui de l'impression qu'ils m'ont faite. Seuls restent ceux qui préfèrent rester aux abords de leur embarcation et le personnel de bord. Les chalands, avec le soleil en sus, sont ragaillardis par l'arrivée de cette nouvelle troupe, bien plus fournie que la nôtre. Je vais trouver mon bonheur livresque après avoir longuement et assidument sondé tous les livres du même chaland, lequel commence à me demander en russe si je compte rester là à les tâter tous. Ma naïveté en russe détend aussitôt l'atmosphère d'autant que je me suis décidé pour les contes de Pouchkine, une aubaine que sur cette petite île je les ai trouvés en français. Peu de temps auparavant, j'avais acheté une série de cartes postales sur Kizhi et son Eglise qui rendent le lieu encore plus beau, avec ma préférence pour celle sous la neige. Mais cette Eglise en bois, cathédrale de dimension a le charme naturel. Mais la vue de ces cartes me rend le lieu encore plus magique, mythologique et content de m'être rendu dans ce lieu vu pour une unique fois et qui est unique : le must d'un voyageur quoi ! Me reste à préparer mon casse-croûte du retour, tandis qu'un deuxième ferry cherche à accoster (il se placera en attente à une dizaine de mètres de son compère), ce qui m'inquiète pour le passage et l'accostage de notre coque de noix, comparée aux mastodontes. Je reconnais les visages du matin, plus quelques habitants de l'île. Réembarqués, nous avons cette fois-ci plus de place à bord. Le jeune homme anglais du couple asiatique interroge l'homme à la quarantaine qui lui donne les photocopies du Lonely Planet, afin qu'il cherche les informations qui l'intéressent. Ingénieuse idée, la photocopie des bonnes pages et si simple, moi qui ai le volume de 400 pages dans « ma soute ». Mais cette fois-ci, malgré la fatigue, les pieds qui peuvent se détendre, les sandwiches et la lecture des contes de Pouchkine peut commencer par l'histoire de Rousslane et Ludmila, ce qui tombe parfaitement bien puisqu'il y est fait référence dans mon cours de russe. Je connais donc cette oeuvre populaire de Pouchkine. Le couple asiatique, enfin surtout le jeune homme, feuillette et prend des notes sur le lonely planet. Pourquoi est ce toujours les garçons qui sont redevables de l'organisation et de l'intendance, affaire sérieuse s'il en est. Ils évoquent les quelques jours de la programmation à venir. Tant mieux pour eux, et qu'ils partagent en commun ce goût de l'aventure. Car à part eux deux et l'Anglais nous sommes seuls aventurés en dehors de tout groupe, au milieu de ces Russes, occupés à leurs tâches. Le soleil réchauffe désormais vaillamment nos corps et nous quittons peu à peu tous nos vêtements chauds. Cela ma fait rire – intérieurement cela va sans dire – car le Lonely Planet, en anglais certes, est le seul point commun entre nous trois. Je sortirai bien le mien, histoire d'en rire ensemble. En tout cas si peu que nous soyons, nous devrions avoir les mêmes centres d'intérêt, voire se croiser les jours à venir. Je me demande même s'ils ne sont pas au même hôtel que moi. Le tout serait cocasse. On profite de ces lieux pour une dernière fois sans s'en rendre compte autrement que maintenant par la plume, tandis que je me concentre dans ma lecture. Mais j'ai l'impression d'une journée plus morne que la veille. Pourtant elle a bien eu une durée d'amplitude conséquente de 8 h à 19 h 10, sans compter le retour que j'allonge en suivant les quais occupés par les statues contemporaines et les jeunes des deux universités de la ville, trop heureux de cette lumière au bord du lac Onega. Je regagne l'hôtel et pars à de multiples reprises faire mes courses (2 supermarchés différents pour s'achalander correctement), et une autre tentative, manquée, même si j'ai su m'exprimer en russe, d'acheter des écouteurs pour écouter la radio sur mon téléphone portable. Je fais la journée à la russe et à la française, car il est 21 h 30 – 22 h, quand de nuit comme tous ces jeunes je me retrouve dehors à faire mes courses, car après tout, il n'est que 20 heures en France, me dis-je : la double journée. J'aime cette ambiance des jeunes dans la rue, même si je n'ai pas le même comportement qu'eux. De retour à la « maison », je mange mon chocolat et m'attable pour mon écriture, auto-analyse quotidienne d'un trait !! Et je serai fatigué demain !
dimanche 19 octobre 2008
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"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."
Hölderlin, Hyperion
"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"
Portishead
"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"
Marguerite Duras
Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier
Miossec, le chien mouillé (en silence)
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."
Hölderlin, Hyperion
"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"
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Je suis bourré de condescendances
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