dimanche 28 septembre 2008

Ibn Arabi et les théophanies

Cet article reprend et réécrit le premier article sur Ibn arabi paru sur le blog, en le prolongeant également. Il reprend directement des idées de l'auteur, Henry Corbin, sans chercher à les expliciter ni à expliquer tous les contextes : les idées majeures se dégagent cependant au fur et à mesure de la lecture, même si l'ensemble n'est pas toujours compréhensible au vu des connaissances théologiques qu'il nous faudrait avoir.

L'expérience visionnaire d'Ibn Arabi oriente sa recherche sur le rôle de l'Imagination créatrice dans sa doctrine spirituelle. L'expérience mystique ne peut en effet s'entendre sous le seul aspect sous lequel la via negationis conduit à la disparition des Images.

La via negationis se heurte à une limite marquant le point de départ d'un rebroussement, laissant le champ libre à l'éclosion nécessaire des visions imaginales de la mystique visionnaire.

Si l'on veut comprendre pourquoi le soufisme une conjonction unique entre religion prophétique et religion mystique, il faut bien évoquer brièvement le contexte des penseurs et des problèmes où se situent Ibn Arabi et son école.

L'évènement qui succéda au système d'Avicenne en Orient ce ne fut pas la destruction de son système par un aristotélicien (rationaliste environ) comme Averroës, mais l'instauration de la théosophie de la Lumière comme sagesse orientale par Sohravardi.

En outre le ferment spirituel issu de la coalescence des deux écoles, celle de l'Ishraq de Sohravardi et celle d'Ibn Arabi va produire une situation ramenant au premier plan la question des rapports du soufisme et du shiisme. La signification de l'un et de l'autre en Islam va se préciser en les éclairant l'un par l'autre.

Il vient d'être fait allusion à un phénomène de coalescence entre la doctrine ésotérique d'Ibn Arabi et la théosophie sohravardienne de la Lumière ; une même coalescence intervient entre celle-ci et l'avicennisme. L'ensemble donne sa coloration propre à l'avicennisme ishraqi shi'ite professé par l'école d'Ispahan, lors de la renaissance safavide.

On ne peut bien entendu décrire ici l'ensemble du système avicennien, mais on évoquera principalement la figure qui en domine la noétique, celle de l'Intelligence active ou agente, cet ange de l'humanité comme l'appellera Sohravardi, dont l'importance tient à sa fonction déterminante pour l'anthropologie, pour la conception même de l'individu humain. L'avicennisme s'identifie avec l'esprit saint, c'est à dire avec l'ange Gabriel, comme ange de la révélation et de la connaissance.

Cette Intelligence est la dixième dans la cosmologie avicennienne, des pures Intelligences séparées, hiérarchie doublée d'une hiérarchie des Anges qui sont des Ames motrices des Sphères célestes. Ces Anges-Ames nouent entre elles autant de couples et communiquent aux cieux le mouvement de leur désir, les révolutions astronomiques ont alors le caractère d'une aspiration d'amour toujours renouvelée et toujours inassouvie. Ces Ames célestes ou Anges-Ames sont exemptes des perceptions sensibles, possèdent l'Imagination : elles sont même l'Imagination à l'état pur, dépourvues de perception sensible. Elles sont par excellence les Anges de ce monde intermédiaire où ont lieu les inspirations prophétiques et les visions théophaniques. Ce monde, Ibn Arabi le pénètre avec aisance dès les années de sa jeunesse. Au contraire les très graves conséquences résulteront de leur élimination dans la cosmologie d'Averroës. Quant à l'Intelligence ou Esprit-Saint, c'est d'elle qu'émanent nos âmes : elle en est à la fois l'existentiatrice et l'illuminatrice. Toute connaissance et toute réminiscence sont une illumination projetée par elle sur l'âme. Par elle, l'individu est rattaché directement au Céleste, sans avoir besoin de la médiation d'une Eglise. D'Où la peur de l'Ange qui anima les anti-avicenniens. Cette peur aboutit à obscurcir les récits d'initiation d'Avicenne ou de Sohravardi ou tous les romans mystiques persans. Par peur de l'Ange on préfère n'y voir que des allégories, des « façons de dire » inoffensives.

Dans son ensemble donc, l'angélologie avicennienne assure la fondation du monde intermédiaire de l'Imagination pure : elle rend possible une compréhension spirituelle des Révélations (et pas seulement un entendement rationnel), ce tawil aussi fondamental pour le soufisme que pour le shiisme. Elle assure l'autonomie radicale de l'individu non pas sur une philosophie (rationnelle) de l'esprit mais propose une théosophie de l'Esprit Saint.

Tout cela mit l'orthodoxie en état d'alarme.

Averroës admet certes une intelligence humaine mais cette intelligence ce n'est pas l'Individu car tout l'individuel s'identifie avec le périssable : ce qu'il y a d'éternisable dans l'individu appartient totalement à l'Intelligence agente séparée et unique. Nous sommes loin du sentiment de l'individualité impérissable du Spirituel avicennien, acquis du fait même de sa conjonction avec l'Intelligence agente. Egalement en supprimant la notion d'Ames célestes, Averroës supprime ce monde médiateur où se résout le conflit qui a tant déchiré l'Occident, celui entre la théologie et la philosophie, entre la loi et le savoir, entre le symbole et l'histoire. Ce conflit qui va croître avec l'évolution de l'averroïsme et son ambiguité qui perdure encore.

Or le tawil est « essentiellement compréhension symbolique, transmutation de tout le visible en symboles, intuition d'une essence ou d'une personne dans une Image qui n'est ni l'universel logique, ni l'espèce sensible, et qui est irremplaçable pour signifier ce qui est à signifier ». Or on vient d'attirer l'attention sur la catastrophe métaphysique que représente de ce point de vue la disparition du monde des ames célestes, monde des correspondances et des Images subsistantes dont l'organe de connaissance était en propre l'Imagination active. Comment en l'absence de ce monde percevoir des symboles et mener à bien une exégèse symbolique ?

Il nous faut revenir à la distinction fondamentale entre allégorie et symbole : la première est une opération rationnelle, n'impliquant de passage ni à un nouveau plan de l'être, ni à une nouvelle profondeur de conscience : c'est la figuration à un même niveau de conscience de ce qui peut être déjà fort bien connu d'une autre manière. Le symbole annonce un autre plan de conscience que l'évidence rationnelle : il est le « chiffre » d'un mystère, le seul moyen de dire ce qui ne peut être appréhendé autrement ; il n'est jamais expliqué une fois pour toutes, mais toujours à déchiffrer de nouveau, de même qu'une partition musicale n'est jamais déchiffrée une fois pour toutes mais appelle une exécution toujours nouvelle. La différence entre le shiisme et l'averroïsme est ici béante.

Par essence le tawil ne peut tomber dans le domaine des évidences communes ; il postule un ésotérisme.

Ni le christianisme, ni l'Islam ne sont dans leur constitution historique officielle des religions initiatiques. Pourtant il existe une version initiatique, une gnose du Christianisme et de l'Islam. La question reste de savoir si les dogmes fondamentaux de l'un et de l'autre justifient ou récusent, nécessitent ou contredisent cette fonction de la gnose.

On peut certes imaginer dans la méta histoire une dialogue entre les Frères au coeur pur de Basra aux attaches ismaéliennes avec les Rose-Croix Valentin Andreae ; ils se seraient parfaitement compris. Mais la question subsiste : y eut il en Chrétienté un phénomène comparable à ce que représente en Islam la Gnose Ismaélienne ? Ou bien à partir de quand y est il devenu impossible ? Il y eut en chrétienté des Sprituels comparables à un Ibn Arabi : leur influence est elle respectivement comparable ? Y a t il en chrétienté un phénomène comparable, en extension et en profondeur, à celui du soufisme ?

Le phénomène Eglise tel qu'il s'est constitué en Occident avec son Magistère, ses dogmes et ses Conciles est incompatible avec la reconnaissance de sodalités initiatiques. Or ce phénomène n'a pas son équivalent en Islam. Le heurt entre l'Islam officiel et les mouvements initiatiques ne s'en produisit pas moins. Il y aurait à étudier comparativement de part et d'autre comment le refus de toutes les formes spirituelles que l'on peut désigner par le terme d'initiatisme ou d'ésotérisme, marque le point de départ de la laïcisation et de la socialisation.

L'ésotérisme shi'ite appelle l'idée d'une hiérarchie mystique invisible ; l'idée profondément sienne est celle de l'occultation ou absence de l'Imam. Et l'idée de cette pure hiérarchie mystique, dans la doctrine d'Ibn Arabi et dans le soufisme en général, porte peut-être bien la marque originelle du shi'isme.

Les penseurs rationalistes eussent été aussi empêchés de comprendre la spiritualité d'un Ibn Arabi que l'imâmologie, la Walaya ou sacerdoce spirituel de l'Imam et des siens, initiant au sens ésotérique, à la gnose des Révélations.

Enoncer que la laïcisation commence avec l'élimination de la gnose, c'est viser le phénomène de désécration essentielle, une déchéance métaphysique du sacré que ne compense ni ne codifie aucune droit canonique. Et cette désécration atteint en sa profondeur l'individu ; c'est par lui qu'elle commence. A l'individu humain comme tel, l'averroïsme refuse toute éternisation possible.

C'est la décision qui abolit la dimension transcendante de l'individu en tant que tel, c'est à dire sa relation immédiate et personnelle avec l'Ange de la Connaissance et de la Révélation.

Les effets de la théosophie sohravardienne de la Lumière se feront sentir e Iran jusqu'à nos jours. Un de ses traits essentiels est de rendre indissociables philosophie et expérience mystique : une philosophie qui n'aboutit pas à une métaphysique d'extase est une spéculation vaine ; une expérience mystique qui ne s'appuie pas sur une formation philosophique solide, est menacée de s'égarer et de dégénérer.

En Occident, échec de l'avicennisme submergé sous la montée de l'averroïsme. En Iran une nouvelle destinée qui infuse à l'avicennisme la sève du néo-platonisme zoroastrien de Sohravardi et le perpétue jusqu'à nos jours. Dès lors aussi plus rien qui corresponde à la disparition des Animae Caelestes, la hiérarchie des Anges-Ames rejetée par l'averroïsme, ni à tout ce que leur disparition impliquait ou dont elle était le symptôme. Avec elles est conservée l'existence objective du monde intermédiaire, le monde des Images subsistantes, des corps immatériels, que Sohravardi appelle le Moyen Orient cosmique. Conservée aussi la prérogative de l'Imagination qui est l'organe de ce monde médiateur, et avec elle la réalité spécifique des évènements, des théophanies qui s'y accomplissent, réalité plénière, bien qu'elle ne soit pas la réalité physique, sensible, historique de notre monde.

En outre dans la théosophie sohravardienne de la Lumière, c'est toute la théorie platonicienne des Idées qui est interprétée en termes d'angélologie zoroastrienne. Une physique de la Lumière ne peut être qu'une Angélologie, parce que c'est la Lumière qui est la vie, et la Vie est essentiellement Lumière. Ce qu'on appelle le corps matériel est par essence nuit et mort, c'est un cadavre. Ce sont les anges, seigneurs des espèces, qui par les différents degrés d'intensité de leur luminescence, causent les différences des espèces. De ces différences, ce ne peut jamais être le corps naturel qui rende raison. Ce que le péripatétisme considère comme le concept d'une espèce, l'universel logique, n'est plus que la dépouille d'un Ange.

Le Sage en la personne duquel ce sentiment de l'univers fructifie en métaphysique d'extase, celui qui cumule la plénitude du savoir philosophique et de l'expérience mystique, celui-là est le Sage Parfait, le Pôle (Qotb) ; il est le sommet de la hiérarchie mystique invisible sans laquelle l'univers ne pourrait continuer de subsister. Dès lors avec cette idée de l'Homme Parfait, la théosophie de l'Ishraq se trouvait spontanément orientée à la rencontre du shi'isme et de son imamologie ; elle était éminemment apte à fonder philosophiquement le concept de l'Imam éternel et de ses exemplifications dans le plérôme des saints Imams (les « guides spirituels »).

Les dates elles mêmes ne sont que des points de repères extérieurs ; en réalité leur vraie référence est transhistorique ; le plus souvent elle se trouve dans ce monde intermédiaire des Images subsistantes, sans lesquelles il n'y aurait pas de théophanie.

Il est paradoxal que le néo-traditionnalisme en Occident se soit si peu soucié du shi'isme lequel représente par excellence la lignée ésotérique en Islam que l'on considère la gnose ismaélienne ou que l'on considère la théosophie de l'Imamisme, c'est à dire celle du shi'isme duodécimain jusque dans ses élaborations traditionnelles modernes.

Il apparaît cependant que les positions du dialogue spirituel entre Islam et christianisme changent du tout au tout, selon que celui-ci a pour interlocuteur l'Islam shi'ite ou un autre.

Tous les grands thèmes constitutifs de la pensée shi'ite fournissent à la réflexion théologique qu'ils sollicitent un matériel dont la richesse ne peut se comparer avec l'apport offert par l'Islam sunnite. Ils ont pour dominante l'idée de théophanie en forme humaine, l'anthropomorphose divine qui comble l'abîme laissé béant par le monothéisme abstrait. Il ne s'agit pas cependant du dogme chrétien de l'Incarnation, mais de la manifestation du Dieu inconnaissable en la forme angélique de l'anthropos céleste, dont les saints Imams furent sur terre les exemplifications, les formes « théophaniques ». Tandis que l'Incarnation postule un fait unique s'insérant dans la trame des faits historiques de la chronologie, et y fonde cette réalité écclésiale, en revanche ce qu'appelle l'idée théophanique, c'est une assomption céleste de l'homme, la rentrée dans un temps qui n'est pas le temps de l'histoire et de sa chronologie.


Récit de mon voyage en Russie (1)

31/8 – 1/9/08

Me voici en Russie. La journée ne fut pas toujours simple, mais j'y suis arrivé. Hier à une heure du matin, nous avons atterri à Helsinki, non sans avoir une pensée pour ma voiture. Vais je la retrouver à mon retour ? Une heure d'attente devant le lieu de délivrance des bagages : 3 vols arrivés en même temps et un personnel surement peu nombreux.

A deux heures du matin, j'ai eu la présence d'esprit d'interroger quand même une personne du bureau d'informations, car je n'avais pas acheté mon billet auprès de la compagnie Severstal pour Petrozavodsk le lendemain. Et cette personne m'informe que la compagnie n'est pas hébergée à l'aéroport, et me donne une adresse à Helsinki avec un numéro de téléphone, en me conseillant d'y être à 9 heures. Je quitte cet aéroport, illuminé, à bord d'un taxi qui m'emmène à l'hôtel proche, réservé. Le lendemain, je devrai donc me rendre à Helsinki, ce qui va me faire une nuit courte, mais heureusement que j'ai interrogé la personne. Dodo de 3 à 7 heures et après le petit-déjeuner, direction Helsinki en taxi. Je ne lésine pas sur les moyens (40 euros quand même), car de ce vol dépend tout le reste du voyage. Aussi je serai dès 9 heures à l'office de la compagnie.

J'emmène mes bagages, histoire de parer au cas où plus aucune place ne serait disponible et où je devrais me rendre à la gare routière. Or, à l'adresse indiquée, se situe une sonnette sur la façade d'un immeuble dont la porte d'entrée est condamnée. Fausse route et me voici à pied avec 30 kilos de bagages dans Helsinki, sans billet. Bientôt 10 heures pour un décollage prévu à 14 heures. Je compose le numéro de téléphone en priant pour que la personne parle anglais. Bien lui en prend, et la personne dans un anglais qui ne souffre pas contestation me dit de me présenter à l'aéroport, deux heures avant le départ, même pour acheter un billet. Retour à la cas départ, mais soulagé. Il ne me vient même pas à l'idée de gronder intérieurement la farceuse de la veille. Je compte au contraire profiter profiter un peu d'Helsinki ; j'étais d'ailleurs déposé dans une rue toute proche d'un lac ou de la mer. Ensuite je me promène en rejoignant la gare routière d'où part le bus pour l'aéroport (histoire de faire des économies cette fois-ci !). Je saisis à différentes occasions mon appareil photo. Il fait beau mais suffisamment frais pour que je ne sue pas malgré mon attirail. J'ai vu hier sur les prospectus et en venant dans le taxi une magnifique Eglise symbole de la ville. Or la voici qui se dresse maintenant à 500 mètres sur ma droite. Un détour avec mon harnachement, et me voici en train de faire de belles photos dans un matin ensoleillé. Les passants sont distraits ou alors pas stressés du tout, dans cette capitale. Comme à Stockholm me dis je. Les voitures peuvent chercher leur chemin sans être klaxonnées et les piétons passer leur chemin. Les enfants dans le parc ont tous des gilets jaunes fluo et j'ai récupéré quelques euros finlandais qui me feront un souvenir supplémentaire, à la sortie du taxi. Finalement une bonne idée ce passage obligé par le centre ville et ce lever potron minet. Sinon j'aurai dormi à l'hôtel et rejoint ensuite l'aéroport. Alors que là finalement j'aurai profité d'une vue d'Helsinki.

Retour à l'aéroport où, à 12 h 30, après avoir posté mes premières cartes postales au sujet d'une Eglise, et changé un peu d'argent pour avoir l'argent russe nécessaire à mon transport de l'aéroport à l'hôtel en Russie, je me présente à l'enregistrement, bureau 215 puisqu'on m'a confirmé qu'il n'y avait nul autre endroit pour acheter les billets. Une seconde dame se tient à côté de la personne chargée de l'enregistrement. Restant debout, elle me confirme que je peux lui acheter un billet, cash !! quand je lui tends ma carte bancaire et qu'elle va en attendant que je m'approvisionne au distributeur me confectionner un billet qu'elle commence à rédiger au stylo ! Je crois rêver et suis moyennement rassuré sur la compagnie. C'est aussi bien la Russie me dis je et si c'est le moyen pour la compagnie - pas low cost, au vu du tarif – d'assurer la liaison, pourquoi pas. Je suis contrarié car le plafond de ma carte bancaire est surtout limité en retrait, et je devrai retirer du liquide en quantité pour la deuxième semaine, qui se fera loin de la civilisation bancaire. L'enregistrement des bagages jusqu'au passeport contrôle se passe bien. Nous nous trouvons en salle d'attente et je me dis après le passeport contrôle qui nous a isolés des « Européens », que je commence à me dépayser, que les têtes qui m'entourent parlent toutes finlandais, russe ou indien. Je suis « seul-au-monde », mais la réalité vient me rattraper : départ pour Heathrow-embarquement, et 90 % de mes étrangers se lèvent. Ma diaspora était finalement très proche de moi et mon dépaysement en prend un coup. J'en souris : çà t'apprendra à te la jouer. Une fois le vol anglais en cours d'embarquement, ils sont peu nombreux les voyageurs vers la Russie : voilà qui donne une idée de la taille de l'avion, même si je m'en doutais déjà un peu et que notre hall d'embarquement ne me semble pas prévu pour l'arrimage d'une passerelle d'embarquement. Alors Russes ou Finlandais, mes acolytes ? Pas facile à repérer avant le bus où les langues se délient par affinité linguistique. Nous voilà partis en bus vers un Yak 40, c'est à dire un Yakovlev 40, datant de l'Union soviétique, que les grands avions de Finn Air doivent avoir du mal à distinguer ! On monte par un escalier qui s'ouvre à l'arrière de la carlingue et nous sommes accueillis par une ravissante hôtesse, j'aurai l'occasion de le remarquer par ailleurs ; au milieu de ma troupe entièrement masculine, je suis le seul âgé comme elle, ce qui va nouer une complicité, avec un si beau visage. Il me fallait bien cette présence rassurante en haut de l'escalier, car en bas j'avais jaugé les pneus fatigués et sous-gonflés. Tout de suite, à l'arrière du chétif appareil, je parie que les bagages vont nous suivre, faute de place suffisante pour une soute. S'il y a un passager retardataire, il lui faudra enjamber le monticule. J'aurai la réponse affirmative à ma supposition à la descente. Je me dis qu'il est robuste quand même, et souris en songeant à un vol similaire déjà effectué. Les tressaillements dans le ventre lors des mouvements d'appareil vont être bien plus marqués et brusques : nous allons faire corps avec l'appareil de vingt places. L'hôtesse est seule : une deuxième personne aurait généré de la claustrophobie. Elle a vite repéré mon accent étranger et me sourit adroitement, mais gêné au deuxième passage, je dis non aux cacahuètes. Je la courrouce gentiment. Promis, je ne refuserai plus rien ensuite. Je suis au premier rang côté hublot et je vais profiter, peut-être parce qu'un petit avion vole plus bas, dans la seconde partie du vol, du survol de régions magnifiques, par beau temps, qui effiloche les nuages. Terre et Mer se mêlent, avec les lacs qui parsèment, avec les rivières, la terre en ilôts, qui s'échappent eux-mêmes en constellations dans la mer. Saisissant et ces forêts de sapins et ces maisons la plupart en bois quand on les voit d'assez près, perdues sur une langue de terre entre lac et océan. Je m'apprête à voir surgir le monastère de Valaam que je sais ainsi recroquevillé sur des terres entourées d'eau, comme une forteresse. Magique, cette Carélie.

Tout comme l'aterrissage qui se passe bien. La piste est un damier de blocs de béton, que l'herbe et les flaques d'eau aspergent. Ma surprise de voir que notre avion est le seul avec un second pour tout l'aéroport, décrépi et digne d'un préfabriqué, même si l'intérieur sera moderne. Les équipements de secours et les véhicules venant chercher les bagages sont désuets : c'est donc toujours la Russie, perpétuation de l'Union soviétique. Bâtiments délabrés et véhicules à l'abandon au milieu des herbes. J'ai retrouvé cette Russie dont je croyais Petrozavodsk détachée, en raison de son dynamisme. Or ce n'est pas là encore l'aéroport d'une ville moderne. Quoique plus gentil gentil qu'à Moscou, le passage des douanes prend des formes multiples et le contrôle des bagages est systématique : je dois donc expliquer sur l'écran de contrôle à quoi correspondent mes bagages à une douanière parlant bien l'Anglais. Mieux que mon russe. Avec mes bagages, dehors, j'ai la déconvenue de voir que les bus attendus font défaut. Trois voitures au milieu de la campagne, appartenant au personnel de l'aéroport. Et le temps s'est couvert, menaçant de passer à la pluie. L'homme qui est passé devant moi à la douane s'engouffre dans une Volga surchargée venue l'attendre. Je l'avais repéré car sur son bagage figurait un autocollant de l'aéroport de Dubaï. Mais que vient faire ce globe-trotter à Pétrozavodsk, ce petit aéroport perdu loin de tout, et dont les billets sont fabriqués manuellement. En attendant, seul, je me lance après des hésitations, en profitant d'une éclaircie, sur la route en espérant rencontrer une route plus fréquentée, quand, après 300 mètres une voiture passe que je hèle. Le conducteur m'informe qu'un bus va passer d'ici 10 minutes à l'aéroport même. Je suis doublement content car la route s'enfonçait dans la campagne et j'ai réussi à me faire comprendre et à comprendre mon interlocuteur. Retournant à l'aéroport, je prononce à voix basse en souriant : OTTYDA ... De là-bas ... Lorsque les douanières s'apprêtent à quitter l'aéroport, une puis une deuxième s'enquièrent de moi et me commandent un taxi, car disent-elles, le bus en question « is only for the workers », et les raccompagne chez eux. Elles sont plein de sollicitude, y compris une troisième, qui n'est autre que ma douanière tatillonne. Mais j'ai déjà mon taxi de commandé. L'hospitalité russe et le souci de montrer de l'aide au seul touriste de la région , source de devises, s'impose.

Après que le bus fût passé, que je n'ai pas pris en photo, par respect de ces personnes qui m'avaient aidé, mais qui ressemblait aux installations. Il sortait d'ailleurs d'un hangar de l'aéroport, une chevrolet noire comme annoncé me prend à vitesse grand V et pilonne le circuit retour au maximum de la vitesse permise par l'état de la chaussée. Une fois en ville ou double par la droite avant de doubler la suivante par la gauche. Je ne m'en offusque plus et garde même un sourire heureux au coin des lèvres de retrouver ainsi ma Russie. Le jeune à côté de moi s'occupe de sa musique. Dans un rond-point, la discipline européenne est mise à mal, on se fait couper au milieu du rond-point par une insertion sur la droite, à laquelle on fait de suite une queue de poisson pour prendre la sortie suivante. On se parle enfin dans Petrozavodsk. Il m'arnaque bien au niveau tarif, mais au vu de la journée et de l'absence de solutions alternatives, j'avais déjà accepté la situation en montant dans son taxi, d'autant que son arnaque au triple du prix ne me coutait que 5 à 6 euros. Dans l'hôtel, l'accueil est comme les tapis et les couloirs tout en longueur, froid limite glacial. J'y laisse mon passeport pour être enregistré auprès du ministère de l'intérieur, prend une heure pour me ressourcer dans ma chambre, bien trop chère, mais qui comprend un frigo. La particularité d'un immeuble stalinien : qu'on puisse y torturer quelqu'un sans gêner ceux d'à côté, feutré mais aux coloris passéistes.

Dehors définitivement il pleut, mais j'y retrouve ma Russie et je suis heureux. Les flaques d'eau et la chaussée inégale interdisent aux passants de se mettre au bord du trottoir, tandis que la traversée de ladite chaussée doit être une course bien négociée. Dire que le matin, à moins de 800 kms, j'étais chez des Finlandais très soucieux de maîtrise de soi. Les voitures sont souvent crasseuses, les jeunes courent la rue de cette ville estudiantine. J'y retrouve ma Russie sauvage et désordonnée, brouillonne, les pieds dans la boue, car comment supprimer la boue dans cette immensité de terre, et la poussière qui va avec. Mais la tête dans les étoiles. Un peuple au final éduqué, qui a donc conscience de sa déchéance, mais en même temps de sa fierté. Je ne suis pas sûr que les Russes soient un jour civilisés au sens où l'entendent les Occidentaux. Alors qu'ils ont eux-mêmes une culture et des moeurs. En attendant, je marche sous la pluie et rejoins un lac Onega. Il est plus tard que prévu car j'ai pris une seconde heure de décalage avec le second vol, ce que j'avais oublié. Ce mauvais temps rend la promenade devant la jetée de ce lac immense, à perte de vue, romantique. Et les Russes font comme moi, beaucoup s'y promènent sous la pluie, vers une fête foraine en mal de succès avec cette soirée arrosée. Je me rends vers les bateaux que je prendrai demain. Après une longue marche, j'arriverai à l'autre bout de la ville, ayant croisé jeunes et vodka ou bière allègrement. N'importe quel bâtiment est superbe sous la pluie car les Russes ont l'art de l'architecture et de disposer les couleurs pastels, avec les liserés blancs. Je finis dans le supermarché conseillé par mon guide et ne peut empêcher la caissière de sourire de façon très prononcée : elle a vu mon guide à la main avant que je ne le range dans mon sac, et fait exprès de me lancer un drassvouitye en attendant ma réponse susurrée. Je suis mauvais rien qu'à l'idée de devoir le prononcer correctement. C'est au contraire quand je le prononce n'importe comment que je suis crédible. Il faut prononcer ce mot à la manière dont vous souhaiteriez prononcer quelque mot imprononçable. Gagnante, je lui laisse la victoire à chacune de ses multiples interrogations qu'elle affecte avec gourmandise : voulez vous un sac ? Jusqu'à son au revoir final composée d'une périphrase interminable dite avec un grand sourire moqueur. Désolé mais à 21 h 30, j'avais baissé le rideau Mlle. Il faut dire que l'achat de mon cahier d'écolier avec des ours blancs en couverture avait accentué plus qu'il ne fallait le romantisme exacerbé prêté au touriste occidental que j'étais. Après ces oeillades moqueuses, je me retrouve dehors dans la nuit tombée et rentre à travers ces rues animées de jeunes. Tiens, quatre jeunes filles dont chacune a sa vodka aromatisée dans la main. Le tout est bon enfant et l'hôtel, qui porte bien son nom, servernaya, se présente devant moi. Il me reste à manger et à me confier à mon tout nouveau cahier d'écolier.













samedi 27 septembre 2008

Quatrième album de Portishead en vue !!!

La bonne nouvelle de la semaine !!!!!!!!!!:


Quelques photos en hommage à mon groupe préféré :







Portishead, c'est de la cocaïne pour moi. J'avoue, je me pique à Portishead. Addicted.


dimanche 21 septembre 2008

Barjavel

Cet article est extrait du blog suivant

J'ai repris la conclusion de l'article.

Barjavel aime à se voir comme un homme simple aimant simplement la vie. Il est dans la conscience absolue de vivre et veut profiter de tout ce qui fait cette existence quilui semble, malgré des déchirements secrets, être un cadeau. Mais il pense que vivre ne suffit pas, que c'est par la mémoire que l'instant devient éternité. Il sent qu'à l'heure actuelle les hommes ont perdu leurs capacités d'émerveillement. Tout ce à quoi l'on croit existe parce que l'on y croit. Le mal, par ailleurs, est une dimension constitutive du monde.

Barjavel est panthéiste, ce qui signifie qu'il croit en la puissance de la nature et donc au bien et au mal qui s'équilibrent. Si pour lui le mal est atroce, il n'est cependant pas définitif. Pour lui, l'écrivain a ainsi une fonction éthique ( = morale ), voire prophétique.

Barjavel est optimiste, mais sensible à la souffrance d'autrui. Il a défendu ses positions, comme son écologisme, son pacifisme qu'il doit beaucoup aux horreurs de la première guerre mondiale. Il entretient un rapport ambigu avec la loi à la fois mise à distance et vaguement révérée.

Il y a un paradoxe dans le fait que Barjavel soit déiste. Il s'en prend à Dieu mais il l'aime et il n'hésite pas à lui demander des comptes, du genre : "Si Dieu existe, il devra avoir une bonne excuse". Le Dieu de Barjavel est en fait plus maternel que paternel. Il a une vision de l'enfance et de l'éducation bien particulière : pour lui, toute forme d'éducation enlève de la pureté à l'enfant ( pureté originelle ) pour le transformer en une sorte d'automate conçu pour la société, et pour en faire un adulte "convenable", c'est à dire que pour lui, "un adulte est un enfant qui a déjà commencé à pourrir". cette innocence perdue est peut-être utopique mais pose réellement problème. Il est également antibelliciste.

Barjavel a beaucoup théâtralisé la fin du monde, à commencer par Ravage. Pour lui, la science-fiction est l'art de la surprise où se déploie la stupeur idéale, celle qui ne comporte pas de remède. Sa passion de la nature est incontestable. Il est non moins certain qu'il a véhiculé des termes considérés comme "réactionnaires".

Il se réinvente des racines perdues avec son intérêt pour Merlin et le Graal dans trois romans sur le merveilleux : Les dames à la licorne, Les jours du monde et L'enchanteur.

Barjavel est un écrivain difficile à classer. Il rêve de pouvoir tout faire, que nous puissions tout faire. Chez les spécialistes, cela s'appelle le fantasme de maîtrise, c'est èà dire l'imagination, et quand elle est épanouie, la fantaisie. Lui-même pense qu'il n'a aucune imagination. Il dit : "Je n'imagine pas. Je considère ce qui est possible." Son nom en provençal signifie "bavard". Lui se qualifierait de fabuliste. Ses romans ont tous une moralité, la recherche de la vérité qui est au bout du voyage intérieur. Son écriture est poétique. C'est la mise en mots de crises morales dans une veine tragique explorant le coeur humain. Barjavel est un romancier de la survie et de la vie. Le destin, en fin de compte, n'est pas si tragique si nous allons au delà de nous-mêmes et si la vieillesse se ressource dans l'enfance universelle.

Pour une analyse complète de son plus grand succès, la nuit des temps : (à ne lire cependant qu'une fois le roman lu)



Mes thèmes préférés

Rokia Traore - Un cri d'amour pour l'Afrique

Irma vep

Irma vep
Maggie Cheung

Mes citations

"Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n'y est maintenant qu'un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu'il est : je l'ai vu et je l'ai connu."

Hölderlin, Hyperion



"Dans tes faux-fuyants,
Les crimes ont été escamotés
Dans un endroit
Où ils peuvent oublier"

Portishead



"Je suis d'une morale douteuse : je doute de la morale des autres"

Marguerite Duras



Je suis bourré de condescendances
Pour mes faiblesses si dures à avaler
Ce qui fait que je flanche
Quand on essaie de m'apprécier

Miossec, le chien mouillé (en silence)