samedi 14 juillet 2012

L'esprit du marathon

Extraits choisis du beau livre "Marathon" de Bernard Chambaz :


Qui a le sens d'observer, contempler, voire voyager comme on peut l'entendre aujourd'hui dans l'expression « courir le monde». Tout se passe comme si on pouvait établir un parallèle entre courir et contempler.

Une mention particulière doit être accordée à Artémis. Elle est surtout la déesse de la chasse. Elle passe pas mal de temps à courir à travers les montagnes et les bois ; un arc et un carquois à l'épaule, elle pratique allègrement le cross-country. Elle inspire et protège tes nymphes: ainsi Daphné court pour échapper au désir d'Apollon, elle précipite ses pas. Elle est plus rapide qu'un souffle léger, elle va si vite que le vent dévoile son corps, mais ça ne suffit pas. Au contraire, elle sent qu'Apollon la rattrape, et sur le point d'être rattrapée elle est transformée en laurier. C'est à Delphes que les vainqueurs des Jeux recevront une couronne de laurier. Artémis est associée a la commémoration de la victoire. Xénophon en fait mention quand il évoque une grande fête à caractère religieux en son honneur, chaque année, avec le sacrifice de quantité de chèvres. Par ailleurs, Artémis apparaît comme Phosphores, porteuse de torches, une flamme qui est olympique et qui éclaire la nuit. Elle préside ainsi à quelques courses aux flambeaux. Au sanctuaire de Brauron qui lui est dédié, les jeunes filles nobles s'exerçaient, pour devenir adultes, à quelques disciplines dont la course a pied.

Atatante est une héroïne qui a pour patronne Artémis. On ne s'étonnera pas qu'elle soit réputée pour ses aptitudes physiques. Elle court beaucoup, je suppose par principe, mais aussi par nécessité, pour éviter d'être violée par des centaures. Elle va sûrement très vite. Elle remporte la course et le prix lors des jeux funèbres célébrés en l'honneur du roi Pélias. Elle refuse de se marier, mais elle annonce qu'elle épousera l'homme capable de la battre à la course. Elle pense ne courir aucun risque, mais il faut bien raconter des histoires et faire vivre les mythes. N'importe qui ne va pas la défier car elle prévient qu'elle mettra à mort le prétendant défait, mais beaucoup relèvent le défi parce qu'elle est très belle, surtout quand elle a enlevé ses habits, car on a l'habitude de courir à peu près nu. À vos marques, prêts, feu, elle leur laisse un peu d'avance, mais elle est très légère, elle les rattrape, elle les transperce avec une lance. Ovide compare sa course au vol d'une flèche: il ajoute « c'est la course même qui la rend belle» ; il ne peut s'empêcher d'apporter des précisions, il décrit les rubans de ses sandales, ses cheveux, les bandelettes brodées qui flottent à ses genoux, Hippomène tente sa chance à son tour Le stade est comble, les spectateurs ravis par le spectacle. Hippomène et Atalante alignés sur le « point de départ». Les trompettes retentissent, ils s'élancent, ils bondissent, la piste est assez large, Hippomène s'encourage, il ne doit surtout pas ralentir. Il a pourtant « la bouche desséchée par la fatigue », il est essoufflé, haletant, on devine une course de fond ou de demi-fond puisque Aphrodite, qui la raconte par la voix d'Ovide, en résume la fin « pour que mon récit ne traîne pas plus en longueur que la course elle-même ». Sans subterfuge, Hippomène eût été condamné. Aphrodite la déesse de L'amour lui donne opportunément des pommes d'or, il les laisse rouler au sol juste avant d'être rejoint, Atalante les ramasse, il gagne La course. Franchement, elle y a mis beaucoup de bonne volonté, elle était sûrement tombée amoureuse.

Cela dit, de quels mots les Grecs font-ils usage pour relater La course. Bien sûr, il faut tenir compte des traductions, de la difficulté de rendre des expressions antiques. Parmi les plus remarquables, j'ai repéré « jouer des jarrets » ; Le jarret passe pour être le siège de la force et Le pli du genou l'articulation fondamentale; on aspire donc à « mouvoir ses genoux rapides». Sur les vases peints, les genoux légèrement pliés sont le signe de la course. Le perdant a les jarrets coupés. Autrement, on met à genou un adversaire. Enfin les Grecs déposaient des offrandes sur Les genoux des statues quand ce n'était pas à leurs pieds.

Courir longtemps? Cette pratique ne semble pas avoir de sens. Il faut qu'il y ait un but, visiblement on ne court pas pour le plaisir. Courir, sur le plan symbolique, c'est ébranler la terre comme dans les mythes de fécondité. Au sens littéral, c'est se comporter en athlète. Ulysse est le premier athlète de la Littérature, cette fois c'est dans l'Odyssée, non parce qu'il court les mers pendant dix ans, au contraire, c'est au chant VIII alors qu'il est invité à une fête à la cour du roi Aïkinos. Un hôte met en doute sa qualité d'athlète et sa connaissance des jeux, bien que le fils du roi fasse l'éloge de son corps : « Voyez comme il est fait ! ces cuisses, ces mollets», tout en déplorant qu'il soit « brisé» par les années en mer. Il joint aussitôt le geste à la parole ; il prouve qui il était et qui il est en lançant Le disque plus Loin que tous Les concurrents; tant qu'à faire, il les défie à tous les jeux, à l'exception d'un seul. La course, parce qu'il a « les jambes rompues» par sa longue errance. Parmi ces jeux, on peut noter une épreuve de saut, et l'on ne s'étonne guère de voir affluer aussitôt des milliers de spectateurs. Enfin, le fils du roi reprend à son compte La litanie des aînés: il n'y a pas « en cette vie une gloire plus grande que de savoir jouer des Jambes et des bras». Athlios dit à la fois l'athlète qui lutte et le prix qu'il emporte, donc l'idée de compétition, assez exactement ce que les Anglais nomment challenge, la course et la coupe qui vient couronner le vainqueur.

















1900, Paris

On est en juillet, la canicule remet ça. Le tracé emprunte les boulevards des Maréchaux. Le départ est donné au Pré Catelan, dans le bois de Boulogne, mais c est très vite un joli bordel, avec des policiers de service donnant des indications erronées, des chaussées éventrées, des zones de travaux, l'itinéraire à tracer entre des tramways, des fiacres et même des troupeaux de moutons du côté de la Villette. Une indifférence assez générale a l'encontre des « saltimbanques».

Londres, 1908.

Le coureur américain John Hayes est sacré vainqueur du marathon après la disqualification de l'Italien Dorando Pietri. Cette année-là , les Anglais innovent : le Parlement vote des lois sociales avancées, les footballeurs professionnels fondent le premier syndicat, deux cent cinquante mille suffragettes manifestent dans les rues de La capitale. Après les deux précédents, plutôt ratés, ces Jeux donnent ses lettres de noblesse définitives au marathon. Il y a d'abord la distance qui deviendra la distance officielle, 42 kilomètres 195, par équivalence de yards dans le système décimal, de la terrasse du château de Windsor à la Loge royale dans le stade de White City. Il y a ensuite le même nombre de coureurs qui abandonnent en route que de coureurs qui vont au bout de la route, vingt sept.

Paris, 1924.

C'est surtout l'histoire d'un homme : Abdel El Ouafi, ouvrier aux usines Renault,les cheveux frisés, un garçon adorable venu d'un département français, chef-lieu Constantine. À mi-parcours, il est au vingtième rang, à plusieurs minutes des premiers dont il n'a pas pu suivre l'allure. Sans le savoir, il profite des coups de boutoir qui disloquent le groupe de tête et il revient sur des hommes émoussés. Son endurance fait le reste. Au vestiaire, il grille une cigarette, puis il essuie ses larmes devant le drapeau bleu-blanc-rouge hissé en haut du mât.

...1928, Amsterdam

Le plus beau, ou plutôt le plus triste, c'est la suite. Le comité international olympique le disqualifie, sous le prétexte de professionnalisme, lui qui avait déjà passé dix ans de sa vie à visser des boulons et des rivets, un peu comme Charlot dans Les Temps modernes. Mais il est parti de l'autre côté de l'océan : « C'est beau vous savez l'Amérique ! Les gens étaient très gentils avec moi. Je battais leurs champions, ils me demandaient des autographes.» Le miroir aux alouettes a pour nom le Pyle Circus. Et Ouafi enrichit Mr Pyle et ses acolytes, revient avec une liasse de dollars qu'il troque contre un petit café gare d'Austerlitz dont son associé le dépouille. Il retourne a l'usine, ouvrier qualifié puis manœuvre puis chômeur puis clochard. Il disparaît de la surface de la terre. Vingt-huit ans plus tard, la victoire de Mimoun lui permet de reparaître, mais c'est un vieux monsieur chauve, abîmé par la vie, bientôt truffé de plomb lors d'un règlement de comptes obscur avec le FLN algérien, son corbillard suivi par une poignée de connaissances au cimetière franco-musulman de Bobigny.

Berlin, 1936.

L'année précédente, à Tokyo, il a couru en moins de 2 h 30'. Il porte de chaussures blanches, un maillot blanc frappé du soleil rouge. Contrairement aux apparences, il n'est pas japonais mais coréen, il s'appelle Lee Chung Sohn mais la Corée avait été annexée par le Japon. Il est encore assez frais pour faire les cent derniers mètres en 13" 3/10 et boucler le marathon en moins de deux heures et demie. Sur le podium il garde la tête baissée pendant l'hymne japonais. Et il ne courra plus de marathon, refusant de porter le maillot blanc frappé du soleil rouge de l'occupant.

Jeux olympiques de Londres, 1948.

« Quand le style comptera en course à pied, comme au patinage artistique, je m'appliquerai» EMIL ZATOPEK

Les espoirs de Légende ne seront pas déçus. Zatopek arrive. Lisez Courir d'Echenoz, rien de mieux pour faire plus ample connaissance avec Emil. Ici le Tchécoslovaque gagne d'abord le 10 000 mètres, record olympique en prime, le dimanche; il gagne ensuite le 5 000 mètres, record olympique en prime, le jeudi; il gagne enfin le marathon, record olympique en prime, le huitième jour d'une semaine exceptionnelle. Cet après-midi-là , il se balade entre les bouleaux, il surmonte sans angoisse les petits coups de chaleur, il sourit à sa femme quand il la repère dans les tribunes. Le paradoxe veut qu'en entrant dans la Légende Zatopek ait détruit le mythe. Avec lui, le marathon deviendrait presque facile même si sa facilité était à l'évidence le fruit de ses qualités naturelles, de ses qualités mentales et de ses doses d'entraînement. De plus, Zatopek ne manquait pas d'humour. À ceux qui critiquaient son allure contorsionnée, il répondit : « Quand le style comptera en course à pied, comme en patinage artistique, je m'appliquerai. »


Rome

On y revient trois ans après la signature du traité de Rome qui marque les grands débuts de la construction européenne. Le pape Jean XXIII bénit les Jeux que saint Ambroise avait condamnés. L'événement majeur est cependant la décolonisation de l'Afrique. Vous avez aimé Zatopek, vous adorerez Abebe Bikila. La légende ne se dément pas. Il y a la Ville éternelle avec l'arrivée sous l'arc de Constantin la nuit tombée, douce, trouée par les éclairs de magnésium des flashs des photographies qui feront le tour du globe et prouvent que la magie reste supérieure au miracle de la télévision qui retransmet pour la première fois un marathon. Il y a surtout le vainqueur, idéal, un Éthiopien entré dans la garde du négus, coureur de haut plateau, entraîné par un Scandinave engagé dans la Croix-Rouge, le cœur jamais fatigué, les pieds couverts de corne car il court pieds nus. Le samedi 10 septembre, le départ est donné place du Capitole. L'échelon géographique s'est ouvert avec un Indien, un Cinghalais, un Libérien. L’itinéraire est tracé entre les massifs de lauriers-roses et les blocs de pierres ancestrales, va jusqu'à la mer avant de revenir par la via Appia où pour un soir les prostituées ont cédé la place a des soldats portant des torches pour éclairer les pavés à peine effleurés par Bikîla et Rhadi, le buste droit, sans regard pour les catacombes. Discret, longtemps sur les talons du Marocain qui venait de choisir les couleurs marocaines aux dépens des couleurs françaises. Bikila le lâche dans les allées bordées de pins maritimes,continue de la même foulée jusqu'à l'arc de Constantin, bat au passage le record du monde, en 2 h 15' 16". Surpris par tant d'excitation à l'arrivée, il refuse la couverture qu'on lui tend, triomphe à l'endroit même d'où les troupes italiennes s'étaient lancées à la conquête de son pays.


1968, Mexico

Le dimanche 2 tout le monde attend Abebe Bikita. Les pierres aztèques augurent d'un exploit, mais très vite il boitille, abandonne, il laisse les autres en découdre, et si l'éventail géographique s'ouvre encore il se referme aussi car le seul Finlandais engagé est contraint à l'abandon. Ils sont plusieurs à croire que leur jour est venu, au bout du chemin, mais c'est un autre Éthiopien, habitue à l'altitude, qui l'emporte. Mamo Wolde a le même âge que Bikila. Abebe ne courra plus. Cinq mois plus tard, sa voiture se retourne sur une route du haut plateau, il reste toute la nuit coincé sous la tôle. On le relève en miettes, paralysé, on le soigne en Angleterre mais il est condamné au fauteuil roulant et à une économie de gestes terrifiante. Accueilli par une foule en larmes à l'aéroport, trimbalé comme un trésor national pendant les quatre années d'une olympiade, essayant de survivre, jusqu'à l'hémorragie cérébrale salutaire qui le rend à la légende.


1984, Los Angeles

La grande nouveauté de ces Jeux est l'épreuve du marathon, dames. Deux noms marquent la course. Joan Benoit est américaine et elle gagne ce premier marathon olympique. On la surnomme « Marathon woman ». Elle vient du Maine, elle court coiffée d'une casquette de base-ball, elle va déjà plus vite que Zatopek. Peu après un départ matinal, à 8 heures, elle accélère l'allure, elle distance la favorite, la Norvégienne Grete Waitz, elle gère avec intelligence son pécule, elle augmente son avance sur les quatre kilomètres de highway incorporés au parcours, elle triomphe dans le Coliseum. Gabriela Andersen-Schiess se serait bien passée de la célébrité acquise ce premier dimanche d'août devant les caméras de télévision qui diffusent les images dans le monde entier. Elle a de l'expérience, elle passe sans coup férir les trois quarts de l'épreuve, mais s'il y a un mur du trentième ou du trente-troisième kilomètre, ce n'est rien à côté de ce qui l'attend tout à la fin. Elle ne se rend pas compte qu'elle est complètement déshydratée et, quand elle pénètre sur le stade, elle se met à zigzaguer à propre Cadence », elle trébuche à chaque pas car elle ne court plus. Comme un automate déréglé, elle est épouvantablement raidie. Il lui faut près de six minutes pour les 400 mètres du dernier tour de piste, sous les cris ambigus d'une foule rodée au grand spectacle. Pourtant, elle ne concède qu'un quart d'heure sur son meilleur chrono et elle peut compter sur sept participantes classées derrière elle. Toutefois rien ne peut effacer l'impression de pantin disloqué qu'elle a donnée.

1992, Barcelone

Malheureusement, le parcours relève davantage d'un dépliant touristique que d'un respect de l'athlétisme. Il est tarabiscoté, avec des virages qui cassent l'allure et obligent à relancer, et il se termine par L'escalade de la colline Montj'uich, exercice inhabituel et illogique. Quant à l'horaire, les impératifs de la télévision dictent leur loi. Personne ne s'étonnera que fa chaleur soit étouffante. Les premières, les femmes en font les frais, si l'on peut dire. La course est prudente donc lente. Yegorova qui porte le prénom de la première cosmonaute soviétique, Valentina, mais qui n'est plus soviétique et pas encore russe, offre une médaille d'or à l'enseigne éphémère de la CEI. Elle devance la Japonaise Yuko Arimori et la Néo-Zélandaise Lorraine Moller qui dédie la médaille de bronze à son mari, mort quatre jours plus tôt, et je suis prêt à parier qu'à chaque foulée elle répétait les syllabes de son nom, Ron Daws Ron Daws, ou un truc comme ça. Le dernier dimanche, les hommes manifestent la même prudence, avant qu'un trio de coureurs asiatiques ne se dégage, puis qu'un Coréen du Sud plus ou moins inconnu au bataillon, Hwang Young-choî , ne s'échappe sous les câbles d'un téléphérique et d'un funiculaire. En haut de la colline, il franchit la ligne en vainqueur. À peu près aussitôt, on doit l'emporter sur une civière, comme à la belle époque. Nakayama finit de nouveau au pied du podium, mais pour deux secondes au lieu de six à Séoul. La nuit finit à son tour par tomber, la cérémonie de clôture peut commencer, au mépris des athlètes car les organisateurs n'attendent pas l'arrivée des derniers coureurs.


1996, Atlanta

Le départ est matinal. Enfin le bon sens prévaut, mais pas la courtoisie si l'on songe que de nouveau les dernières arrivantes seront privées de stade. Depuis quatre ans, les Chinoises avaient fait feu de tout bois. Elles buvaient du sang de tortue en guise de lait de renne, leur entraîneur savait peut-être que le roi Louis XI avait envoyé un émissaire au Cap-Vert chercher des tortues parce que leur sang passait pour être souverain dans le traitement des maladies. C'est pourtant une jeune Éthiopienne qui leur dame Le pion. Fatuma Roba est née l'année qui suivit La mort d'Abebe Bikila, elle prend la tête dans Piedmont Avenue, elle s'envole dans Peachtree Road, elle est élancée, sa foulée est Longue. Yegorava et Arimori descendent juste d'une marche.

Le dimanche, un 4 août, c'est la dernière Journée des Jeux, et le peloton commence à ressembler à un peloton cycliste, par le nombre des coureurs sur la ligne de départ. S'entraînant depuis deux mois à Albuquerque et y étant sagement retournés après la cérémonie d'ouverture, les Sud-Africains affichent une maîtrise collective. Le final n'en est pas moins haletant, bien que le stade soit quasiment vide. Josiah Thugwane ne possède que trois secondes d'avance sur le Coréen Lee Bong-Ju, et huit secondes sur Le Kenyan Wainaina. Le vainqueur ne semble pas plus fatigué que s'il venait de terminer un 400 mètres haies. C'est un petit bonhomme de moins de 1,60 mètre, il ressemble au héros du film Les dieux sont tombés sur la tête : il s'est drapé dans l'étendard tout neuf de son pays, il a le visage masqué par des lunettes de soleil, il doit savoir qu'il n'aura plus jamais besoin de retourner dans la mine de charbon où il travaillait. Il pense peut-être à ce point de règlement rapporté par Raymond Pointu : dans les courses de fond, les Afrikaaners faisaient partir Les Noirs après les Blancs sous prétexte qu'ils étaient avantagés par leur peau qui les protégeait du soleil et qu'il fallait rétablir la justice au nom de la race et de Dieu.

2000, Athènes

Quant à Radcliffe, elle a le sentiment de vivre une tragédie. Quand elle comprend qu'elle n'aura même pas la médaille de bronze, elle, la Britannique, craque, s'assied sur le trottoir, au bord de la route, en larmes. La course des garçons a au moins trois points communs avec la course des filles. Elle compte un grand favori. Paul Tergat, qui devrait apporter sa première médaille d'or au Kenya ; elle se déroule par une chaleur pour ne pas dire une touffeur impressionnante. Un coureur se détache un peu avant la mi-course, le Brésilien Vanderlei de Lima, Tergat finira dixième, malade. Baldini sera vainqueur et ce n'est pas faire injure à ce bel athlète de penser que ce jour-là le mythe a choisi Lima. Vanderlei de Lima est donc en tête avec une assez jolie avance, il est fluide, il n'a pas oublié qu'à huit ans il travaillait à la ferme pour une poignée de haricots, il sait qu'il vole, il reste a peine sept kilomètres de course, il n'a pas même Le temps de voir surgir sur sa gauche un type habillé en kilt ou en jupette, un abruti qui Le ceinture et le pousse dans la foule.

Jeux olympiques do Pékin, 2008

Wanjiru apporte enfin au Kenya la médaille d'or si longtemps promise. C'est un très beau vainqueur, très jeune, vingt et un ans, il vît et il s'entraîne au Japon, il est le champion du monde du semi-marathon, donc il est capable d'aller très vite, il bat le record olympique qui datait de Los Angeles, donc de six olympiades, il le bat de près de trois minutes, ce qui est considérable, il faut dire que les organisateurs ont eu la bonne idée de ne pas mégoter sur l'heure matinale du départ, 7 h 30, donc tout le monde arrive avant 10 h 30 heure locale, soit 2 h 30 au méridien de Greenwich. Wanjiru a un beau second, le Marocain Gharib parlant avec intelligence. « bien sûr j'aurais préféré être premier, mais c'est le sport, c'est une belle médaille», rendant hommage à son compatriote Rhadi, deuxième derrière Abebe Bîkila à Rome, mort trois ans auparavant, prouvant que désormais les marathons se courent non seulement dans les pages du dictionnaire mais aussi dans L'histoire même du marathon.

Au superbe Wanjiru a succédé l'affaire Wanjiru. En effet, les derniers jours de l'année 2010, il est accusé d'avoir tiré sur sa femme avec une kalachnikov. Heureusement pour elle et pour lui -, il est nettement moins bon au tir qu'à la course. S'il est libéré sous caution, il attend le verdict des juges et s'entraîne sans savoir s'il pourra défendre son titre à Londres. Mais on peut d'ores et déjà parier que la justice l'épargnera. Wanjiru est mort de ses blessures après une chute du deuxième étage de sa maison, le 16 mai 2011.

Pourquoi courir ?

Les raisons les plus variées existent ; je me suis mis à courir pour fêter la naissance de ma fille ; pour célébrer la mort d’un proche ; pour maigrir; parce que j'aime les sucres lents et les sucres rapides ; pour me nettoyer les poumons et continuer à griller une cigarette à l'occasion ; pour me maintenir en forme quand j'ai arrêté de jouer au ballon ; à la suite d'un pari avec des collègues: à la suite d'une soirée avec un hurluberlu sympathique et prosélyte ; à la suite d'une maladie grave ; pour être seul (e) et ne penser à rien ; pour courir avec des copains et parler de tout et rien ; après avoir vu un film dont le héros n'arrêtait pas de courir ; quand je me suis aperçu que ma femme me trompait; parce que mes enfants m'ont offert pour mon anniversaire une paire de chaussures de course en croyant que ça me ferait plaisir; parce que je me suis retrouvé au chômage et qu'il était vital de m'occuper; pour évacuer le stress ; pour épater ma voisine de palier; pour le plaisir d'une longue douche après un long effort ; pour me prouver que j'en étais capable ; en souvenir de mon grand-père qui avait couru le Cross de l'Humanité et même le Cross du Figaro; pour guider un ami aveugle qui s'était lancé le défi de courir un marathon ; parce qu'il n'y a pas d'horaire contraignant; parce que je m'ennuyais le dimanche matin: par solidarité, lors d'un rallye organisé par les syndicats pour sauver une entreprise; parce que j'ai vu une photo invraisemblable du pont Verrazano; pour battre Le record de mon frère; pour emmerder les grincheux en bloquant la circulation plusieurs heures; parce qu'on ne peut pas passer tout son temps à jouer aux échecs ; pour me faire masser les mollets au poste de secours ; pour les éponges rafraîchissantes sur la nuque; parce que je collectionne les médailles; par goût du bitume : par hasard ; pour le fun : etc. ; je ne sais pas pourquoi.


Depuis l'Antiquité, des hommes d'autres peuples ont naturellement couru vite et loin. La palme revient sans doute aux Tarahumaras. Auxquels Antonin Artaud, qui était à sa façon un coureur de fond. a consacré des pages hallucinées. Il les considère comme de « purs Indiens rouges», il leur rend visite chez eux tout au nord du Mexique, dans une sierra où les formes des rochers lui donnent l'impression qu'ils courent à travers une montagne de signes voire qu'ils sont peu ou prou du paysage. Un peu de ce que nous avons été et surtout de ce que nous devons être gît obstinément dans les pierres, les plantes, les animaux, les paysages et les bois. » II s'intéresse aussi aux vertus du peyoll, la plante aux grands pouvoirs que les Tarahumaras devaient aller chercher loin derrière tes montagnes. Pour se déplacer, « ceux qui ont les pieds légers» courent à travers les canyons, sur des distances exceptionnelles, par des sentiers improbables, en sandales, souvent taillées dans des pneus usagés, attachées par des lanières de corde, posant d'abord la pointe du pied et non le talon, au contraire de ce que l'industrie de La chaussure prodigue aujourd'hui. On ne me tiendra pas rigueur, je l'espère, de rappeler ce lieu commun : si les années soixante-dix ont vu les origines débonnaires et bénévoles des courses à pied de masse favorisant le paradoxe d'une activité individuelle dans un cadre collectif, les années quatre-vingt, qui marquèrent l'apogée de l'ultralibéralisme, ont vu s'imposer des valeurs ou plutôt des comportements comme l'individualisme forcené et un goût invétéré pour le lucre.

Les Marathons mythiques

On dit du marathon de Boston qu'il est mythique. On n'est pas loin de la vérité. En tout cas, il est le plus ancien, et de loin. Le premier a été couru en 1897, soit un an après le marathon des premiers Jeux olympiques qui avait conduit une douzaine d'athlètes à traverser l'Atlantique. La moitié d'entre eux étaient originaires de Boston, la plus européenne des métropoles américaines. Ils sont quinze sur la ligne de départ, dix à franchir la ligne d'arrivée au bout d'un peu moins de quarante kilomètres, le vainqueur en près de trois heures, une couronne d'olivier sur la tête, il s'appelle John McDermott. Pendant près d'un siècle, le vainqueur reçoit la même couronne d'olivier. À partir de 1986, le prix passe de La botanique à la numismatique avec des récompenses en monnaie sonnante et trébuchante ou plus exactement en gros chèque bientôt remis de manière assez ostentatoire. Le premier rémunéré est l'Australien Bob de Castella au surnom botanique Tree. En raison des temps de qualification officiels, s'y inscrire n'est pas à la portée de tout le monde, puisque sî vous avez moins de trente-cinq ans vous devez courir en moins de 3 h 5' et si vous avez entre soixante et soixante-cinq ans il faut encore s'en sortir en moins de 3 h 55'. On enregistre près de quarante mille inscrits pour la centième édition, en 1996. La course a lieu le jour du Patriot's Day célébré dans le Massachusetts et le Maine, fixé au troisième lundi d'avril, en mémoire des batailles de Lexington et Concord qui représentèrent le premier affrontement armé entre Anglais et Insurgents dans la guerre d'indépendance le 19 avril 1775.

Longtemps, le départ était fixé à midi ; il est désormais donné a 10 heures pour profiler de la fraîcheur, pourtant il peut faire froid, même à midi. On a déjà vu les ténors courir en gants blancs. Les 26,2 miles du parcours sont intangibles, avec un départ champêtre à Hopkinton, au sud-ouest de Boston, souvent face au vent. On emprunte la route 135 pendant la moitié de la course, puis la route 16, la route 30, avant de s'acheminer dans une zone urbanisée sans gratte-ciel sinon à l’horizon jusqu à Copley Square, face à l'ancien site du musée des Beaux-Arts où l'on peut voir la toile de Gauguin D'où venons-nous ? d’où sommes-nous? Où allons-nous ? En attendant, on enchaîne les collines de Newton et en particulier la dernière, la montée d'Heartbreak hill ainsi surnommée depuis 1936 quand le natif algonquin Etijson Tarzan Brown a brisé le cœur de Johnny Kelley en lui donnant une petite tape de consolation sur les épaules ou moment de Le rattraper, avant de le lâcher. Cela dit. Kelley. qui avait gagné en 1935. Il gagnera de nouveau en 1945 et il aura fini cinquante-huit marathons de Boston. À soixante dix ans il déclarait « J ai peur d'arrêter de courir. Je me sens trop bien. je veux rester vivant. » Parmi les grandes figures, on ne peut pas oublier Ron Hill docteur en philosophie, chimiste, et jardinier qui se consacre à ses roses. Il balaye le vieux record en 1970 en 2 h 10' et une poignée de secondes, par temps frais et humide, avant d être le premier à descendre sous le seuil des 2h10 trois mois plus tard aux Jeux du Commonwealth. L'année du centenaire il revient à Boston courir son dernier marathon. À la veille de ses soixante-dix ans, il réalise son rêve : disputer des courses dans cent pays différents ; il met un point final avec le Panama et les îles Féroé. Courir n’est ce pas contempler le monde ?

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Mes citations

"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."

Hölderlin, Hyperion



"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"

Portishead



"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"

Marguerite Duras



Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier

Miossec, le chien mouillé (en silence)